Un poème de Orhan Veli Kanık, un de ces poètes qui ont révolutionné la poésie turque, a aussi traversé le pays en musique. Partons à la découverte de la chanson “Anlatamıyorum”, “Je ne peux pas l’exprimer”, et à travers ce voyage sonore, rendons hommage au poète.
Je ne peux pas l’exprimer
Entendriez-vous ma voix si je pleure
Dans mes vers ?
Pourriez-vous toucher
Mes larmes, avec vos mains ?J’ignorais que les chants étaient si beaux
Et les mots insuffisants
Avant d’être dans cette peine.Il y a un lieu, je sais,
Où dire le tout est possible ;
Je suis si proche, je sens ;
Je ne peux pas l’exprimer*
Anlatamıyorum
Ağlasam sesimi duyar mısınız,
Mısralarımda;
Dokunabilir misiniz,
Göz yaşlarıma, ellerinizle?Bilmezdim şarkıların bu kadar güzel,
Kelimelerinse kifayetsiz olduğunu
Bu derde düşmeden önce.Bir yer var, biliyorum;
Her şeyi söylemek mümkün;
Epeyce yaklaşmışım, duyuyorum;
Anlatamıyorum.
Avant d’ouvrir le volet musical, voilà une version lecture, avec la voix de Müşfik Kenter, un des remarquables artistes de la scène théâtrale en Turquie.
Allez, les non turcophones, cliquez vous aussi, juste pour le plaisir d’écouter la chanson de la langue turque pendant 39 secondes…
Il existe aussi un enregistrement de la voix du poète lui même !
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Né à Istanbul le 13 avril 1914, Orhan Veli Kanık est, avec Nazım Hikmet, l’introducteur du vers libre dans la poésie turque. Comme Enis Batur, poète, essayiste, éditeur turc l’exprime : son œuvre, empreinte d’humour, de dérision, de lucidité, plus encore d’humilité et de simplicité, fit l’effet d’une « révolution » dans la poésie turque.
Voilà comment Orhan Veli résumait sa vie dans une lettre de jeunesse écrite à Muvaffak Sami Onat, un autre poète contemporain :
Je suis né en 1914. A un an j’avais peur des grenouilles. J’ai commencé à lire à neuf ans et à écrire à dix ans. A treize ans j’ai fait la connaissance de Oktay Rıfat et à seize ans de Melih Cevdet. Je suis entré pour la première fois dans un bar à dix-sept ans et à dix-huit ans je me suis mis à boire du rakı. A dix-neuf ans a commencé mon époque d’indolence. A vingt ans j’ai appris à gagner de l’argent et à supporter la misère. A vingt-cinq ans j’ai eu un accident d’automobile. J’ai été bien des fois amoureux. Je ne me suis jamais marié et, à présent, je fais mon service militaire.
Orhan Veli commence à écrire dès ses 10 ans. Après de brèves études de philosophie, il entrera à l’administration générale de la Poste, et deviendra en 1942 traducteur au Ministère de l’Education Nationale. Dans la période qui s’en suit il se consacrera à la poésie et à la traduction de la poésie française. Un accident improbable l’emporte prématurément en 1950. Il tombe à Ankara, dans une tranchée creusée pour les travaux sur une chaussée et souffrant d’un traumatisme crânien, il décède trois jours plus tard. Il n’a que 36 ans. Laissant derrière lui de nombreuses traductions et poèmes, publiés dans des revues littéraires dont pour certaines il était aussi fondateur. Dans la poche de sa veste qu’il portait au moment de l’accident, se trouvait aussi, un poème “Le défilé de l’amour”, où il nous emmène à la rencontre des femmes aimées. Ce dernier poème restera à jamais inachevé.
Il est enterré à Istanbul, la ville qu’il aimait. Si vous êtes en visite à Istanbul et si vous passez près de Rumeli, faites un crochet au cimetière d’Aşiyan, pour lui faire hommage.
Aujourd’hui, un livre à la main, accompagné d’une mouette, ses regards sont tournés vers le Bosphore, depuis un petit parc à Rumelihisarı. Et ses poèmes qui n’ont jamais perdu leurs couleurs, sont encore et toujours, des invitations à la vie et aux rencontres.
Si vous voulez plonger dans la poésie de Orhan Veli, il existe un recueil de près de 200 poèmes dont la traduction de “Je ne peux pas l’exprimer” : Va jusqu’où tu pourras, (Git gidebildiğin yere) traduit par Elif Deniz et François Graveline publié par les éditions Bleu Autour en 2009. Soyez en sûr(e)s, lors de cette immersion poétique, vous vous sentirez en toute simplicité, chez vous…
Comme Julia Moldoveanu écrivait sur Orhan Veli, en 2009 en présentant ce livre même :
Un « premier renouveau » dans la littérature turque, venu à pas de loup, dans la simplicité déconcertante de sa poésie nue, souvent fulgurante comme le haïku :
Ce monde rend fou,
Cette nuit, ces étoiles, cette odeur,
Cet arbre fleuri de pied en cap.
Votre coeur est ouvert, je le sais, ouvrez donc maintenant vos oreilles. Nous allons voyager entre des styles très différents et traverser bien des époques musicales.
Toute cette chronique tient à la découverte de de Mor ve ötesi ! J’avoue…
Il a fallu que je regarde leur clip, fraichement sorti, et voilà; c’était parti. J’ai réalisé que je n’avais en fait, jamais oublié cette chanson mémorisée dans ses diverses formes, dès mon enfance. La version de Mor ve ötesi a réveillé en moi, plein d’émotions et de souvenirs, et cette fichue chanson ressortie des entrelacs de ma mémoire, m’a à nouveau “prise”.
Mor ve ötesi interprète “Anlatamıyorum” dans leur style, et le clip raconte une jolie histoire.
Mine Koşan sortait en 1974 un 45 tours avec “Anlatamıyorum” sur la face A. Tirant sur le style “arabesque”.
21.Peron, groupe de rock progressif des années 70′, enregistrait “Anlatamıyorum” en 1977. Voici une vidéo avec la superbe illustration de Gizem Güvendağ.
Hümeyra, chanteuse, compositrice, parolière et actrice, dont plusieurs chansons sont devenues des hits dans les années 70, sortait un album en 1977 portant le nom de cette chanson. La version de Hümeyra est probablement la plus connue.
Banu Kırbağ prête sa magnifique voix à “Anlatamıyorum” en 1984, et la chanson donne son nom à l’album de Banu.
Alpay, qui a chanté entre autres, des adaptations de chansons françaises et italiennes à partir de fin des années 60, interprétait une première fois “Anlatamıyorum” en 1987 dans son album “Hayalimdeki resim”. L’album a eu une nouvelle pression avec le Groupe A1, en 1995. Turcophone ou non, vous entendrez certainement la diction bien particulière d’Alpay qui contribue à l’ambiance très “italienne” presque roman-photo de sa chanson.
Müslüm Gürses alias “Müslüm Baba”, dans son album “Bakma” en 2005, fait sa propre interprétation, dans son style à lui…
La version du chanteur compositeur populaire kosovar (Prizen) Aluş Nuş.
Une version jazzy interprétée par Simge Akdoğu & Atakan Sarı (piano), Onur Kasapoğlu (guitare), Görkem Müniroğlu (cajon), Mehmet Sakarya (flute), Aytunç Akdoğu (vocal) lors d’un festival à Nicosie (Chypre) en 2015.
Un extrait du Concert de « pont musical Finlande-Turquie » qui s’est déroulé sur « la scène d’opérette » du Musée de la Peinture et Sculpture d’Ankara, en décembre 2013.
Sevinç Demirağ, soprane, interprète “Anlatamıyorum”, avec Esra Poyrazoğlu Alpan au piano.
P’tit Bonus craquant
Quand on dit que la poésie de Orhan Veli parle à tout le monde…