Décidé­ment, quand un régime veut faire dis­paraître ses minorités, il se dote tou­jours aus­si de “lois” per­me­t­tant la spo­li­a­tion. Des mesures de con­fis­ca­tion, il y en eut de célèbres dans l’his­toire, qui accom­pa­g­nèrent des géno­cides et enrichirent leurs auteurs et les exé­cu­tants pour un demi siècle.

La nou­velle lég­is­la­tion du gou­verne­ment turc qui vient de voir le jour con­stitue un accom­pa­g­ne­ment et une facil­i­ta­tion des poli­tiques d’Er­doğan et de l’AKP,  pour non seule­ment con­fis­quer les act­ifs de groupes d’op­po­si­tion, les affaib­lir, mais aus­si détru­ire la mosaïque cul­turelle au Kur­dis­tan turc.

C’est un pack, loin d’être achevé, et qui, a sa manière, a autant de portée que des tirs de mortiers sur les pop­u­la­tions civiles, et qui d’ailleurs les pro­longe, sauf qu’il se vote dans des cham­bres et des cabinets.

Cette nou­velle lég­is­la­tion, adop­tée par le gou­verne­ment turc, et rat­i­fié par le Prési­dent Tayyip Erdoğan élar­git l’au­torité de l’É­tat en per­me­t­tant de con­fis­quer les entre­pris­es, les act­ifs et expro­prier des biens.

Selon cette nou­velle loi, l’ac­cu­sa­tion de «finance­ment du ter­ror­isme» sera suff­isant pour que les act­ifs d’une entre­prise et de leurs dirigeants se voient con­fisqués. Et l’on sait que son appli­ca­tion a déjà été devancée, con­cer­nant des groupes de médias et de presse, ces derniers mois.

Il sera ain­si pos­si­ble d’en renom­mer  les dirigeants [qui seront rem­placés par ceux choisi par l’E­tat], et de dis­pos­er de “fidèles” ren­dus servi­teurs du régime, après con­fis­ca­tion, jusqu’i­ci nom­mée “mise sous tutelle”.

La procé­dure de lev­ée de l’im­mu­nité par­lemen­taire des députés HDP, qui débouchera sur une “crim­i­nal­i­sa­tion” de leurs activ­ités d’op­posant, si elle est adop­tée, rimera sans aucun doute avec saisies, fer­me­tures de locaux, expro­pri­a­tions de biens asso­ci­at­ifs, restric­tions de presse. Tout cela sig­ni­fiera l’in­ter­dic­tion dans les faits des activ­ités légales de l’op­po­si­tion démoc­ra­tique, par étranglement.

Toutes les arresta­tions de cette dernière semaine de jour­nal­istes et cor­re­spon­dants de presse de par­tis de “gauche”, [qui n’ont pas la notoriété d’un Can Dün­dar], procè­dent de cette même mise au silence.

Les sta­tis­tiques sont effrayantes pour les jour­nal­istes selon un rap­port “Presse Libre”. Ces 3 derniers mois : 4 jour­nal­istes tués, 70 détenus, 14 jour­nal­istes arrêtés récem­ment (dont 9 jour­nal­istes de DIHA, agence de presse kurde). On ne compte plus les jour­nal­istes agressés.

Hier à Istan­bul la police a par exem­ple effec­tué une vaste opéra­tion d’arrestations con­tre le jour­nal Özgür Gele­cek et le Par­ti­zan ;  3 jour­nal­istes ont été inter­pel­lés, et des tra­vailleurs du jour­nal et des mil­i­tants du Par­ti­zan mis en garde à vue. Les infor­ma­tions fournies par les avo­cats attes­tent de la déci­sion de place­ment en déten­tion pour 29 personnes.

la-spoliation-des-juifs confiscationC’est aus­si cette nou­velle lég­is­la­tion qui est appelée à la rescousse, dans le cas pour l’in­stant des chantiers de « la recon­struc­tion » du quarti­er Sur de Amed, qui a été qua­si détru­it par les attaques géno­cidaires de l’État.

Cette loi autoris­era un cab­i­net min­istériel à déclar­er des ter­ri­toires comme des «zones à risque ter­ror­iste» avec l’af­fir­ma­tion selon laque­lle la vie et la sécu­rité publique seraient en per­ma­nence per­tur­bées. On voit où cela va con­duire dans la con­fis­ca­tion, au Kur­dis­tan sous état de siège.

Enfin, la déci­sion d’en­voy­er 15 000 policiers sup­plé­men­taires au Kur­dis­tan a été prise, tou­jours dans le cadre de la nou­velle lég­is­la­tion con­tre le terrorisme.

Apportez un sou­tien extérieur à un régime total­i­taire, et vous lui fer­ez gag­n­er des années dans ses pro­jets intérieurs”.

C’est la devise de bon sens que devraient méditer les dirigeants européens, si prompts par­fois à pronon­cer des boy­cotts. Mais recon­naître une lég­is­la­tion forte­ment inspirée de lois et décrets de l’Alle­magne nazie, ou d’E­tats col­lab­o­ra­tionnistes notoires, n’a pas l’air d’af­fol­er la com­mis­sion européenne. Après tout, quelque part, elle a elle même, pour défendre sa finance, intrigué en Grèce pour par­venir à ses fins… Et des Etats ne légifèrent-ils pas sur la con­fis­ca­tion des avoirs de réfugiés qu’ils accueilleraient ?

Car fig­urez-vous, que même le régime le plus total­i­taire doit met­tre les “formes”, lorsqu’il s’ag­it du droit de pro­priété. Sous l’Alle­magne nazie, il y avait eu un débat avec les sociétés d’as­sur­ances, déjà forte­ment mon­di­al­isées, sur le paiement ou non des “dom­mages” causés aux Juifs. Et cela avait don­né lieu à légifér­er. On sait bien qu’en Turquie même, la recon­nais­sance du Géno­cide des Arméniens serait lourd de con­séquences en cascades.

Il y a un siè­cle, la con­fis­ca­tion se décrivait ainsi :

confiscation armenien rapportLa con­fis­ca­tion de leurs pro­priétés ne sem­blent pas émou­voir la Société des Nations, à laque­lle ils s’étaient adressés dès les pre­miers jours. Par tous les moyens en son pou­voir, le Comité Cen­tral des Réfugiés Arméniens en a appelé à la Société des Nations. L’affaire des biens dits aban­don­nés, portée devant le Con­seil de la Société des Nations lors de la ses­sion de décem­bre 1925, a été ren­voyée au Comité du Con­seil sur une brève obser­va­tion du délégué de la Turquie, et, depuis, reste en suspens.”

Rap­pelons que “l’Eu­rope” serait en dis­cus­sions, chapitres après chapitres, avec les autorités turques, et que même une promesse de soit dis­ant “accéléra­tion” fig­ur­erait dans l’ac­cord récent sur les réfugiés de guerre, à pro­pos de son “inté­gra­tion”. Preuve est encore faite que tout le monde s’en fout, puisque de telles lég­is­la­tions ne franchi­raient pas le pre­mier round de dis­cus­sions. On ne peut dire là, qui de l’un ou l’autre, à encore intérêt à faire croire à ce processus.

Encore une pièce de plus à vers­er au dossier “démarche à car­ac­tère géno­cidaire”, et une occa­sion de con­stater que le ven­tre mou poli­tique kémal­iste en Turquie, est totale­ment myope sur les con­séquences qui pour­raient s’en suiv­re pour lui-même et ses pro­pres milieux d’af­faires, pas encore ven­dus à l’AKP.

Et tout cela sera couron­né par une réforme con­sti­tu­tion­nelle, tant désirée par le Sul­tan, une fois toute oppo­si­tion légale réduite à por­tion congrue.

Alors, dans ce con­texte, s’é­ton­ner que les dirigeants de la guéril­la kurde tapent du poing sur la table, et annon­cent un dur­cisse­ment pos­si­ble d’opéra­tions con­tre les forces turques, dénonçant la désor­mais impos­si­ble voie démoc­ra­tique tant qu’Er­doğan exercera le pou­voir et aura un sou­tien à sa guerre, c’est se voil­er la face.

Oui, cette guerre civile mul­ti­forme rav­age les chances de la paix à court terme. Laiss­er croire qu’il s’ag­it d’un con­flit intérieur qui n’af­fecte que peu la vie quo­ti­di­enne, et que “la vie con­tin­ue”, c’est aus­si sous estimer le chaos poli­tique à venir, co financé par la belle Europe de la paix.

Et sur un plan stricte­ment intérieur à la Turquie, on peut penser que cette offen­sive précède sans doute une volon­té de retour aux urnes sous sur­veil­lance, pour parachev­er le tout avec l’emballage qui con­vient et repar­tir dans la “durée” avec un régime prési­den­tiel digne d’un Sultanat.

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