Comme nous l’écrivions dans un article précédent, Erdogan est en passe de réussir un de ses meilleurs coups de billard à trois bandes. Il a en effet recréé un nationalisme toxique contre la présence en Turquie des réfugiés syriens, allant des ultra nationalistes à l’AKP, englobant les kémalistes, parmi les acteurs les plus acharnés.
Une ignoble campagne xénophobe, à coups de calomnies, de mensonges, et de faits divers montés en épingle, comme même des nationalistes identitaires européens n’oseraient pas rêver, déchaîne en effet passions et affects, voire appels au lynchage, contre les syriens en exil sur le territoire turc. Rien n’est épargné, et selon la “couleur” politique, les arguments volent plus ou moins haut, tous s’accordant pour accuser “les chiens d’avoir la rage”.
Cette campagne, où d’un coup la presse muselée peut lancer son venin, où les médias sous tutelle et aux ordres peuvent soudain avoir une liberté apparente d’écriture et de parole, n’est pas simplement le fruit d’une exaspération qui serait populaire et répandue, contre la présence des réfugiés. Elle donne faussement l’impression qu’Erdogan serait brutalement isolé dans une politique “d’accueil”, qui serait largement critiquée. Et comme pour en rajouter, le régime AKP a laissé entendre qu’il pourrait procéder à des “naturalisations massives”, soulevant en cela des protestations virulentes.
Inutile pourtant de rappeler, qu’Erdogan n’a jamais eu une once de politique d’accueil en direction des réfugiés syriens. S’il a effectivement dans un premier temps vu d’un bon oeil l’effet d’aubaine que constituait une main d’oeuvre quasi gratuite, et l’arrivée en Turquie de fonds d’investisseurs syriens empêchés d’empocher leurs bénéfices en temps de guerre, s’il a aussi tenté de se mettre dans la poche une partie des Syriens aisés qui ont cherché refuge, on sait aussi qu’il a favorisé via des mafias en tous genres, l’exode vers la Grèce, qui a conduit au chantage que l’on connaît avec l’UE.
Il a aussi, et c’est utile de le rappeler, toujours insisté pour que des camps soient installés dans des “zones tampons” que l’armée turque aurait contrôlés bien sûr, comme par hasard, en territoire kurde syrien… Fort heureusement jusqu’alors sans réel succès. Dans d’autres cas, il a exproprié pour installer des camps dans des régions où des populations issues de minorités turques étaient majoritaires…Toujours dans le souci de diviser…
Mais de réelle politique d’accueil, côté Erdogan, on peut chercher, malgré tous les mensonges, on ne trouvera jamais trace, contrairement à tous les témoignages par contre sur l’exploitation humaine, la prostitution, le “travail” des enfants, la “disparition” de mineurs… sans compter les morts en Méditerranée… etc.
Ne pas voir d’où vient le coup relève de la politique de gribouille
Croire que l’on aurait atteint d’un coup un “effet de seuil”, comme les xénophobes aiment partout à le souligner, et qu’il y aurait “naturellement” et mécaniquement une exaspération populaire que la presse se contenterait de relayer, serait oublier qu’il y a peu encore, la presse était sous contrôle, et qu’on peut s’interroger sur sa “liberté” revenue pour l’occasion. Laisser croire enfin, qu’une opposition à Erdogan se cache derrière cet élan xénophobe est une pure imbécilité politique.
Erdogan joue les pompiers pyromanes pour créer des fronts improbables, et dans le même temps monter les uns contre les autres, en instrumentalisant les “réfugiés”. Cela ne fait que mettre en lumière sa désormais maîtrise des situations, et sa capacité à jouer tant avec les ultra nationalistes qu’avec les sociaux libéraux kémalistes, contre TOUTES les minorités culturelles, ethniques, politiques, sociales de Turquie, et bien sûr leurs représentations.
Vouloir rentrer dans cette pseudo polémique, ce nationalisme xénophobe, tenter de contrer un à un les arguments bidons, serait y contribuer et tomber dans le piège politique tendu par Erdogan. Le seul argument qui vaille, c’est de souligner la responsabilité de l’AKP et de son Sultan dans le conflit syrien, et du refus ensuite d’en assumer les conséquences, en adoptant une politique d’accueil digne des réfugiés de guerre. L’argument vaut tout autant pour l’UE.
C’est aussi de souligner que créer un arc populiste xénophobe aujourd’hui, permet de le retourner aussi contre la minorité politique, dont déjà les députés sont menacés d’emprisonnement pour complicité de terrorisme.
Personne ne niera qu’accueillir plusieurs millions de réfugiés n’est pas si simple. Cela demande de mobiliser des énergies et les meilleures. Déclencher une nouvelle guerre intérieure contre eux ne permettra pas d’avancer d’un pouce, sinon de permettre à Erdogan de jouer à son avantage sur tous les tableaux.
Son chantage à la finance en direction de l’UE va, par effet d’optique, se trouver facilité, avec l’argument d’un “mécontentement soit disant populaire”. Sur le plan intérieur, l’os à ronger donné aux ultra nationalistes, comme aux kémalistes “nationaux républicains” va lui permettre de pousser plus loin son offensive contre sa réelle opposition, et finir de la réduire. Ajouter une nouvelle guerre intérieure à la guerre réelle que l’armée mène déjà contre les minorités est certes jouer avec le feu, mais à terme pour Erdogan une garantie d’aller plus avant dans la destruction de tous les gardes fous démocratiques qui subsisteraient encore.
Le délire nationaliste, allié à l’instrumentalisation des xénophobies populistes, est une carte jouée par Erdogan.
L’opposition démocratique elle, l’a bien compris, même si elle a bien failli elle aussi tomber dans le piège (demande d’un référendum sur les réfugiés par Demirtas, fort opportunément retirée et démentie).
L’intervention d’une députée montre la voie de la raison à suivre, et du combat politique à engager, fidèle à celui mené depuis deux ans… C’est le sens du discours, au nom du HDP, de la député Hüda Kaya, qui montre que l’opposition à Erdogan peut se faire sur une base de solidarité avec les réfugiés, et non contre eux.
Puisque j’ai pris la parole pour parler des réfugiés syriens, je souhaite exprimer également ceci : Nous n’allons jamais faire aucune concession devant les propos haineux et anti-réfugiés provenant des milieux aussi bien de droite que de gauche. Face à ces propos, nous disons « Nous sommes tous Syriens ».
Nous savons très bien que le pouvoir voit les réfugiés comme une marchandise à vendre ou à acheter, le monde le sait, les réfugiés syriens le savent.
Le statut de réfugié, et la naturalisation sont des droits. Ce n’est pas seulement le cas pour les syriens, mais un droit humain pour tous les réfugiés, pour tous ceux qui sont obligés de migrer dans d’autres pays, qu’ils proviennent de l’Afrique d’Asie ou du Moyen-Orient. Il ne peut pas être instrumentalisé.
Nous connaissons très bien, les tentatives de lynchages ciblant les réfugiés syriens, les enfants virés des tentes de repas de Ramadan des Mairies, en plus, des Mairies AKP, les réfugiés dont les maisons sont endommagées, ou qui sont expulsés de leur abris, ceux qui sont évacués des villes sous prétexte qu’ils gênent le tourisme, ceux qui sont torturés aux frontières, emprisonnés, mêmes tués…
Les propos et pratiques xénophobes et haineux, apparaissent malheureusement sous nos yeux comme une réalité de la société dans laquelle nous vivons.
La Turquie appartient autant aux Syriens qu’elle appartient aux habitants de Turquie. La Turquie est autant aux Turcs qu’aux Kurdes, aux Arabes, aux Syriaques, aux Laz, aux Arméniens… Nous disons « Nous sommes tous Syriens, nous sommes tous réfugiés.
Et, je voudrais m’adresser particulièrement aux camarades du CHP et du MHP : Si vous dites, nous ne voulons pas de réfugiés, il fallait ne pas dire oui à la guerre. Ce qui arrive est la conséquence de votre approbation des politiques de guerre.
Cette députée du HDP, connue pour son port du foulard, pourrait paraître à contre emploi, pour qui voudrait plaquer de faux débats européens sur l’image d’une femme pour qui le combat politique démocratique, y compris féministe, passe avant l’étendard islamiste identitaire…
Cette campagne pourrait bien donner des idées à d’autres en Europe, et encourager des gouvernements glissant déjà ouvertement vers l’extrême droite. Elle pourrait tout autant déteindre sur les “nationaux républicains”, pour qui l’accueil n’a jamais été un combat prioritaire.
Ne comptez pas sur nous pour la recherche du “contre argumentaire”, dans ce minestrone xénophobe. Nous en resterons à la condamnation des guerres au Moyen Orient, des responsabilités internationales et régionales, du refus d’en assumer les conséquences, tout en réaffirmant l’accueil et l’ouverture des frontières, le plus largement possible. Le reste serait un combat contre les moulins, sous le regard d’un Erdogan enchanté des nouvelles fractures ouvertes.
Les réfugiés ne devraient pas être montrés comme un “problème” pour l’humanité qui doit les accueillir. Les guerres pour les énergies fossiles qui les chassent sont elles, le problème. Les états/nations qui les mènent contribuent davantage encore entre autres à le creuser.