Recep Tayyip Erdogan a tenu à accueillir en personne lundi à Ankara, le roi Salmane d’Arabie Saoudite. Rappelons que c’est son principal allié dans la crise syrienne.
Il s’agissait d’entretiens préalables à un sommet de l’Organisation de la coopération islamique (OCI).
L’accolade au pied de la passerelle de l’avion, et la réception de la délégation se voulait un “geste fort”. Les deux sont ensuite allés s’entretenir au Palais. On ne nous dit pas s’il y a eu remise de médailles, comme c’est la mode en ce moment chez les alliés de l’Arabie Saoudite.
Pourtant, la garde d’honneur était là, pour fêter le Roi et le Sultan réunis, nous dit-on, celle la même dans laquelle seize hommes costumés et grimés en guerriers représentant chacun un empire de l’histoire turque figurent.
On aimerait d’ailleurs être garde ottoman, pour les entendre. Peut-être l’un félicita-t-il l’autre pour sa partie de poker à 6 milliards avec l’Union Européenne, tandis que Erdogan raillait à l’oreille du roi les médailles en chocolat de la France, gage d’oubli des exécutions à la hache de ces temps derniers, en échange d’un marché d’armement ouvert. Mais on ne parle pas de ces choses là, entre massacreurs, n’est-ce pas ?
La Turquie et l’Arabie Saoudite, toutes deux “ennemies” de Bachar al-Assad et opposées à ses deux principaux soutiens, l’Iran et la Russie, sont devenues ces derniers mois de proches alliés. Alors que Erdogan avait menacé d’en chasser les avions américains il y a peu, il a fait accueillir quatre chasseurs F‑15 saoudiens sur la base d’Incirlik, dans le Sud de la Turquie, pour participer aux frappes aériennes contre Daech en Syrie et en Irak.
L’Arabie Saoudite, qui fait déjà partie de la coalition internationale avec les Etats-Unis, avait pourtant ces derniers mois consacré l’essentiel de ses forces à pilonner le Yémen.
Le sommet de l’OCI est une tradition annuelle. Elle a été honorée dimanche dernier à Istanbul. La Turquie ayant bien été contrainte par la réalité d’attribuer de récents attentats à Daech, même si cela arrangeait le régime AKP de leur inventer d’autres auteurs, côté “terreur”, le sommet sera donc en partie consacré au “terrorisme” et le reste à la question palestinienne. Dans la foulée, les services américains ont à nouveau parlé de “menaces crédibles” d’attentats, notamment à Istanbul.
Cette conférence annuelle des 57 pays membres de l’Organisation de la coopération islamique est la treizième du nom. Elle a été ouverte par une rencontre de hauts responsables, et Erdogan en a été “honoré”. Une réunion des ministres des Affaires étrangères est prévue mardi et mercredi. Puis une trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement participeront jeudi et vendredi au sommet que présidera Recep Tayyip Erdogan.
Gageons que le prétexte “terroriste” couvrira des discussions bien plus larges à propos de la Syrie et des quelques “défaites” militaires ou retraits tactiques de Daech, qui de fait amènent à une configuration différente à la veille de la réouverture de la conférence de Genève.
Partagé entre ses connivences anciennes avec Daech, et cependant inquiet des avertissements sévères que Daech a infligé à la Turquie, tout autant que des “préparations d’attentats” déjouées par des arrestations préventives récentes à Izmir, le régime se doit d’avoir la certitude d’un soutien sans faille de la coalition islamique. Il ne suffira plus de se montrer “généreux” en faisant absoudre devant la justice des djihadistes avérés, pour entretenir le parapluie. Surtout que le dernier assassinat en date, la troisième tentative qui aura finalement été fatale à Zaher al-Shurqat, animateur d’une émission de télévision religieuse sur la chaîne Aleppo Today, qui a succombé à ses blessures à Gaziantep, montre que même les “musulmans sunnites” favorables à Erdogan sont dans le viseur de l’organisation djihadiste, dès lors où ils discutent la charia version Isis. Le torchon noir brûle.
Par ailleurs, la logistique saoudienne, et surtout les soutiens politiques, à touts points de vue, restent nécessaires à Erdogan, pour entretenir de “pseudos Syriens islamistes libres”, que ce soit à Alep ou dans la région d’Azaz, pour faire contrepoids aux logistiques du régime syrien et des russes en place. Comme pour l’Union Européenne, la Turquie n’a pas la meilleure chaise à Genève. Et là, on en revient à l’obsession anti-kurde, et la nécessité pour Erdogan d’avoir des alliés pour écarter ce débat à la conférence suisse.
Le Sultan avait donc fière allure, sur le tarmac, aux côtés du roi. Il se prêtait volontiers à des images qu’il avait tant espérées lors de sa visite chez Obama.
” Ô Monde ! Pourquoi es-tu si cruel avec tes serviteurs ? ”