La com­mu­nauté LGBTI (Les­bian Gay Bisex­u­al Trans­gen­der and Inter­sex peo­ple) fait encore et tris­te­ment les gros titres de l’actualité en ce début d’été 2016, après qu’un atten­tat a fait 49 vic­times dans une boîte de nuit gayfriend­ly d’Orlando en Floride. Et cet atten­tat ne représente que la par­tie émergée de l’iceberg nom­mé homo­pho­bie. D’autres événe­ments moins spec­tac­u­laires mais tout aus­si révéla­teurs de l’avancée sociale en la matière s’accumulent.

La Car­o­line du Nord vient d’adopter une loi inter­dis­ant désor­mais aux per­son­nes trans­gen­res d’utiliser les WC publics cor­re­spon­dant à l’identité à laque­lle elles s’identifient. Le gou­verne­ment français a demandé à la com­mu­nauté LGBTI de reporter la Marche des fiertés de Paris prévue le 2 juil­let afin de ne pas empiéter sur l’Euro, tan­dis que la Turquie a tout sim­ple­ment refusé à la Marche des fiertés d’Istanbul du 26 juin d’avoir lieu cette année pour des raisons de sécu­rité et de main­tien de l’ordre pub­lic trop sou­vent invoquées.

La Turquie ne fait pas par­tie de la liste des 76 pays où l’homosexualité con­stitue un crime, comme c’est le cas par exem­ple au Maroc, au Yémen, en Ara­bie Saou­dite ou en Malaisie.1Dans cer­tains de ces pays, l’homosexualité est pas­si­ble de peines d’emprisonnement (par­fois à per­pé­tu­ité), d’amendes, de châ­ti­ments cor­porels, voire de peine de mort. D’un point de vue juridique, la Turquie tolère et pro­tège tous ses citoyens sans excep­tion. Elle est sig­nataire de plusieurs traités sur les droits de l’homme et a inscrit les valeurs d’égalité et de lib­erté dans sa Con­sti­tu­tion. Pour­tant, dans la réal­ité, la sit­u­a­tion de la com­mu­nauté LGBTI y est pour le moins con­trastée, pour ne pas dire schizophrénique.

[vsw id=“vfz5x4D53HM” source=“youtube” width=“640” height=“344” autoplay=“no”]
Le teas­er de la Istan­bul Pride 2016 augu­rait un événe­ment festif

On trou­ve à Istan­bul une com­mu­nauté LGBTI en apparence épanouie. Il n’est pas rare de crois­er au détour d’une rue des per­son­nes trans­gen­res en jupe et talons hauts. Le monde de la nuit regorge de clubs qui s’affichent gayfriend­ly et qui n’hésitent pas à organ­is­er des soirées LGBT. À titre per­son­nel, la lib­erté et la mix­ité qui règ­nent au cœur de la vie noc­turne stam­bouliote m’ont forte­ment inspiré cet arti­cle. Mais… (il y a beau­coup de « mais » quand on par­le de la Turquie, à croire que ce mot a été inven­té pour elle). Mais il n’est pas sat­is­faisant pour un indi­vidu de devoir atten­dre la nuit pour vivre sans se cacher. Puis, pour repren­dre une remar­que sou­vent enten­due à rai­son, Istan­bul n’est pas représen­ta­tive de toute la Turquie, et enfin, l’interdiction de la Gay Pride 2016 est une déci­sion gou­verne­men­tale. Alors l’État turc, gayfriend­ly ou homophobe ?

Sous de nom­breux aspects, la bal­ance penche du bon côté. La Turquie est l’un des pays les plus libéraux du Moyen-Ori­ent et l’un des plus sûrs pour la com­mu­nauté LGBTI. D’ailleurs, il accueille un nom­bre impor­tant de réfugiés sex­uels. Sou­vent oubliés, les réfugiés pour motif de per­sé­cu­tion et de mise en dan­ger liées à une iden­tité sex­uelle représen­tent 2 à 3% des deman­deurs d’asile en Union européenne.

Par­mi eux, il y en a qui choi­sis­sent de trou­ver refuge en Turquie, à la fois plus libre et plus proche de leur cul­ture. Vu de l’extérieur, la Turquie parait être un petit par­adis pour les LGBTI. Cen­sés être pro­tégés par la juri­dic­tion nationale, ils peu­vent aus­si espér­er une meilleure inté­gra­tion sociale. La société turque, fondée sur la laïc­ité, est générale­ment ouverte et tolérante. Plusieurs mem­bres de la com­mu­nauté LGBTI y sont même des fig­ures très pop­u­laires, comme la chanteuse trans­sex­uelle Bülent Ersoy que les Turcs surnom­ment « la Diva » et qui a même été invitée à dîn­er à la table du prési­dent Erdoğan le dimanche 20 juin 2016 pour l’iftar (rup­ture du jeûne du ramadan), alors que le même jour celui-ci venait d’interdire la Marche des fiertés d’Istanbul.

tweet bulent ersoy erdogan ramadan

L’État turc joue en fait un dou­ble jeu avec la com­mu­nauté LGBTI : il se revendique ouvert et démoc­ra­tique, mais sournoise­ment, il la mar­gin­alise. Le par­ti islamo-con­ser­va­teur AKP au pou­voir depuis 2002, loin de vouloir faire pro­gress­er les choses, instru­men­talise cer­tains con­cepts flous du droit pour cen­sur­er voire con­damn­er les LGBTI.

Il n’existe aucune loi pour pro­téger les per­son­nes LGBTI des dis­crim­i­na­tions à l’embauche, à l’éducation, au loge­ment, aux soins, aux ser­vices publics ou au crédit. Et il n’existe pas non plus d’article inclu­ant les dis­crim­i­na­tions envers les per­son­nes LGBTI dans la loi sur les crimes de haine. La loi sur l’obscénité inter­dit de faire l’apologie de toute rela­tion sex­uelle anor­male, c’est-à-dire de toute rela­tion ne se réduisant pas à un acte de péné­tra­tion d’un homme sur une femme. Ain­si, ces per­son­nes sont tou­jours à la lim­ite de la légal­ité. Il n’est pas rare que des policiers rack­et­tent des pros­ti­tuées LGBTI car, si la pros­ti­tu­tion est légale en Turquie, elle est soumise à une autori­sa­tion délivrée indi­vidu­elle­ment et qui est presque tou­jours refusée aux LGBTI.

En stig­ma­ti­sant ain­si les LGBTI, l’État ouvre la voie pour que l’ensemble de la société pra­tique et jus­ti­fie des actes de dis­crim­i­na­tion. Ain­si, les actes de haine à leur encon­tre se per­pétuent, notam­ment dans les provinces plus conservatrices.

turquie-arrestation-gaypride

Des policiers inter­pel­lent une mil­i­tante de la cause LGBT pen­dant la Istan­bul Pride 2016
Pho­to d’Ozan Köse, AFP

Après que la Gay Pride de 2015 fut vio­lem­ment réprimée par les forces de l’ordre à Istan­bul, un groupe islamiste d’Ankara a plac­ardé des affich­es menaçant de mort les homo­sex­uels partout dans la cap­i­tale. Encore cette année, le jour où la Gay Pride devait avoir lieu, un petit groupe d’islamistes rad­i­caux par­courait les rues d’Istanbul avant que cer­tains ne soient arrêtés, mais l’un d’entre eux est tout de même par­venu à brûler un dra­peau LGBT sur la place publique.

La haine de l’autre a même par­fois con­duit au crime d’honneur. En 2008, Ahmet Yıldız, jeune homme homo­sex­uel, a été tué par son père car il avait déshon­oré sa famille, d’autant plus qu’il avait refusé de se faire « soign­er ». Le père n’a jamais été con­damné faute d’avoir été retrou­vé (mais les autorités l’ont-elles vrai­ment cher­ché ?), et seuls des mem­bres d’associations LGBTI étaient présents à ses funérailles.

Gayfriendly

Expo­si­tion « Les Vies Cen­surées – Les his­toires effron­tées de l’âme Queer » de Xecon Uddin à la Mairie du Xe (Paris) @danielnassoy.com

Enfin, les deux prin­ci­pales asso­ci­a­tions pour les droits et la pro­tec­tion des LGBTI, Kaos GL (mou­ve­ment turc) et Hévi LGBTI (mou­ve­ment des Kur­des de Turquie) pointent du doigt le cas des per­son­nes qui cumu­lent plusieurs iden­tités prob­lé­ma­tiques, comme celles d’être LGBTI + réfugié ou LGBTI + Kurde.

Ces dou­bles « tares » les mar­gin­alisent d’autant plus et les empêchent sou­vent de revendi­quer leurs droits. Les réfugiés en Turquie ont un statut très pré­caire. Ils sont sou­vent envoyés dans des villes d’accueil se situ­ant dans des régions tra­di­tion­al­istes, sans ressources ni loge­ment, alors for­cés à dormir dans la rue et exposés à la vio­lence, notam­ment si leur iden­tité sex­uelle est révélée.

Con­cer­nant les Kur­des, il est inutile de rap­pel­er qu’ils ne jouis­sent pas des mêmes droits que les citoyens turcs de Turquie. Un exem­ple révéla­teur : l’association Hêvi LGBTI a fail­li être inter­dite non pas parce qu’elle défendait les droits LGBTI mais parce que « Hêvi » est un mot kurde qui sig­ni­fie espoir, et que l’emploi de la langue kurde est très, très régle­men­té en Turquie. De plus, beau­coup de familles kur­des sont ultra-con­ser­va­tri­ces et, pour elles, l’homosexualité est tout sim­ple­ment incon­cev­able. Hêvi LGBTI se bat ain­si pour que cha­cun puisse porter fière­ment son iden­tité, qu’elle soit sex­uelle ou eth­nique. L’association tient cepen­dant à sig­naler les avancées spec­tac­u­laires de la com­mu­nauté kurde en la matière. En 2013, une Gay Pride a ain­si pu être organ­isée sans débor­de­ments dans la ville de Diyarbakır, chef-lieu du Kur­dis­tan turc.

Ain­si, la poli­tique qui sem­ble l’emporter en Turquie envers la com­mu­nauté LGBTI est celle du « Vivez heureux, vivez cachés ». Or, réduire quelqu’un au silence, c’est nier son exis­tence. Les Gay Pride n’ont pas d’autre sig­ni­fi­ca­tion que celle d’arborer fière­ment son iden­tité, pour ne plus avoir honte de qui l’on est. Dans les pays comme la Turquie, on peut imag­in­er que beau­coup de per­son­nes homo­sex­uelles n’assumeront jamais leur iden­tité car elles auront intéri­or­isé l’immoralité que cela con­stitue, et men­tiront toute leur vie en se forçant à men­er une vie de famille « normale ».

Exposition Les Vies Censurees 2 Gayfriendly

Expo­si­tion « Les Vies Cen­surées – Les his­toires effron­tées de l’âme Queer » de Xecon Uddin

Remer­ciement à la mairie du Xe arrondisse­ment de Paris pour avoir organ­isé plusieurs man­i­fes­ta­tions sur le thème : « Regards sur les per­sé­cu­tions des per­son­nes LGBT à tra­vers le monde », et qui a notam­ment réu­ni Hayriye KARA, juriste, chargée du pôle des réfugiés de l’association KAOS GL et Can KAYA, prési­dent-fon­da­teur de l’association HEVI LGBTI, pour une con­férence sur l’histoire et l’actualité des mou­ve­ments LGBTI en Turquie le jeu­di 30 juin 2016.

 

Arti­cle ini­tiale­ment paru dans Man­i­festo XXI


Bonus :

Istan­bul Solidarité !
Une vidéo cap­tée lors de la fin du par­cours de la Pride de Nuit du 28/06/2016. Un cri de sol­i­dar­ité transcontinental !
(Crédits vidéo Chris­tine Rougemont)

[vsw id=“gHjE5ivnJgQ” source=“youtube” width=“640” height=“344” autoplay=“no”]

Auteur(e) invité(e)
Auteur(e)s Invité(e)s
AmiEs con­tributri­ces, con­tribu­teurs tra­ver­sant les pages de Kedis­tan, occa­sion­nelle­ment ou régulièrement…