La Punk Pat­ti Smith est passée par Istan­bul. 2500 stan­bouliotes l’ont écoutée le 23 juin. Mais de quelle façon ?

Zülâl Kalka­n­de­len, auteure de musique, fidèle à son coeur punk, se révolte et met le doigt sur une réal­ité con­tre laque­lle les chats de Kedis­tan feu­lent avec colère à toutes occa­sions. Amer­tume ou tristesse ?

Vous pouvez lire la version en turc sur kulturservisi.com

Temps de tristesse pour ceux qui ont gardé leur esprit punk

Dans mon aven­ture d’auteure de musique de plus de 20 ans, c’est la pre­mière fois que j’écris mon avis sur un con­cert que je n’ai pas suivi. Mais la tristesse dont je par­le dans le titre, n’est pas pour ne pas être allée au con­cert, mais parce que hier, à Istan­bul, le punk rock s’est enter­ré vivant.

Depuis 2015, une tournée mon­di­ale célèbre les 40 ans de l’album « Hors­es » de Pat­ti Smith, con­sid­érée comme « la grand-mère du punk rock », qui a influ­encé l’histoire de la musique pro­fondé­ment. L’année dernière, en rédi­geant un arti­cle sur l’album, je n’arrêtais pas de dire qu’Istanbul devrait être inté­gré dans cette tournée. Finale­ment, il y a quelques mois, quand le pas­sage de Pat­ti Smith à Istan­bul a été annon­cé, j’ai ressen­ti la joie et la tristesse en même temps. Parce qu’il a été annon­cé que le con­cert allait se pass­er à Zor­lu PSM.

[Zorlu PSM : Centre des Arts de Performance et salle de concert au sein du centre commercial Zorlu, appartenant à Zorlu Holding qui est un des plus gros groupes turcs, actuellement dirigé par Ahmet Zorlu. Le holding est présent dans le secteur des appareils électroménagers et l’électronique, entre autres et des drones armés (Vestel). Mais aussi textile, services financiers, et énergie (centrales au gaz, l’hydraulique, l’éolien et la géothermie]

patti smith istanbul zorlu 3 punk

Et hier soir, « Hors­es », un des chef d’oeuvres du punk rock, sym­bole anti-sys­tème a été joué au sein du Cen­tre Com­mer­cial Zor­lu, sym­bole du pil­lage urbain par excellence.

A pro­pos de cet événe­ment qui a sec­oué ma foi dans ces musi­ciens, j’ai partagé plusieurs fois mon sen­ti­ment, sur les réseaux soci­aux. Mais puisqu’on m’a demandé de faire un bil­let, j’ai pen­sé qu’il serait utile d’ex­primer tout cela. Parce que, même si nous ne sommes pas nom­breux, je sais qu’il y en a d’autres qui ressen­tent comme moi, et que celles et ceux qui ont gardé l’esprit punk en eux, ne sont pas insen­si­bles à la trahi­son faite au « Hors­es » et au dou­ble stan­dard exposé face au pil­lage urbain.

Le symbole du pillage urbain à Istanbul : Zorlu Center

Pour ce bil­let il n’est pas utile d’entrer dans les détails, mais il faudrait résumer pourquoi Zor­lu Cen­ter dérange. Les médias ont plusieurs fois relayé le fait que ce lieu est con­sid­éré « con­struc­tion illé­gale » car il avait obtenu une autori­sa­tion “non-con­forme”. Les con­ver­sa­tions télé­phoniques du Min­istre de l’Environnement et de l’Urbanisme, Erdoğan Bayrak­tar et le Directeur de la Com­mis­sion de Pro­tec­tion des Etres de la Nature n°2, et le Con­seiller du Min­istère, avaient été égale­ment pub­liées. Si un livre qui par­le du pil­lage urbain effec­tué ces 14 dernières années, sous le régime AKP, parais­sait, il faudrait réserv­er un chapitre bien épais pour le Zor­lu Center.

zorlu center istanbul punk

Je n’ai jamais mis mon pied dans ce cen­tre com­mer­cial lux­ueux, qui défait la sil­hou­ette de la ville. Mais si on se base sur ce qui est partagé sur les réseaux soci­aux, il est devenu avec ses restau­rants spec­tac­u­laires, ses mar­ques coû­teuses, et sa salle de con­cert, un des lieux favoris des gens branchés. C’est intéres­sant de voir que celles et ceux qui courent au cen­tre com­mer­cial Zor­lu, avec des pré­textes du genre « La glace qu’on vend là bas, est trop bonne ! », « Les sièges de la salle de con­cert sont très con­fort­a­bles ! », « Sig­ur Ros joue là-bas ! », sont en grande par­tie des gens qui s’op­posent au pil­lage urbain, et qui ont par­ticipé aux protes­ta­tions con­tre la fer­me­ture du Ciné­ma Emek… La bizarrerie com­mence d’ailleurs là. Celles et ceux qui ne se sont jamais appro­priés ces prob­lèmes, qui ont tou­jours dit « Je m’en fiche, moi je vis ma vie », sont en fait, cohérents. Les per­son­nes qui font l’objet de cet arti­cle, sont celles qui mon­trent le poing gauche et frap­pent du poing droit…

La concession faite pour les intégristes homophobes

Celles et ceux qui ont accep­té la con­struc­tion illé­gale de Zor­lu Cen­ter, en dis­ant « Quel lieu appar­tenant aux Hold­ings est sans prob­lème ? Que doit-on faire ? Ne plus aller aux con­certs ? », ont aus­si accep­té l’année dernière, l’annulation du con­cert du Choeur Gay de Boston. Alors que les bil­lets étaient déjà en vente, le con­cert avait été annulé par Zor­lu PSM, suite aux pub­li­ca­tions dans les jour­naux proches du pou­voir, telles que « Le Choeur con­sti­tué seuls d’hommes déviants homo­sex­uels, don­nera la pre­mière fois un con­cert dans un pays musul­man. En Turquie, et en plus au mois de Ramadan ! ». C’était déjà un mail­lon de la chaîne, qui con­tin­ue jusqu’à l’agression d’un dis­quaire à Firuza­ğa, la semaine dernière. L’au­di­teur-trice pro­gres­siste du pays, n’a pas réa­gi à cela non plus.

Juste à ce moment là, Bruce Spring­steen tra­verse mon esprit. Après la mise en vigueur d’une nou­velle loi anti gay, le boss a annulé son con­cert à North Car­oli­na aux Etats-Unis, et il a dit : « Cer­taines choses sont plus impor­tantes qu’un con­cert de rock et ce com­bat con­tre les préjugés et l’intolérance, qui se pro­duit au moment où j’écris, est l’un d’eux. C’est la manière la plus forte que j’ai de faire enten­dre ma voix con­tre ceux qui préfèrent nous faire reculer plutôt que d’aller de l’avant. »

Ensuite, d’autres artistes comme Bryan Adams, Pre­al Jam ont aus­si annulé leurs con­certs avec la même réac­tion. Avez-vous déjà enten­du un‑e musi­cien-ne quel­conque pro­test­er con­tre le Zor­lu PSM, en Turquie ? Avez-vous été témoins de com­bi­en de per­son­nes qui mon­trent la déter­mi­na­tion de ne pas suiv­re de con­certs là-bas, pour ces raisons ? Avez vu lu quelque part, les réac­tions des musi­cien-nes gays de notre pays con­tre Zor­lu PSM ? La lutte ne peut pas se faire seule­ment en partageant des dra­peaux arc-en-ciel sur des réseaux soci­aux. Il y a des choses plus impor­tantes que des con­certs et l’argent, et rehauss­er sa voix con­tre l’intégrisme en est une.

Je ne vais pas par­ler de l’irrégularité com­mise par Zor­lu, ‑qui est aus­si pro­prié­taire de Vestel, pro­duc­teur d’aéronefs armées sans humain- sur le ter­rain util­isé pour y con­stru­ire une vil­la per­son­nelle, alors que l’autorisation de con­struc­tion avait été obtenue en déclarant “la con­struc­tion d’un musée”. Les curieux-ses peu­vent trou­ver ces infos sur Google.

Il faut donc com­pren­dre qu’en Turquie, la musique est dev­enue une sorte « d’instrument à blanchir l’argent ». Après tout ce que j’écris, le point qui me blesse le plus est celui-ci. Un lieu, même si son nom est mêlé à des sales affaires, s’il organ­ise le con­cert d’un artiste célèbre, est blanchi avec des émoticônes d’applaudissement, et le hash­tag #zor­lu… Tout d’un coup, le flux se trou­ve rem­pli de volon­taires faisant la pub de Zor­lu. Des foules de gens, noient sous des louanges, le hold­ing qu’elles n’ont pas une seule fois cri­tiqué pour la con­ces­sion don­née aux inté­gristes homo­phobes, ou pour le pil­lage urbain.

Punk Rock antisystème et Zorlu

Revenons au con­cert de Pat­ti Smith…

Cette année, dans le monde, les 40 ans du punk rock sont célébrés. Dans la deux­ième moitié des années 1970, un groupe de jeunes, avait attrapé leurs gui­tares et hurlé leur révolte con­tre les con­traintes de la société dans laque­lle ils vivaient, et la volon­té de chaque indi­vidu pour dessin­er son pro­pre chemin. Bien qu’ils n’avaient même pas imag­iné que cette pos­ture se trans­formerait avec le temps, en un courant, leur influ­ence sur la société fut grande. Et Pat­ti Smith, a été une des meneur-ses punk anti­au­tori­taires, avec son album « Hors­es » qu’elle avait soigneuse­ment tis­sé. Des années plus tard, en faisant des sug­ges­tions à ses fans, « Pour garder votre nom sans tâche, prenez les bonnes déci­sions » dis­ait-elle. Quand je l’avais vue à l’époque de Bush, chanter « Poe­ple Have the Pow­er » de tous ses poumons, dans les rues de New York, une lumière d’espoir était apparue en moi. Elle dis­ait que les gens avaient le pou­voir de chang­er le monde. Je l’avais crue. Elle a chan­té la même chan­son hier, dans la salle de con­cert au sein du cen­tre com­mer­cial Zor­lu, Pat­ti Smith.

Si j’avais enten­du cette chan­son là-bas, j’aurais pu per­dre ma foi en musique.

Un de mes amis m’avait dit que je don­nais aux chan­sons plus d’importance que les musi­cien-nes, et que je don­nais à la musique, plus de valeur qu’elle ne pos­sède. Il avait peut être oublié qu’il par­lait avec une folle de musique, qui voit les chan­sons comme ses amis les plus proches, et qui prend le soin de garder son esprit punk.

« La musique est aujourd’hui, juste une fac­teur d’amusement. Et ce aus­si bien pour l’organisateur que le musi­cien. » dis­ait-il. Il expri­mait peut être la réal­ité amère, mais je fais par­tie des gens qui croient encore, qu’on peut résis­ter avec la musique. J’avais écrit dans un de mes bil­lets : « La musique est une tem­pête sans vio­lence, elle devient la voix du peu­ple, sa con­science, et s’inscrit dans l’Histoire, se grave dans la pen­sée cul­turelle. Le musi­cien devient à tra­vers les paroles, le sym­bole de la con­science col­lec­tive de la généra­tion à laque­lle il appar­tient. Ceci est le point le plus cri­tique dans le rôle social de la musique. Si la con­science col­lec­tive est gardée vivante et trans­mise d’une généra­tion à l’autre, des choses peu­vent chang­er le monde ».

patti smith istanbul gezi punk

Le fait que Pat­ti Smith joue à Zor­lu, est, à sa 40ème année, une trahi­son envers l’esprit punk.

Un‑e artiste punk, doit pour­suiv­re la révolte qu’il-elle a com­mencée au coeur du cap­i­tal­isme néolibéral, aus­si dans une société colo­nial­isée par le cap­i­tal­isme néolibéral. Je n’attendrais pas cela d’un‑e musi­cien-ne qui fait du pop com­mer­cial, mais nous avons le droit de le revendi­quer d’une artiste auteure, poétesse, et qui est con­sid­érée comme la grand-mère du punk rock. Elle n’est pas une artiste insen­si­ble à ce qui se passe dans les pays où elle réalise des con­certs. Je n’ai pas oublié le sou­tien qu’elle a don­né lors de la Résis­tance Gezi. C’est pour cela que mon attente était élevée et ma décep­tion fut forte.

Ni l’esprit, ni les pen­sées de Pat­ti ne sont ordi­naires, et elle est une poétesse rare, capa­ble de crois­er son coeur féminin caché sous son apparence mas­cu­line, avec une intel­li­gence révoltée, une artiste qui casse les clichés. C’est pour cela que le pas­sage de « Hors­es » à Zor­lu, au 40ème anniver­saire du punk rock, m’a pesée lourd. Récem­ment, un jeune ami étu­di­ant me dis­ait sur ce con­cert, et sur le fait qu’une chan­son de Buz­zcocks soit autorisée pour une pub­lic­ité de Mc Donald’s, « J’avoue que je ne voudrais pas être à votre place. Grandir avec la musique punk, et être poignardés au dos, à plusieurs reprises… »

sex pistols carte de credit virgine

Mon coeur était déjà brisé en voy­ant qu’une banque avait imprimé la pochette célèbre d’un album de The Sex Pis­tols, sur leur carte de crédit, et avait com­mer­cial­isé celle-ci avec le slo­gan “Il est temps pour les con­som­ma­teurs de met­tre un peu de rébel­lion dans leur poche”.

Aujourd’hui, mal­heureuse­ment, une per­son­ne qui déchire sa chemise, qui attache des épin­gles à nour­rice ou qui se coiffe dans le style punk, peut se revendi­quer du punk sans con­naitre le sens de l’esprit punk. Or le punk est une pos­ture. Comme l’historien du punk et musi­cien John Robb dit « C’est une musique faite par le peu­ple et pour le peu­ple. Le punk est acéré, ils ne mâche pas ses mots, il est exci­tant. Tout ce que la pop ne pos­sède pas, se trou­ve dans le punk. La pop est com­mer­cial et stérile. Punk n’est rien de tout cela, il est le contraire. »

Le fait que cette musique révoltée, qui con­teste les oppres­sions de la société, faite pour le peu­ple, soit assim­ilée, vidée de sa vraie iden­tité, et jouée dans des cen­tres com­mer­ci­aux illé­gaux, lux­ueux et stériles, est une honte. Je résiste pour porter « Hors­es » dans mon coeur, dans son état pur d’il y a 40 ans.

Con­tre tout, préservez le punk qui est en vous !

Je voudrais finir ce bil­let par des ques­tions dont je suis curieuse des réponses.

  • La musique, est-elle seule un instru­ment d’amusement ?
  • Com­ment la pos­ture soumise et le dou­ble stan­dard face au pil­lage urbain peut être subvertie ?
  • Si la Caserne de Topçu [pro­jet de cen­tre com­mer­cial con­testé par les résis­tants de Gezi] se con­stru­it à Tak­sim, avec un joli salle de con­cert en son sein, y don­ner­iez-vous des con­certs ? Si un groupe que vous aimez joue dans ce lieu, irez-vous les écouter ?

zulal-kalkandelen Zülâl Kalka­n­de­len
Jour­nal­iste, auteure, cri­tique musi­cale, ani­ma­teur de radio.

 


Bonus des chats qui griffent :

[vsw id=“pPR-HyGj2d0” source=“youtube” width=“640” height=“344” autoplay=“no”]

Dans ma rêverie, je rêvais | D’un concept clair et juste | Et mon sommeil, il a été brisé | Mais mon rêve, lui, perdurait tout près | Sous forme de vallées étincelantes | Où l’air pur était reconnu | Et mes sens tout récemment ouverts | Je me suis réveillée au cri | Selon lequel C’est le peuple/qui a le pouvoir | Qu’il faut expier/l’œuvre des imbéciles | Sur les humbles/la pluie de grâces | C’est décrété/le peuple règne
Le peuple a le pouvoir…
Les aspects vindicatifs sont devenus suspects | Tout comme se pencher bien bas comme pour entendre | Et les armées ont cessé d’avancer | Parce-que le peuple s’est servi de son oreille | Et que les bergers et les soldats | S’allongent sous les étoiles | En échangeant des visions | Et ont déposé les armes | Gaspiller/dans la poussière | Sous forme de/vallées étincelantes | Où l’air pur/est reconnu | Et où mes sens/tout récemment ouverts | Je me suis réveillée/au cri
 peuple a le pouvoir…
Là où il y avait des déserts | J’ai vu des fontaines | Comme de la crème les eaux montent | Et nous flânions là-bas, ensemble | Sans se moquer ni critiquer personne | Et le léopard | Et l’agneau l Se couchent ensemble, vraiment attachés | J’espérais, dans mon espérance | Me rappeler de ce que j’avais trouvé | Dans ma rêverie, je rêvais | Que Dieu connaisse/une vue plus pure | Tandis que je m’abandonne à mon sommeil  | J’engage mon rêve pour toi
Le peuple a le pouvoir…
Le pouvoir de rêver/de régner | D’arracher les imbéciles au monde | C’est décrété, le peuple règne | C’est décrété, le peuple règne | ECOUTEZ | Je crois que tout ce que nous rêvons | Peut surpasser notre union
Nous pouvons faire tourner le monde | Nous pouvons faire la révolution terrestre | Nous avons le pouvoir
Le peuple a le pouvoir …
Traduction de mathias_m

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