Le pro­jet d’Er­do­gan pour la trans­for­ma­tion du pays, suit son cours. La Turquie se dirige vers un régime prési­den­tiel, par­ti unique, nation unique. Quand on rêve d’une nation à pro­fil mono­type, le for­matage com­mence dès le plus jeune âge. Les écoles “imam hatip” y pourvoiront.

La jeune République turque avait eu une démarche sim­i­laire. Fidèle aux principes d’Atatürk. Mais cette fois, les car­ac­téris­tiques de la “nation” sont dif­férentes, et l’in­tru­men­tal­i­sa­tion du religieux prégnante.

Mehmet OzhasekiIl y a quelques jours, Mehmet Özhase­ki, Min­istre d’Environnement et de l’Urbanisme s’est adressé aux enseignants et aux élèves durant l’inauguration de l’école imam hatip con­stru­ite par la Mairie de Melikgazi à Kayseri.

Une école imam hatip est un étab­lisse­ment d’en­seigne­ment sec­ondaire pro­fes­sion­nel pub­lic, des­tiné à la for­ma­tion des per­son­nels religieux musul­mans. Vous trou­verez ci dessous, un his­torique des écoles imam hatip et l’in­ter­view d’une enseignante qui y travaille.

Mais d’abord, écou­tons le Min­istre. Ce n’est pas un dis­cours à part, pronon­cé juste pour l’oc­ca­sion, mais un con­cen­tré des for­mules émis­es à toutes occa­sions, c’est la vision officielle.

L’histoire des écoles imam hatip est une his­toire de lutte pour la démoc­ra­tie. Ces écoles ont été fondées parce que le peu­ple dis­ait « Nous n’avons plus per­son­ne pour laver nos morts, et il n’y a plus per­son­ne qui sait lire le Coran ». Après, ils ont vu que tous le monde envoy­ait ses enfants dans les écoles imam hatip, alors ils ont essayé de couper le chemin. Ils ont essayé d’interdir le foulard, même dans les cours de Coran. Ils ont vu qu’ils n’y arrivaient tou­jours pas. Ils ont donc mis des coef­fi­cients sur les points des con­cours d’entrée de l’université, pour que les diplômés des imam hatip ne puis­sent pas aller à l’université.

Ces jeunes sont nos enfants, qu’ils soient aux col­lèges, aux lycées ana­toliens, sci­en­tifiques ou imam hatip. Ils sont tous, notre fierté, notre avenir.

Je con­nais les per­sé­cu­tions que les imam hatip ont subi, car j’ai été pen­dant de longues années, prési­dent de fon­da­tion pour ces écoles. Quand nous voulions con­stru­ire de nou­velles écoles, toutes les portes se fer­maient à notre nez, à com­mencer par les Pré­fec­tures et l’Education Nationale. Nous con­stru­i­sions alors les bâti­ments sco­laires, sans autori­sa­tion. En tant que per­son­ne qui a été Maire pen­dant des années, il est absurde que je dise cela, mais que voulez-vous, nous con­stru­i­sions le bâti­ment dans l’école, on le rem­plis­sait d’élèves, et on les met­tait devant le fait accompli.

Et lors du proces­sus du 28 févri­er, qu’est-ce qu’ils n’auraient pas fait pour les fermer… 

Grâce à Allah, nos enfants étu­di­ent, ils nous ren­dent fiers, ils s’approprient leur nation, leur Etat, ils respectent leur dra­peau, ils respectent l’ezan (appel au prière). Par­mi eux, vous ne pou­vez pas trou­ver facile­ment, de traitres à la patrie. Vous ne trou­verez surtout pas de gens comme ceux qui étu­di­ent dans les uni­ver­sités d’Etat et ensuite qui insul­tent l’Etat.

C’est désolant. Com­ment est-ce pos­si­ble que cet Etat offre l’enseignement à par­tir de l’école pri­maire, ensuite au col­lège et au lycée, puis enseigne à l’université, dépense de mil­lions de livres turques, et ces types qui ont prof­ité de tout cet enseigne­ment, insul­tent l’Etat. Regardez, ceux qui trahissent l’Etat sont sou­vent diplômés de l’université !

Quel mys­tère, que ce genre de can­ni­bales sor­tent de ces écoles. Grâce à Allah, la jeunesse de imam hatip étudie bien, regarde droit devant, aime sa nation, souhaite servir, et n’a aucun prob­lème avec son Etat.

Quelques con­seils aux élèves s’im­posent alors. Le Min­istre continue :

Pour la réus­site dans les études, il faut les qua­tre essen­tiels : la pâtis­serie de la mère, la bourse du père, le souf­fle de l’enseignant, la volon­té de l’élève. ( en turc : Annenin kete­si, babanın kesesi, hocanın nefe­si, talebenin hevesi)

Grâce à Allah, la sit­u­a­tion de votre père, même mod­este, est assez cor­recte pour vous envoy­er dans cette école, pour acheter des chaus­sures, des vête­ments. Vos mères ne vous lais­sent pas sans pâtis­series. Et nos pro­fesseurs sont très motivés, ils vous con­sacrent tout leur souf­fle. Il reste une seule chose, votre volon­té. Suiv­ez vos leçons autant que vous regardez la télé, vous restez sur Inter­net ou passez du temps avec vos amis, vous réussirez.

Le Min­istre com­pli­mente le Maire de Melikgazi, qui a envoyé des aides vers les villes kur­des au Sud est de la Turquie et en prof­ite pour nous expli­quer la situation :

Il y a un incendie dans le Sud Est. Là-bas, les ter­ror­istes ont tout détru­it et brûlé. Puisqu’ils n’avaient pas eu l’enseignement spir­ituel comme vous avez, ils ont suivi des organ­i­sa­tions ter­ror­istes, ils ont été trompés, et ces pau­vres sont mon­tés à la mon­tagne. Ensuite, ils sont devenus des jou­ets des grand pays. Et mal­heureuse­ment, armes en main, ils se sont affron­tés à nos force de sécu­rité et notre petit Mehmet (sol­dat ordi­naire, appel­la­tion pop­u­laire). L’Etat leur a don­né la réponse nécessaire.

L’Etat a claqué sa gifle puis­sante sur leur vis­age, et il les a mis à terre. Main­tenant, ils n’ont plus de force de se relever Inch’Allah. A par­tir de main­tenant, tout ce qu’ils pour­ront faire au mieux, c’est minable­ment de faire explos­er des bombes. Ils ne pour­ront pas faire des actions de masse de 100, 200 personnes.

Les 12 com­munes où ils essayaient de domin­er, sont main­tenant nick­el. Que Allah ne donne l’opportunité à ces traitres qui essayent de semer de la sédi­tion par­mi nous.

Que Allah ne laisse per­son­ne sans abri, sans mai­son, sans patrie. Main­tenant l’Etat les prend sous son aile de com­pas­sion. L’Etat a une main puis­sante et une main com­patis­sante. Main­tenant il est temps de tra­vailler avec la main com­patis­sante. Nous réparons, recon­stru­isons leurs maisons et nous pro­posons dif­férentes alter­na­tives. Mes amis Min­istres sont tous au Sud-Est. Per­son­ne ne rompt le jeûne chez lui. Ils sont à Silopi, à Sir­nak, à Cizre, à Sur, partout… Moi aus­si je suis là bas. Par ailleurs, non pas seule­ment les min­istres, mais aus­si nos organ­i­sa­tions de société civile font tout ce qu’elles peu­vent. Nous bâtis­sons des ponts de coeur, nous essayons de réin­staller la fraternité.

Notre coeur est grand, il y a de la place pour eux aus­si. En les enlaçant, nous voulons leur faire sen­tir qu’ils font par­tie de cet Etat et de cette nation. De toutes façons, don­ner est une par­tic­u­lar­ité de l’Islam.

N’est-ce pas magnifique ?

Si Kedis­tan en avait la pos­si­bil­ité, il traduirait plus de dis­cours de Min­istres, de Pre­mier Min­istre ou d’Er­do­gan. Ils sont telle­ment limpi­des qu’il n’est nulle­ment utile de les commenter.

Mais prof­i­tons en pour faire un petit his­torique sur les écoles imam hatip.

Les écoles imam hatip

  • L’histoire des écoles imam hatip vient des écoles religieuses ouvertes en 1913. Après un changement de loi en 1924, donc sous la jeune République turque, 29 écoles ont été ouvertes. Ces écoles, de niveau secondaire, avaient l’objectif d’enseigner aux futurs religieux, “éclairés, intellectuels et républicains”. La plupart des matière étaient scientifiques et langues étrangères, et les cours de religion étaient en second plan.
  • En 1929, il n’y avait plus que 2 écoles ouvertes. Et en 1930, les écoles imam hatip ont disparu par manque d’élèves inscrits.
  • Entre 1930 et 1948, l’enseignement religieux était à la charge des “cours de Coran” ouverts par le Diyanet (Direction des affaires religieuses). Mais suite à un rapport qui constatait l’inefficacité de ces cours pour former « des religieux intellectuels » en 1949, l’Education Nationale s’est chargée de la formation des employés religieux dans des imam hatip qui lui étaient attachés. La première année, donc en 1949, ces écoles acceptaient les hommes diplômés du secondaire et ayant fait leur service militaire, et elles ont formé en 10 mois, 50 religieux. Ensuite, la durée de l’enseignement a été portée à 2 ans.
  • Le DP, Parti Démocrate, arrivé au pouvoir en 1950, a tenu la promesse faite à ses électeurs, et a ouvert 7 “Ecoles d’imam hatip” (IHO) dans sa première année d’exercice. Elles donnaient un enseignement complet sur 7 ans, (4 ans dans le secondaire et 3 ans au lycée). En 10 ans, le DP a ouvert 19 écoles imam hatip.
  • En 1963, ces écoles ont commencé à accueillir aussi des élèves en pension, et en 1970, elles étaient 72, un peu partout dans le pays. 
  • Le gouvernement de reformes” formé après le mémorandum du 12 mars 1971, a fermé toutes les écoles secondaires professionnelles, y compris les imam hatip.Par conséquent, le nombre d’élèves aux lycées imam hatip a diminué de 70% en deux ans. Mais, cette diminution n’était pas une démarche anti-religieuse, car l’Assemblée Nationale de cette époque, qui avait décidé l’exécution de Deniz Gezmis et ses amis révolutionnaires, était constituée majoritairement de conservateurs. La baisse des lycéens d’imam hatip est plutôt due au fait que les élèves choisissaient ce cursus particulier un peu plus tard, plus consciemment. Les Ecoles d’imam hatip ont changé de nom, et sont devenues des Lycées d’imam hatip (IHL). Les diplômés avaient accès à l’Université, dans les facultés de langue.
  • En 1976, après la bataille juridique d’un parent qui voulait absolument inscrire sa fille à l’IHL, les filles ‑qui ne deviendront jamais imam- ont commencé à accéder à ce type d’école : c’est le premier coup donné au système d’éducation laïc.

    imam hatip eleves filles

  • Ensuite, sous différents gouvernements de coalitions, dans lesquelles le parti islamiste Selamet Partisi (Le parti du Salut) était présent, le nombre d’IHL est monté à 230.
  • Conformément à la Constitution de 1982, préparée par le gouvernement militaire d’après le coup d’Etat se 1980, les cours de “science de la morale et de culture religieuse” sont devenus obligatoires dans les écoles primaires et secondaires. Le DPT (Organisme Nationale de Planification) a publié un rapport intitulé “Culture Nationale” qui précise que : la synthèse turc-Islam est l’Etat religieux, la nation est une confrérie religieuse, la culture nationale est la culture de l’Islam, la nationalité c’est être musulman, la nationalisme est l’islamisme, la nation turque est constituée de turcs dont les 99% sont des musulmans, la laïcité est la haine contre la religion, et la science est l’ensemble des connaissances qui se trouvent dans le Coran.”
  • Après le coup d’Etat de 1980, les gouvernements qui se succèdent, reposeront leurs politiques de l’éducation et culture sur ce rapport.
  • En 1983, une reforme de loi, a donné aux diplômés du IHL l’accès à toutes les branches de l’éducation supérieure exceptées les écoles militaires. Avec cette loi, les imam hatip font partie intégrante de l’éducation nationale.
  • ANAP (Le parti de la patrie mère) a montré un intérêt particulier pour les imam hatip et s’est efforcé à les rendre alternatives aux écoles laïques. (Par exemple en leur consacrant plus de budget : dans les années 90, les possibilités d’internat était pour un élève sur 15 dans les écoles professionnelles, sur 59 dans l’école primaire, sur 2 pour les imam hatip.)
  • En 1985 le premier “Lycée Anadolu imam hatip”  a été ouvert à Kartal. Ces écoles sont nées de la fusion des IHL avec les lycées Anadolu (lycées publics).
  • Sous différents gouvernements, le nombre d’écoles n’a pas augmenté mais le nombre d’élèves a cru. Les “lycées imam hatip Anadolu” étaient officiellement au nombre de 7, mais en ouvrant une centaine de succursales attachées à ceux ci, en fin des années 80, en vérité, il y en avait bien plus. C’est ce que le Ministre explique clairement dans son discours ci-dessus.
  • Quant au “processus du 28 février”, cette période a débuté le 28 février 1997, avec les pourparlers concernant l’intégrisme, au sein du Conseil de Sécurité Nationale. Deux décisions ont affecté les IHL. La première est la mise en place d’éducation de 8 ans sans interruption (primaire et secondaire). Celle-ci a provoqué la fermeture des collèges des IHL transformant ces derniers en lycées de 4 ans.
    La deuxième décision concernait le changement de système de coefficient dans les concours d’entrées des Universités. En résumé, les points obtenus au concours étaient multiplié par 0,5 pour les diplômés des lycées, mais pour les lycées spécifiques comme techniques, professionnels et imam hatip, le coefficient était 0,2. Cette différence était en effet pénalisante pour les futurs étudiants car les empêchait d’accéder aux études dans les branches autres que leur cursus.
  • En 2009, il y a eu une tentative de suppression de l’application des coefficients, mais une décision du Conseil d’Etat l’a empêchée. Ensuite, en 2011, avec une baisse de différences de coefficient,cela a permis de nouveau un accès aux études plus large. Depuis le 1er Décembre 2011, le système de points est supprimé.
  • En 2012, après une réforme de loi de l’Education, les secondaires des IHL sont de nouveau ouverts.
  • En janvier 2015 le Ministre d’Education Nationale annonçait avec fierté que le nombre de IHL, qui était 440 en 2002–2003, était remonté à 1017 pour la période du 2014–2015 et 1644 nouvelles écoles secondaires imam hatip étaient ouvertes. En résumé, dans cette année scolaire, près d’un million d’élèves étaient inscrits aux plus de 2600 écoles et lycées imam hatip, de préférence non mixte. Pour les filles, le foulard qui était obligatoire seulement pour les cours de religion jusqu’en 1990, fait partie aujourd’hui intégralement de l’uniforme scolaire.

    Quelques chiffres parlants

imam hatip chiffres

Depuis qua­tre ans, les syn­di­cats enseignants, les par­ents et pro­fesseurs, et organ­i­sa­tions de société civile pro­gres­sistes ne cessent de tir­er les son­nettes d’alarme.

Depuis 2012 l’Education nationale est passé au sys­tème 4+4+4 (pri­maire, sec­ondaire, lycée oblig­a­toires), un pas de plus dans la main mise de l’AKP sur le sytème éducatif.

Si tous les ans Erdo­gan réu­nit en son palais les élèves des meilleurs écoles imam hatip, par cen­taines, avec une grande organ­i­sa­tion, ce n’est pas pour rien. Pour les jeunes, c’est un hon­neur d’être invités à cette récep­tion, et pour les dirigeants cet événe­ment a son impor­tance, car les imam hatip sont les viviers de l’AKP.

Des écoles à gros budget sont donc construites et ouvertes. 

Par exem­ple, le lycée imam hatip de Başakşe­hir ouvert en 2013 à Istan­bul est la “vit­rine” de ce sys­tème édu­catif ori­en­té. Les 2500 élèves de l’école, instal­lée sur un ter­rain de 25 hectares, et de 60 mille m2 bâtis, peu­vent béné­fici­er de 104 class­es, 8 class­es audio­vi­suelles, 10 lab­o­ra­toires, 2 bib­lio­thèques, 4 can­tines, 4 salles de sport de 1400 m², 5 salles d’entrainement, ter­rains de foot­ball, de bas­ket­ball, de ten­nis de table, san­i­taires sportifs, 3 espaces de repos, et une salle de con­férence de 8.800 m²… Il y a égale­ment un pen­sion­nat de 66 cham­bres pour 265 élèves, et des class­es d’études et des pièces de repos sont à leur disposition.

Le pro­jet a été financé par la Mairie de Başakşe­hir : Mevlüt Uysal, Maire AKP.

imam hatip

Maire de Başakşe­hir Mevlüt Uysal, devant les maque­ttes du Lycée imam hatip, Emin Saraç

Tous les moyens sont mis donc pour genre de pro­jets. Mais il n’y a pas que de nou­velles créa­tions. En 2014, 940 écoles pri­maires et 1477 lycées publics ont été trans­for­més en imam hatip, sou­vent sans prévenir les par­ents, et par­fois en une nuit.… On oblige de fait, les familles qui ne veu­lent pas envoy­er leur enfants dans des écoles religieuses, à les inscrire” dans des struc­tures privées, seul recours, et celles qui n’ont pas les moyens, démé­na­gent dans des quartiers où leurs enfants peu­vent accéder encore à des écoles publiques qui restent. Tout ceci con­tribue égale­ment à la gen­tri­fi­ca­tion de cer­tains quartiers et villes. La sup­pres­sion pro­gres­sive de la mix­ité accom­pa­gne ce mouvement…

Depuis début juin 2016, une vague de con­tes­ta­tion con­tre les poli­tiques d’en­seigne­ment de l’AKP gagne les lycées publics et privés. Les élèves de près de 400 lycées ont pub­lié l’un après l’autre, des com­mu­niqués dénonçant leur administration.


Pour plus d’infos vous pouvez survoler nos articles précédents :
Le chemin de l’école est pavé de quelles intentions ? 
Hey Tayyip, leave them kids alone ! 
Pas d’éducation laïque et scientifique, pas d’école !
Et si vous confiez vos enfants à des enseignants djihadistes ?
Lycéens contre la politique éducative de l’AKP

Pour boucler la boucle, voici le témoignage d’une enseignante d’imam hatip pub­lié sur Haber Sol :

Les organisations religieuses dans les écoles

Des organ­i­sa­tions de société civile et fon­da­tions inté­gristes sont dans les écoles, y com­pris la fon­da­tion Ensar, dont le nom est venu récem­ment dans l’actualité avec un affaire de vio­ls et agres­sions sex­uels en série.

Il y a des col­lectes de dons, des affich­es claire­ment ori­en­tées sont fournies par des organ­i­sa­tions extérieures à l’é­cole, « le musul­man ne fête pas le réveil­lon de nou­v­el an », « com­ment un musul­man doit pass­er ses 24h » ou encore des prières col­lées sur les pho­tos d’Atatürk afin de cacher le portrait… 

kutlu dogum semaine sainte naissanceA cer­taines dates pré­cis­es, comme « la Semaine sainte de nais­sance » où on fête depuis quelques années l’anniversaire de Mahomet1les enfants font des activ­ités avec des tenues religieuses, flam­beaux en main, dis­ant des allahu akbar.

Bien qu’il existe un « mesc­it » [petite mosquée] dans l’école, cer­tains enseignants préfèrent prier dans la salle des enseignants hommes, et portes ouvertes de préférence. Les salles des enseignantes sont séparées, d’ailleurs elles ne sont pas bien vues dans ces écoles.

Les enfants sont invités à des ren­con­tres-échanges organ­isés à la Fon­da­tion Ensar, par des mem­bres qui entrent jusqu’à dans les classes.

L’AKP n’a pas d’activité direct avec les enfants, mais chaque élève a des four­ni­tures signés AKP, et l’Adjoint directeur emmène les enfants aux meet­ings de l’AKP et à d’autres activ­ités, dans des véhicules de la Mairie.

Dans les écoles de quartiers pau­vres, les ren­con­tres-échanges sont organ­isés dans les mesc­it, comme des goûters où les enfants accè­dent aux gâteaux, jus de fruits…

Le formatage des enfants

Les horaires de cours et paus­es sont calés sur les heures de prière. Les class­es sont vidées et les enfants sont envoyés à la prière. Des prières de groupe sont effec­tuées dans la cour de l’école et toutes les semaines, dans dif­férents étages de l’école.

priere imam hatip jardin

Les enfants sont motivés par des phras­es comme « Vous êtes les meilleurs, votre diplôme sera votre référence » et les élèves des autres écoles sont con­tin­uelle­ment abaissés. 

La cri­tique des autres reli­gions et autres branch­es de l’islam sont aus­si des instruc­tions courantes don­nées aux enfants. La laïc­ité est présen­tée comme « européenne », qui fait la pro­pa­gande de l’occident. On enseigne aux enfants que la vie sociale doit être organ­isée par rap­port à la reli­gion, que Atatürk avait trans­for­mé les mosquées en éta­bles, qu’il a anéan­ti notre reli­gion grâce à la reforme de l’alphabet, et qu’il a inter­dit le foulard. Les enfants appren­nent que la laïc­ité ne peut pas exis­ter, que l’Islam se réveillera en Turquie et qu’un état islamique sera fondé.

Si la Charia était là, Özgecan ne serait pas morte

Les élèves pensent et expri­ment qu’Özge­can Aslan2ne serait pas morte si la Charia était en vigueur, « car elle ne serait pas dehors à cette heure là, por­tant ces vêtements »

Quand on leur par­le du scan­dale de viol con­cer­nant la fon­da­tion Ensar, ils sont capa­bles de répon­dre que les enfants qui ont été vio­lés étaient des mem­bres de la con­frérie Gülen3.

Les élèves dis­ent que l’homme et la femme ne peu­vent pas être égaux, et que les enseignantes ne doivent pas tra­vailler dans les écoles imam hatip.

Prendre les armes

L’activité des syn­di­cats d’opposition sont empêchés. Je suis arrivé un jour avec un badge de mon syn­di­cat, sur lequel on voy­ait « Nous voulons un enseigne­ment et une vie laïcs ». Suite à la ques­tion d’un élève j’ai fait quelques expli­ca­tion. L’élève a réa­gi agres­sive­ment « La laïc­ité ne doit pas exis­ter, la Charia sera fondée. Soyez recon­nais­sante nous aimons notre pays, sinon on prendrait les armes et…… » Quand j’ai demandé « et tu ferais quoi ? », il s’est tu.

Un enseignant d’une matière pro­fes­sion­nelle ne sup­por­t­ant plus l’ambiance, a fini par démissionner.

Les par­ents des élèves sont impor­tants pour la direc­tion de l’école. Leurs deman­des sont pris­es très au sérieux et beau­coup de choses sont mis­es de côté pour qu’ils gar­dent leurs enfants à l’école imam hatip, quitte à effac­er les reg­istres d’absence le l’enfant…

Et nous ne par­lerons pas des pro­grammes et des con­tenus de façon détail­lée, dans cet arti­cle déjà très chargé.

Sachez quand même que les enfants de min­istres et de “dig­ni­taires”, con­tin­ueront à être envoyés dans les meilleures écoles à l’é­tranger, à croire que les dirigeants eux mêmes savent qu’ils for­ment là des généra­tions “for­matées”. On peut facile­ment prévoir un abaisse­ment général du niveau “intel­lectuel et cul­turel” dans ces généra­tions sac­ri­fiées à l’idôla­trie big­ote… Généra­tions qui, rap­pelons le, n’en sont pas moins de plein pied dans la “con­som­ma­tion” mon­di­al­isée, sec­ond formatage.

Les anti islam de tous poils trou­veront sans doute matière dans cet arti­cle à exercer leurs dérives xéno­phobes habituelles. Nous leur rap­pellerons qu’il est des pays européens bien catholiques, dont le sys­tème sco­laire est au plus bas, du fait de l’in­ter­ven­tion religieuse majori­taire en leur sein, et où,  se dévelop­pent si facile­ment les mêmes replis identitaires.

L’ob­scu­ran­tisme et l’ig­no­rance, le fatal­isme religieux  ont tou­jours été des armes de gou­verne­ment des pou­voirs à voca­tion total­i­taire. Tout comme la place à por­tion con­grue don­née à la femme dans ces idéolo­gies religieuses.

Dans la sit­u­a­tion pro­pre à la Turquie, avec à ses portes la car­i­ca­ture même de ces idéolo­gies, on ne peut qu’e­spér­er un sur­saut des généra­tions qui jusqu’i­ci ont échap­pé à cette emprise, tout comme de ce qui reste du sys­tème édu­catif “indépen­dant” qui se défend toujours.


Traductions & rédaction par Kedistan. Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
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