Vu vendredi soir. Nous sommes au Velvet İndieground Records, un tout petit magasin de disques et un espace culturel, situé au quartier Firuzağa, près de Beyoğlu à Istanbul. Radiohead organise une journée mondiale dédiée au lancement de son nouvel album « A Moon Shaped ». Velvet Indieground Istanbul, est l’hôte de cet événement live et émet via Periscope…
Dans la soirée, la caméra tourne, les playlists passent, et ça discute tranquillement, accompagné de bonne musique et de quelques gorgées de bière…
Tout d’un coup quelques hommes excités font irruption dans les lieux. “C’est quoi ça hein, c’est quoi ?” Ils sont très contrariés par la présence des quelques bouteilles de bières. “C’est quoi ça au mois de Ramadan ?”
Tout se passe devant plus de 30 mille personnes qui suivent à ce moment là l’émission sur leur écran. Des milliers de témoins ont vu la scène.
Les hommes en colère bousculent les participants, et les poussent à sortir. Pendant que les premiers, virés de la boutique, se font tabasser dehors, les quelques derniers qui sont restés à l’intérieur essayent de fermer les portes. Dehors, les assaillants, sont plus d’une vingtaine.
La caméra tourne toujours…
Les hommes sont en colère. Ils hurlent… “Dégagez ! ” “Vous allez fermer la boutique ! Fermez !”. Ils frappent.
Un d’entre eux, très très en colère, revient dans la boutique, vire le dernier, un monsieur d’un certain âge, en le frappant. “Sors de là, sors de là ! Je te nique, sors !”
“Tu vas fermer ! Fermez connards, fils de chien, sans honneur…” Il éteint les lumières, il donne des claques “Tu vas fermer ! Je te tuerai !”
La caméra tourne toujours…
“Maquereau sans honneur, ne recommence pas, je te tuerai, je te brûlerai dedans.”
Pendant qu’un jeune essaye de le rassurer, l’homme à travers la porte, “on a fini, on a fini, s’il vous plait”, un autre défie les habitants du quartier et les passants dehors “Alors maintenant s’il y a quelqu’un d’autre qui veut boire, qu’on le voit ! Allez !” Des injures sont alignées “connards, fils de putes, maquereaux”, mais aussi “enculés, pédés, terroristes”… Les passants sont éloignés “Circulez, dégagez”…
Le jeune plie le matériel : “Je ne sais pas si vous l’avez vu… Des gens nous ont attaqués. Il y a eu des bouteilles cassées sur les têtes et tout. Moi je file. On part tous. Parce qu’on buvait de la bière en Ramadan, les amis… Je coupe maintenant.”
İstanbul Cihangir’de bir grup, yapılan etkinliğe “Ramazan’da İçki İçiliyor” diyerek saldırdı.https://t.co/PLPf1vyxQ0
— Maykop (@maykoq) 17 juin 2016
Une vague de colère déferle aussitôt sur les réseaux. Spontanément une idée de manifestation contre ces méthodes fascistes est lancée et sur Twitter et le hastag #Cumartesi21deCihangirdeyiz, “Nous sommes à Cihangir, samedi à 21h” monte comme une flèche. Un Evenement Facebook est mis en place et annonce et affiche plus de 1000 participant-es, et autant d’intéréssé-es.
La nouvelle est donnée par des sources pro-Erdogan avec le même hashtag mais sur ce ton :
“Les habitants se sont retournés contre les çapulcu1vendales qui faisaient une party avec alcool, drogues et travestis, au milieu du mois de Ramadan.”
Qui peut reconnaître Istanbul dans cette haine qui s’exprime ?
La période de jeûne devient prétexte à déferlement de haine, et à ostracisme en tous genres. Où Erdogan mène-t-il la Turquie ?
Beaucoup ont vu cette vidéo qui a circulé, montrant la mise à sac, puis l’incendie d’une librairie kurde, le quasi lynchage des libraires, par une meute d’ultra nationalistes, au retour d’un rassemblement. Vous avez lu les injures et menaces à l’encontre de la manifestation LGBT+ du 26 juin, qui ont conduit à son interdiction. Vous connaissez l’hystérie qui s’étale dans la presse “alliée” à l’encontre des députés d’opposition, de journalistes et d’intellectuels. Vous n’ignorez pas les déclarations sur les “femmes qui ne le sont qu’à moitié” lorsqu’elles régulent les naissances et ne donnent pas 3 enfants à la Nation Turque… Vous avez souvenir des assassinats de jeunes kurdes parlant leur langue…
Si une seule vidéo ne peut permettre de dire que la Turquie s’enfonce dans une période noire, tous les ingrédients d’un possible pourrissement rapide sont pourtant là, comme la guerre est bien réelle à l’Est.
Istanbul n’est pourtant pas devenu ce paysage d’hystérie et de haine que l’on découvre là, parce que justement, des jeunes comme ceux qui se font expulser, sont encore là pour refuser une fatalité AKP, l’ampoule qui éteint la Turquie… Tandis que d’autres ailleurs se retrouvent contraints, les armes à la main, de résister pour protéger leurs familles et leurs quartiers.
Un rassemblement a eu lieu hier soir, en présence de la police, venue par hasard, sans doute.
Vous trouverez la suite des événements ici…