Avant que les Syriens… Les mots de Rabia Mine explosent et brossent un por­trait de la Turquie.… C’é­tait quelques jours avant la nuit.


Avant que les Syriens arrivent…

Avant que les Syriens arrivent, nous man­gions sur des nappes en lin bien repassées. Per­son­ne ne claquait la bouche.

Il y avait tou­jours du Bach en arrière fond !

Qu’est-ce que nous étions élé­gants et polis…

Per­son­ne ne se déchaus­sait dans des cars, des ciné­mas, ne claquait les per­les des chapelets, ne mâchait son chew­ing-gum ou grig­no­tait des graines de tour­nesol bruyamment.

Per­son­ne dans les rues, ne crachait, n’y lais­sait sa morve et son mollard…

Jamais, nous ne jetions nos poubelles par la fenêtre, et ne sec­ouions nos tapis sur les linges pro­pres des voisins.

Tous nos lieux publics comme parcs, jardins, trot­toirs, avenues et bâti­ments étaient organ­isés pour nos citoyens handicapés.

Avant que ces sales Syriens n’ar­rivent, nos rues sen­taient bon le savon noir, main­tenant “elles sen­tent mau­vais l’arabe”.

Nous, avant qu’ils arrivent… Ah, avant que les Syriens ne vien­nent, comme nous étions heureux, justes, com­patis­sants. Des gens débor­dant d’amour et vivant dans la paix !

Nous ne dis­cri­m­in­ions jamais les êtres selon leur race, leur reli­gion, leur sexe, leur ten­dance sex­uelle, leur espèce. Nous appre­nions les tra­di­tions de nos amis avant les nôtres, et nous célébri­ons les fêtes des autres avant nos pro­pres fêtes.

Nous nous pli­ions en qua­tre de respect, de politesse. Dans les trans­ports en com­mun, nous restions debouts pour que les autres puis­sent s’asseoir. Les sièges de bus et de métro restaient tou­jours vides.

Jamais per­son­ne ne regar­dait de tra­vers l’autre, ne met­tait la main aux fess­es. Per­son­ne ne clas­sait les femmes en deux caté­gories, celles à bais­er et celles à épouser, ni pre­nait pour des putes, toutes les femmes qui ne sont pas sa mère ou son épouse.

Les fil­lettes ne se vendaient jamais à des con­nards de cinquante ans, déchets de bordel.

Les cas d’agression, de vol, de cor­rup­tion étaient si rares, presqu’inexistants. Et ils n’é­taient com­mis que par des athées hypocrites.

Avant que les “Syriens incultes” n’ar­rivent et ne nous détour­nent l’esprit, nous étions des êtres extrême­ment con­scien­cieux. Nous ne ven­dions jamais nos votes pour un paquet de pâtes, mais même pas pour des billions…

Pourquoi nous les ven­dri­ons ? Nous étions tous ven­tre rem­plis, rassasiés.

Nos fonc­tion­naires, nos ouvri­ers pas­saient leurs vacances à Mia­mi. Le soir, ils fai­saient du bar­be­cue avec Brad et Angeli­na et papotaient de leur voi­sine Sibel Can1.

Et nos retraités… Ah nos retraités ! Ils par­taient sans arrêt faire le tour du monde et ne quit­taient pas les croisières d’amour, les malins.

Nous étions une nation telle­ment ras­sas­iée, avant que ces Syriens qui n’ont rien à bouf­fer arrivent !…

Devant notre pléni­tude, nos gou­verne­ments qui n’avaient aucune chance de nous faire un coup tor­du, démis­sion­naient s’ils provo­quaient le dessèche­ment d’un arbre, et si nos min­istres cau­saient la mort d’un chat, se sui­cidaient. Même les japon­ais avaient ten­té de se sui­cider col­lec­tive­ment, l’année dernière, déprimés de ne pas pou­voir pu attein­dre notre rang d’honneur si innat­teignable, mais ils avaient été ramenés à la vie grâce au souf­fle guéris­seur de notre ambas­sadeur de paix, Cübbe­li Ahmet Efen­di.2

Quant à notre niveau d’éducation et d’études, il était exem­plaire. Qui n’avait pas avalé tous les clas­siques jusqu’à la fin du col­lège, de honte, ne sor­tait pas de sa mai­son. Par exem­ple, la plus part d’entre nous, avions fait la sieste avec Oblo­mov et offert nos con­seils à Raskolnikov.

L’inquiétude pour l’avenir était à zéro.

Le chô­mage était à zéro.

Nous ne pour­rions descen­dre en dessous de ce  niveau de civil­i­sa­tion prospère, même si on le voulait.

Avant que les Syriens ne vien­nent, un réal­isa­teur qui fai­sait du ciné­ma expéri­men­tal avait cher­ché pour un semi doc­u­men­taire, quelques enfants sans abri, qui snif­f­ent de la colle, men­di­ants dans les rues, mais ils ne les avait jamais trouvés.

Nos enfants étu­di­aient dans des écoles high tech, et accé­daient à l’Université sans ratage.

Tous avaient le niveau pour étudi­er le Droit, la Médecine, mais cer­tains choi­sis­saient de faire juste pour le fun, la sar­dine à la fac­ulté des Activ­ités mar­itimes et Sci­ences de la mer.

Avant que les Syriens n’ar­rivent, nous ne met­tions jamais de culottes aux cadavres dans des fac­ultés de Médecine qui étaient tous de vrais foy­ers de sci­ence. 3

Tout ça, et même encore plus, c’est à cause de ces Syriens, sales, big­ots et incultes, mon oncle !

C’est eux qui ont détourné les états d’âme et la morale de nos belles per­son­nes qui étaient tous plus inno­centes que des anges, plus sages que Socrate et tous, véri­ta­bles édi­fices de la tolérance.

Siou­plé siou­plé… nous ne voulons pas d’eux, mon oncle ! Qu’ils s’en aillent !

Rabia Mine

 

Un petit ajout de Kedis­tan… Soyons en sûrs, après cette nuit des “longs couteaux”, où le peu­ple Erdo­gan a sauvé son Sul­tan, les Syriens vont tous être nat­u­ral­isés… Enfin, cer­tains de leurs cadavres, peut être, après que les hordes soient passées par là…


rabia mine portraitRabia Mine

Ecrivaine et poète, activiste défenseure des droits humains. Auteure du recueil de poésie “Külden” (Des cendres) paru en 2014 en turc.
Elle a étudié le Droit à l’Université d’Istanbul, et le cinéma — télévision à l’Université de Mimar Sinan. Elle a travaillé comme responsable de production dans le cinéma, rédactrice et éditrice indépendante.


Rabia Mine • Suriyelil­er gelme­den önce biz  Cliquez pour lire

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