Le changement constitutionnel concernant l’immunité des députés en Turquie a été accepté avec 376 votes favorables. Par ce « vote historique » selon Erdogan, l’AKP a donc liquidé le HDP, avec le soutien de MHP et CHP. La voie est ouverte pour l’ouverture des poursuites judiciaires à l’encontre “en principe” de 138 députés, dont 50 du HDP (sur les 59 élus).
Le 16 mars la liste des requêtes pour poursuites parvenue dans les main de la commission d’enquête du Parlement, comptait 506 dossiers. 278 requêtes concernent les députés du HDP, et Selahattin Demirtas, le Co-President du HDP est en tête avec 57 requêtes contre lui. Quant au CHP (kemalistes), ses 33 membres sont visés par 116 requêtes, dont 37 pour leur leader Kemal Kılıçdaroğlu. Les élus de l’AKP suivent avec 41 requêtes contre 41 députés, et le MHP (ultra nationalistes) avec 12 requêtes à l’encontre de 6 députés dont 5 concernent son leader Devlet Bahçeli.
Si les députés du HDP sont arrêtés, deux villes de l’Est de Turquie, Şırnak ve Hakkari n’auront plus de représentant à l’Assemblé Nationale.
Malgré des différends internes, le CHP a voté « oui » pour le texte de loi. Pourquoi ?
- Un vote négatif serait perçu comme si le CHP avançait du côté du HDP, et il y aurait l’amalgame de “soutien aux terroristes” servi à toutes les sauces par l’AKP.
— L’AKP peut aller vers un référendum, sur cette révision, et en profiter pour proposer au vote, également le système présidentiel dont Erdoğan rêve.
— Le CHP souhaite depuis des années la “levée d’immunité des députés” et en parle, mais : Nous savons que cette dernière proposition de l’AKP, protège en réalité la corruption. Mais l’AKP tenant dans sa main toute la force des médias, nous ne pourrions pas expliquer notre refus clairement et suffisamment à l’opinion publique en Turquie et à la diaspora turque à l’étranger où nous avons un large électorat.
Voilà une position “capitularde” de l’opposition kémaliste, qui préfère, par nationalisme éliminer elle aussi les représentants du HDP, en votant cet amendement constitutionnel sur la “levée d’immunité. La réflexion politique qui est derrière est celle d’un bon sens qui finira par triompher au “centre”, avec le soutien des milieux d’affaires. Comme toujours dans l’histoire, les sociaux libéraux nationalistes préfèrent la défense des institutions, même lorsqu’elles sont entre les mains d’un pouvoir aux dérives totalitaires, à l’inconnu des forces d’opposition sociales. Avec de tels “frondeurs”, qui préfèrent comme partout ailleurs l’ordre à la lutte démocratique, Erdogan a de beaux jours devant lui.
Ertuğrul Kürkçü, député du HDP d’Izmir :
« C’est un tableau qui n’a à nos yeux, aucune légitimité. L’opposition sociale doit voir la réalité avec plus de clarté, et y mettre sa volonté. Le Parlement n’est pas le seul endroit où la politique démocratique peut progresser.
Dans les jours à venir, ce qui nous attend, non pas seulement nous, mais tout le monde, c’est une intervention enragée du Palais. Tout le monde peut être sur que cela va se déchainer. Par ailleurs, si on observe que les membres de l’opposition qui ont voté « oui » pour la loi, ayant provoqué cette situation, une coalition se composera avec le Palais et avec ceux qui sont impuissants en face du Palais. Je pense qu’une période difficile pour nos peuples commence. Autrement dit, je suis d’avis que la période qui était déjà compliquée sera encore plus corsée. »
Figen Yüksekdağ, la co-Présidente du HDP :
« Le dernier acte de la pratique de cette politique de coup d’Etat a été joué. Pour eux, cela peut être le dernier acte, pour nous la lutte ne fait que de commencer. Eux, ils vont passer dans l’histoire avec cette honte. Ils vont ajouter encore un massacre de la démocratie. Nous, les résistants, nous allons renforcer la résistance démocratique encore plus et partout. »
Nous pouvons dire que la topographie politique est devenue plus nette. La Turquie s’est divisée en deux, entre ceux qui sont, d’une façon cohérente, du côté de la démocratie et ceux qui lui sont contre. Le HDP est la seule force démocratique qui résiste dans ce tableau. A partir de ce jour, une processus de progrès du foyer d’opposition principale commence. Eux, ils représentent la politique vieille et renfermée. Ils ont signé un résultat dont dans l’avenir, ils auront honte. L’avenir nous appartient. »
Selahattin Demirtaş, le Co-Président du HDP :
« On ne peut pas attendre de nous que nous acceptions ce pas fait au nom de renforcer le « Palais » sur le chemin de la dictature. Aujourd’hui, 2,5 partis se sont réunis pour confirmer cette loi. »
« S’ils nous avaient invités à un processus habituel de justice, nous n’aurions pas hésité. N’ayant commis aucun crime dont on ne serait pas blanchis, nous serions allées nous faire juger. Nous ne serons pas les figurants d’une mise en scène. J’en fait dès maintenant, appel aux Procureurs et Juges qui nous convoqueront, emmenez des décisions d’arrestation. La lutte ne fait de commencer. Il y a encore des possibilité pour arrêter ce coup [d’Etat] qui se réalise avec l’AKP-CHP et MHP qui n’est qu’un demi-parti. »
Demirtaş a souligné que le Parlement n’appartient pas à la mentalité fasciste mais au peuple, et ajouté que les députés feront des demandes d’annulation au Tribunal Constitutionnel en groupe et individuellement contre les requêtes qui ont présidé aux levées de l’immunité parlementaire.
« Que la police provinciale bon marché du Palais, n’oublie pas : Nous allons continuer à lui rendre les places étroites. Nous sommes des leblebis (pois chiches) dures. Chaque fois que tu essaieras de nous cacher, tu perdras tes dents, jusqu’à ce que tu n’en aies plus pour mordre le peuple. »
Après la décision, les député du HDP ont publié une photo de groupe sur Twitter en faisant un renvoi historique. La publication reprenait les dernières paroles de Seyit Riza, un des leaders de la révolte de Dersim, prononcées avant d’être exécuté :
« Nous n’avons pas réussi à lutter contre vos mensonges et supercheries, que cela fut un tourment pour nous. Mais nous ne nous sommes pas agenouillés devant vous, que cela soit un tourment pour vous. »
Les premières réactions internationales commencent à arriver.
Steffen Seibert, porte parole du gouvernement allemand :
« La représentation de tous les groupes de société au Parlement, est extrêmement important pour la stabilité intérieure de la démocratie. »
« Dans une démocratie vivante, la liberté d’opinion et d’expression joue un rôle primordial. »
On attend sur le sujet la réaction des utilisateurs du 49.3…
Si on comprend les déclarations de Ertuğrul Kürkçü, député du HDP d’Izmir, comme elles doivent l’être, on peut s’attendre, après le changement de gouvernement, à une ligne “dure” qui va se poursuivre contre le mouvement social d’opposition en Turquie, sur fond de maintien de la répression au Kurdistan. La prochaine offensive d’Erdogan concernera un passage en force sur la présidentialisation du régime, en prolongement de ce coup d’Etat à froid, ou par un retour aux urnes dans quelques mois, une fois l’opposition démocratique réduite et soumise.
L’option référendum pour une modification constitutionnelle, contrairement à ce qu’affirme le CHP (sociaux libéraux kémalistes) n’a en rien été écartée par leur démission politique devant Erdogan. La Turquie et sa représentation politique au travers des 3 partis qui ont voté un “pour” aujourd’hui suit décidément le chemin qui tourne le dos à la paix, et ce, avec le soutien “obligé” de l’Europe qui gère ses dérives, ses replis, ses abandons et ses divisions…
Ajout du 21 mai :
Communiqué du Conseil démocratique kurde sur la levée de l’immunité parlementaire des députés du HDP :
Coup d’Etat fasciste contre la volonté des peuples en Turquie
L’Etat turc court à toute vitesse vers un régime autoritaire inspiré de l’Allemagne nazie. Vendredi 20 mai 2016, l’Assemblée nationale de Turquie a voté à plus de 2/3 un amendement constitutionnel supprimant l’immunité parlementaire des Députés faisant l’objet de poursuites pénales. C’est grâce à une alliance de l’AKP, parti au pouvoir, et du parti nationaliste MHP, soutenue par le parti kémaliste CHP, qu’a été rendue possible l’adoption de cette réforme qui vise à évincer du parlement les députés du Parti démocratique des Peuples (HDP). En se débarrassant de cette opposition qui est la seule à lui tenir tête, le Président turc Recep Tayyip Erdogan espère instaurer un régime présidentiel fort, ce qui lui permettrait de réaliser son ambition de devenir le Hitler du 21ème siècle.Sur les 59 députés du HDP, majoritairement kurdes, 51 sont poursuivis pour « terrorisme » du fait de déclarations et de positions prises en faveur des droits du peuple kurde et, notamment, du fait de leur soutien à la mise en œuvre du projet d’autonomie démocratique développé par le leader kurde Abdullah Öcalan emprisonné en Turquie depuis 1999. Demain, ils seront très probablement interpelés, jugés et jetés en prison, tout comme la Députée kurde Leyla Zana arrêtée en 1994 avec trois autres députés de son parti et condamnée à 15 ans de prison.
A partir d’avril 2015, le Président turc Recep Tayyip Erdogan a délibérément fait le choix de la guerre en interrompant du jour au lendemain les pourparlers de paix engagés depuis plus de deux ans avec le mouvement kurde et son leader Abdullah Öcalan. Ce choix s’est concrétisé après les élections législatives du 7 juin 2015 marquées par un score sans précédent du HDP. L’AKP étant privé de sa majorité gouvernementale en raison du score important remporté par le HDP, le régime d’Erdogan a mené un premier coup d’Etat contre la volonté des peuples en convoquant des élections législatives anticipées gagnées par la peur le 1er novembre 2015.
Depuis près d’un an, Erdogan et son parti mènent une guerre anti-kurde et sèment la terreur partout dans le pays, massacrant au Kurdistan et réprimant toutes les voix s’élevant contre cette politique de nettoyage ethnique qui a tué près de 1 000 civils au cours des 6 derniers mois et forcé des centaines de milliers de Kurdes à l’exode.
Uniquement préoccupée par le souci de contenir le flux des réfugiés, l’Europe donne carte blanche à la Turquie en échange d’un accord honteux, ce qui lui fait fermer les yeux sur les massacres et la répression, et faire preuve de complaisance face à l’autoritarisme et au fascisme grandissants du régime d’Erdogan qui se manifestent aujourd’hui dans un outrage inouï à la volonté des peuples.
Loin de baisser les bras, les députés du HDP ont déclaré, à travers la voix des Coprésidents du parti, Selahattin Demirtas et Figen Yuksekdag, que la lutte ne faisait que commencer et que personne ne devait s’attendre à ce qu’ils acceptent « ce coup d’Etat qui impose ouvertement une dictature ».
Dire stop à Erdogan, c’est demander la stabilité !
Dire stop à Erdogan, c’est éradiquer Daesh !
Dire stop à Erdogan, c’est demander une solution pacifique à la question kurde !
Dire stop à Erdogan est un devoir humain de contrer le fascisme !