La ten­ta­tive de coup d’é­tat en Turquie s’est achevée dans un bain de sang. Non, la “démoc­ra­tie” n’a pas gagné.

Autant le groupe de mil­i­taires n’a pas épargné les civils qu’Er­do­gan avait fait descen­dre dans les rues, autant ces mêmes foules hys­tériques s’en sont pris­es aux sol­dats qui se rendaient et ont com­mis des lyn­chages. Cette “vic­toire démoc­ra­tique” là, à un arrière goût de Daech, quand on con­sid­ère la nature des foules descen­dues sur les places, les ponts et dans les aéroports.

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Les appels à la prière, dif­fusés toute la nuit, sur ordre des autorités, les Allahu akbar scan­dés par des meutes en cos­tumes religieux venues soutenir leur sul­tan à sa demande, hommes en immense majorité, d’autres foules d’ap­parence plus “laïques”, mais fanatisées sous le “dra­peau”, don­nent le ton de cette con­tre offen­sive là.

Aujour­d’hui, titr­er “la démoc­ra­tie a gag­né”, serait d’une céc­ité poli­tique totale, dans cette nuit qui va désor­mais durer.

Cet échec d’un coup d’é­tat, qui n’avait rien de démoc­ra­tique lui non plus, mar­que une vic­toire d’Er­do­gan, grâce à l’ap­pel aux forces “pro­fondes” de Turquie qu’il a con­tribué à génér­er. Des forces de haine, de divi­sion, nation­al­istes big­otes, qui désor­mais sont con­scientes de leur force. A not­er que le com­man­de­ment de la police a lui même appelé à “con­tr­er” le coup d’état.

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L’or­gan­i­sa­tion de police turque : “Nous appelons notre peu­ple à aller sur les places pour s’ap­pro­prier notre démocratie”

Les appels à descen­dre dans la rue se pour­suiv­ent, bien que les com­bats aient cessés et que les mil­i­taires qui se sont ren­dus, dont beau­coup d’ap­pelés, il faut le pré­cis­er, aient été arrêtés, d’autres tués, non sans avoir subi de nom­breux lyn­chages publics. Des pho­tos et vidéos en témoignent, mis­es en exer­gue dans les médias, comme autant de trophées.

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- “Nous sommes dans les affrontements…”
— “Filme… filme…”
— “Suite à la demande d’aide de notre police, nous sommes venus à leur secours. Priez [pour nous] Inch’Allah. Assalamu alaykum.”

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SMS reçu sur les porta­bles. “Nous invi­tons tout notre peu­ple sur les places pour défendre la volon­té nationale et la démoc­ra­tie.” L’E­tat de la République de Turquie

De nom­breux turcs n’ont pas choi­sis entre la peste et le choléra, et avaient en masse retirés leurs économies ou fait des pro­vi­sions. Il faut dire que cer­tains sont des habitués de coups d’é­tat, depuis les années 1980, et que d’autres voy­aient d’un bon oeil la mise en dif­fi­cultés d’Erdogan.

Le bilan offi­ciel, sor­ti de la bouche d’un offici­er fidèle à Erdo­gan, le Général Ümit Dün­dar dit ceci :  “90 per­son­nes dont 41 policiers ont per­du la vie. 104 per­son­nes (putschistes) ont été ‘attrapées mortes’.”  “1154 blessés et 1563 mil­i­taires arrêtés.” Ce bilan “offi­ciel” est sans doute loin de la réalité.

On apprend peu à peu que les “appelés” avaient été mobil­isés pour des “manoeu­vres” et que cer­tains pen­saient inter­venir dans des “quartiers”, sur le mod­èle de ce qui se passe à l’Est, au vu des muni­tions qu’ils avaient emportées avec eux. Mais il est dif­fi­cile de démêler la pro­pa­gande gou­verne­men­tale dans les témoignages réels de tankistes qui se sont ren­dus. Il appa­raît évi­dent cepen­dant que le petit nom­bre de mil­i­taires à l’échelle de la Turquie ne pou­vait garan­tir un coup d’é­tat vic­to­rieux, surtout en appui sur des sol­dats “aux ordres”.

Erdo­gan ne cesse de répéter sa litanie des “forces par­al­lèles”, en désig­nant la secte Gülen. Il dit entre autres “cette ten­ta­tive de coup d’E­tat est un cadeau du ciel pour net­toy­er l’ar­mée des élé­ments appar­tenant à l’or­gan­i­sa­tion par­al­lèle”, face à des fidèles qui scan­dent “Dis nous de frap­per, on frappe, dis nous de mourir, on meurt”.

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A qui prof­ite donc le crime ? La for­mule est bateau, mais la ques­tion est essentielle.

Rien ne per­met d’af­firmer que la main même de l’AKP serait der­rière cette ten­ta­tive man­quée, même si ce serait telle­ment facile de le penser. Il est sûr qu’Er­do­gan, qui ne s’en était pas caché, pré­parait une “purge”. Là, déjà 29 colonels, 5 généraux ont été retirés de leur fonc­tion par le min­istre de l’in­térieur. Et ce n’est qu’un début.

Erdo­gan peut avoir une fas­ci­na­tion pour l’ac­ces­sion d’Hitler au pou­voir, voir cepen­dant partout des syn­dromes de l’in­cendie du Reich­stag et des com­plots de l’om­bre, serait aller un peu loin. Qu’il ait envis­agé une réac­tion à cette purge annon­cée et qu’il ne s’en soit pas préoc­cupé volon­taire­ment, est une chose, qu’il ait lui même organ­isé un faux putsch en est une autre.

Le Con­seil de sécu­rité nationale (MGK), réu­ni sous la prési­dence de Tayyip Erdo­gan, avait en effet décidé de qual­i­fi­er le mou­ve­ment Gülen de «groupe ter­ror­iste au même titre que le PKK» en juin dernier. «Nous avons envoyé cette déci­sion au Con­seil des min­istres», a déclaré le chef de l’E­tat. Le Con­seil s’é­tait empressé de déclin­er immé­di­ate­ment les con­séquences dans tous les secteurs de l’ap­pareil d’é­tat encore non “expurgés”, et l’avait fait savoir aux “par­al­lèles”.

Il a fait sor­tir le loup du bois pour l’a­bat­tre, et ain­si pou­voir mieux prof­iter de l’ex­po­si­tion de sa dépouille.

Le pari était sans con­teste risqué, mais il vient de l’emporter. Il démon­tre ain­si la force de ses sou­tiens pop­ulistes big­ots, la faib­lesse totale et même l’im­puis­sance désor­mais de l’op­po­si­tion kémal­iste pour un temps long, et lance un aver­tisse­ment aux frac­tions ultra nation­al­istes qui ne lui auraient pas encore fait une totale allégeance. En prime, il récolte au pas­sage des sou­tiens inter­na­tionaux à la “démoc­ra­tie turque et l’é­tat de droit” sur sa per­son­ne. La con­fu­sion l’emporte, et le tapis vert lui est déroulé pour la suite. On peut s’at­ten­dre à des “appels au peu­ple”, sur fond de prési­den­tial­i­sa­tion totalitaire…

Les foules de cette nuit ont désor­mais carte blanche pour accom­pa­g­n­er tout pas en avant sup­plé­men­taire de leur leader sul­tane­sque, et faire taire les opposants en tous lieux. L’op­po­si­tion poli­tique et sociale n’a qu’à bien se tenir. L’AKP a un boule­vard ouvert pour sa “réforme con­sti­tu­tion­nelle”, der­rière le désor­mais père de la Nation. Belles per­spec­tives, qui annon­cent des nuits turques sans lune, mais avec crois­sant sanglant.

Une frac­tion de l’ar­mée a joué sa carte, Erdo­gan empochera les mis­es. L’UE peut désor­mais souf­fler et remet­tre au pot.

En com­plé­ment, lisez absol­u­ment ce bil­let d’E­ti­enne Copeaux, qui détaille avec minu­tie la vague d’ar­resta­tions qui com­mence et aus­si celui-ci


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