La présidente du Collectif VAN, Séta Papazian, a été invitée par l’Union des Étudiants Juifs de France à participer aux Assises de la lutte contre la haine sur internet qui se tenaient ce dimanche 15 mai 2016 à l’ESG (Paris 11e) à l’initiative de l’UEJF, de SOS Racisme et de SOS Homophobie.Kedistan republie l’intégralité de l’article compte-rendu de ces “Assises contre la haine”, paru sur le site du collectif Van .
S’exprimant sur le thème “Légitimation des discours de haine et passages à l’acte” dans le cadre de l’Atelier 1 (au côté de Pierre Conesa, Ecrivain et historien, Sabrina Goldman, Vice-présidente de la LICRA et Avocate, Michael Ghnassia, Avocat de SOS Racisme, de Clara Gonzales, Osez le Féminisme, et sous la modération de Sacha Ghozlan, Secrétaire Général de l’UEJF), la représentante du Collectif VAN [Vigilance Arménienne contre le Négationnisme] a attiré l’attention du public et des intervenants sur les discours de haine propagés sur internet à l’encontre des Arméniens, discours qui font écho au négationnisme d’État de deux pays, la Turquie et l’Azerbaïdjan, dont les sites officiels mettent en ligne l’historiographie falsifiée du génocide arménien.
Un diaporama projetant en boucle les tweets négationnistes et insultants à l’encontre des Arméniens a illustré l’intervention du Collectif VAN. Le public a ainsi pu apprendre à repérer les mots-clés signalant les négationnistes et les racistes anti-arméniens : “soi-disant génocide arménien” (écrit aussi avec une faute d’orthographe “soi-disant génocide arménien”), “so-called genocide” (en anglais), “sözde ermeni soykirim” (en turc). Sans compter les habituelles injures — “fdp”, “bâtard arménien” ou “bâtard d’Arménien” — cette dernière insulte étant à ce jour la pire injure utilisée en Turquie.
La représentante du Collectif VAN a montré la corrélation entre la propagande désignant les Arméniens comme des ennemis et des traîtres, martelée dès le plus jeune âge en Turquie et en Azerbaïdjan, et les passages à l’acte mortifères : elle a notamment cité l’assassinat du journaliste arménien Hrant Dink, abattu par un jeune de 17 ans le 19 janvier 2007 à Istanbul, l’exécution du jeune appelé arménien de Turquie, Sevag Balikci, le 24 avril 2011 à Batman, assassiné par son camarade de chambrée le jour de la commémoration annuelle du génocide arménien, mais aussi la décapitation à la hache du lieutenant arménien Gourgen Markarian, tué dans son sommeil par un officier azéri, Ramil Safarov, le 19 février 2004 à Budapest (Hongrie) lors d’un stage de l’OTAN baptisé “Partenariat pour la Paix” auquel l’Arménie et l’Azerbaïdjan participaient, ou encore l’assassinat et la mutilation par des soldats azéris de trois vieillards arméniens du Haut-Karabagh le 1er avril 2016 à Talich, et enfin, la décapitation d’un soldat arménien d’origine yézidie, dont la tête a été exhibée sur les réseaux sociaux par les soldats azéris début avril.
Elle a indiqué que les crimes de Safarov et des soldats azéris ont été officiellement acclamés à Bakou, leurs auteurs qualifiés de “Héros de la nation” et récompensés par le président Ilham Aliyev. Ce dernier avait par ailleurs mis en ligne en 2012 sur le site internet de la présidence azérie, un communiqué dans lequel il désignait “les Arméniens du monde entier” comme “les ennemis de l’Azerbaïdjan” désignant de facto à ses admirateurs fanatiques les prochaines cibles à abattre.
Au cours de cet exposé, il a également été question de la provocation d’avril 2016 organisée par les réseaux de lobbying turc à New-York et Los Angeles. En pleine semaine de commémoration du génocide arménien, plusieurs avions survolant ces deux mégalopoles ont traîné dans leur sillage des banderoles traitant le génocide arménien de “mensonge” et mentionnant l’adresse internet d’un site négationniste turc : “Genocide Lies — www.factcheckarmenia.com”. Des faits qui ont été amplement répercutés sur les réseaux sociaux et surtout Twitter et qui ont provoqué un tollé outre-Atlantique.
Il a été fait mention au cours de l’intervention, de la pléthore de sites, comptes, pages et profils négationnistes anglophones et francophones (sans compter leurs équivalents en langue turque) déversant leur propagande haineuse contre les Arméniens, et des 115 Pages Fuck Armenia (et affiliées) dont une pétition, mise en ligne il y a peu sur Change.org, réclame à Facebook la suppression.
Il n’est pas anodin de signaler que les modérateurs de Facebook sont recrutés en majorité dans les pays émergents, dont la Turquie… Il ne faut donc pas attendre de ces jeunes, biberonnés depuis l’enfance au nationalisme et au négationnisme, un comportement conforme aux valeurs que nous défendons.
Séta Papazian a également attiré l’attention sur les difficultés rencontrées en France par les enseignants dès lors qu’ils abordent en classe l’Histoire du génocide arménien, alors que l’éducation est un outil prioritaire pour déconstruire les discours de haine et le négationnisme. Elle a également souligné la nécessité de bénéficier d’une loi pénalisant la négation du génocide arménien pour défendre les citoyens français contre les agressions de deux États étrangers puissants qui pratiquent un lobbying très efficace dans toutes les instances internationales. C’est ce qu’a démontré le jugement de la CEDH qui avait été saisie par le citoyen turc Dogu Perinçek, le sulfureux créateur du Comité Talaat Pacha (le “Hitler” turc qu’il considère comme un “héros”), qui avait tenu en Suisse des propos négationnistes envers le génocide arménien, propos pour lesquels il avait été condamné : la Cour Européenne des Droits de l’Homme a reconnu à Dogu Perinçek le droit de nier publiquement le génocide arménien au nom de la liberté d’expression. Ce jugement honteux a été compris par les réseaux négationnistes très actifs sur internet, comme la preuve de l’inexistence du génocide arménien.
Enfin, Séta Papazian a fait remarquer la convergence des réseaux négationnistes visant la Shoah et le génocide arménien, en mentionnant deux vidéos postées sur YouTube, l’une concernant une interview d’Alain Soral, l’idéologue du site antisémite Égalité et Réconciliation, et l’autre de Dieudonné.
L’exposé du Collectif VAN a provoqué un vif intérêt et ce d’autant plus que ces thématiques sont rarement traitées dans les médias et qu’elles font l’objet d’un apriori partisan de la part de certains historiens qui maîtrisent plus les relations diplomatiques avec Ankara et Bakou que l’Histoire du génocide arménien. Sans parler des notions de Justice qui ne sont de toute façon pas de leur domaine de recherche et qui semblent leur échapper totalement au plan moral.
Des Assises contre la haine, de haute tenue
De manière générale, cet après-midi de travail — suivi par un public majoritairement étudiant — a donné l’occasion d’échanges fructueux et d’informations de première importance.
Ces Assises ont permis à l’UEJF de dévoiler en détail le Testing mené de mars à mai 2016, sur la manière dont les trois grandes plateformes des réseaux sociaux (Facebook, Twitter et YouTube) gèrent (ou plutôt, ne gèrent pas) les signalements qui leur sont notifiés à propos des propos haineux, racistes, antisémites, négationnistes, homophobes et sexistes, qui polluent leurs réseaux et ceux qui les suivent.
Le constat est amer : la presque totalité des signalements reste sans effets.
Ainsi, l’UEJF révèle que sur les 205 contenus haineux signalés à Twitter au cours de ce Testing, seuls 8 ont été retirés; concernant YouTube, 16 contenus ont été supprimés sur les 225 signalements.
Au vu de ces résultats insignifiants, il est aisé pour Facebook d’aligner le meilleur score avec 34% de suppressions (53 sur les 156 contenus haineux signalés), ce qui est pourtant loin d’être satisfaisant.
De Dominique Sopo, Président de SOS Racisme, à Sacha Reingewirtz, Président de l’UEJF, tous les intervenants ont souligné les écueils auxquels les associations se heurtent lorsqu’ils tentent de faire obstacle à la haine sur internet : le sentiment d’impunité des internautes, le sentiment d’impuissance des internautes choqués par les débordements haineux, le sentiment d’impunité des grandes plateformes, l’insuffisance des moyens techniques et humains pour lutter contre la haine sur internet, l’insuffisance du travail pédagogique et d’éducation au numérique. À chacun de ces points, ont été opposées une ou plusieurs propositions. Les représentants de Facebook, Twitter et YouTube ayant annulé leur participation aux Assises, c’est donc devant le Juge des Référés que les associations anti-racistes vont porter leur combat.
Le cas particulier de la Turquie
Le Testing de l’UEJF ne prenait pas en compte le cas des propos attaquant spécifiquement les Arméniens ou promouvant le discours nationaliste turc. Rappelons pour l’occasion que les posts concernant la Turquie ont le droit à un traitement spécial, du moins selon la Charte de Facebook. Il ne faut donc pas s’étonner que les signalements des profils et pages négationnistes et/ou haineuses envers les Arméniens, ne débouchent sur presqu’aucune suppression de ces pages et profils.
Ainsi, selon la charte de Facebook, “toutes les attaques contre [Mustapha Kemal] Atatürk”, “les cartes du Kurdistan” ou les photographies de “drapeaux turcs en feu” doivent être signalées à un responsable ; “les images de drapeaux d’autres pays en feu peuvent être validées”. Ces contenus peuvent être validés “s’ils sont clairement opposés au PKK”, le Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation armée qui revendique une autonomie kurde et est considérée comme organisation terroriste par les Etats-Unis et l’Union européenne, ou s’ils sont opposés “à [Abdullah ] Öcalan”, le fondateur du PKK.
Comme nous l’avions déjà souligné en 2012, les restrictions concernant Mustafa Kemal sont classées dans la catégorie de la Charte Facebook dédiée à la «conformité internationale” visant à interdire la négation de la Shoah… Ainsi, Mustafa Kemal — qui, de 1918 à 1923, a parachevé le génocide arménien de 1915, et a exterminé en 1937/38 les Alévis et les survivants arméniens réfugiés auprès d’eux dans les montagnes du Dersim — est protégé sur Facebook au même titre que la mémoire des victimes de la barbarie nazie. Qui dit mieux ? Encore une fois, l’Etat nationaliste et négationniste turc fait sa loi.
Le Collectif VAN, qui lutte depuis 2004 contre le négationnisme des génocides et en particulier celui du génocide arménien, s’était déjà aperçu de ces dysfonctionnements qui ne sont donc pas le fruit du hasard, du moins en ce qui concerne ce qui a trait à la Turquie, aux Kurdes (et par extension aux Arméniens). Un Observatoire du Négationnisme est alimenté sur le site du Collectif VAN depuis 2006. Bien qu’il ne soit pas spécifiquement dédié aux contenus illicites sur internet et sur les trois plateformes citées, et malgré le fait qu’il soit loin d’être exhaustif, il est intéressant de le consulter pour prendre la mesure du phénomène.
La Justice comme ultime recours
En conclusion, l’excellent travail de l’UEJF et de ses partenaires met en évidence le manque de clarté et d’engagement des trois grandes plateformes au regard des lois françaises et européennes, et peut désormais servir de base aux poursuites judiciaires que l’association va entreprendre cette semaine, épaulée par SOS Racisme. Affaire à suivre avec intérêt!
Collectif VAN
Photo: De gauche à droite: Séta Papazian, Présidente du Collectif VAN, Sacha Ghozlan, Secrétaire Général de l’UEJF, Sabrina Goldman, Vice-présidente de la LICRA et Avocate, Michael Ghnassia, Avocat de SOS Racisme, Clara Gonzales, Osez le Féminisme. Hors cadre : Pierre Conesa, Ecrivain et historien.