En 1994 Mun­sur et Emine Sünger ont vu leur vil­lage brûlé par l’armée turque. Ils ont été for­cés de par­tir et leur retour n’a pas été autorisé. Leur his­toire est com­mune à celle de nom­breux vil­la­geois vivant sur des ter­res kur­des dans le Sud-Est de la Turquie.

La com­mis­sion de migra­tion intérieure, fondée en 1997, déclarait dans son rap­port de 1998, chiffres offi­ciels du Préfet de l’état d’urgence : 378.335 per­son­nes habi­tant 820 vil­lages et 2.345 hameaux ont été for­cées de “migr­er”.

Un rap­port de Human Rights Watch pub­lié en 2002, inti­t­ulé « Déplacés et ignorés — L’échec du pro­gramme turc de retour au vil­lage » (Dis­placed ans dis­re­gard­ed Turkey’s Fail­ing Vil­lage Return Pro­gram) noti­fi­ait que dans le Sud-Est de la Turquie, plus de 3000 vil­lages avaient été effacés de la carte jusqu’en 1994 et 250 mille vil­la­geois avaient per­du leur foy­er sans pos­si­bil­ité de retour.

tuncei dersim carte turquieLa famille Sünger vivait dans le vil­lage Dizik (Aujour­d’hui Demir­ci), com­mune de Qısle (ou Naz­imiye en turc) dis­trict de Der­sim (Tunceli). Le petit vil­lage de Dizik est égale­ment con­nu comme l’en­droit où Azime Demir­taş, une des com­bat­tantes kur­des légendaires a été tuée en 1981 au com­bat, et où se trou­ve son tombeau.

Les restes du village Dizik

Les restes du vil­lage Dizik

Quand on ne veut pas quitter son pays

Comme toute per­son­ne vivant proche de la terre, Mun­sur et Emine étaient attachés à la leur. Ils voulaient revenir, mais la réponse de l’Etat fut, « Le nom­bre de foy­ers et d’habi­tants n’est pas suff­isant. Il n’y aura pas de routes ni de ser­vices. ». Alors le cou­ple a tenu tête aux poli­tiques de dépor­ta­tion de l’Etat, est revenu sur sa terre et s’est réfugié dans une grotte près du vil­lage. Ils ont réus­si à con­stru­ire une vie alter­na­tive, sim­ple mais fonc­tion­nelle. Une sorte de “décrois­sance” forcée.

Une grotte devenue maison

La grotte se trou­vait près du ruis­seau de Pülümür. Mun­sur racon­te qu’il a con­stru­it dans un pre­mier temps, un abri, en entourant l’entrée de la grotte d’un mur de pier­res. Mun­sur et Emine ont recon­stru­it leur vie depuis, dans cette « mai­son » qu’ils nom­ment Ware Ma (notre foy­er, ou notre mai­son, ou encore, notre plaine, notre pays… (Ware est un mot qui veut dire en langue zaza, l’en­droit où on vit, du sens plus petit au plus large du terme).

La vie s’organise en harmonie avec la nature

Mun­sur est venu à Ware Ma en 2004 pour faire de l’apiculture. Ensuite il y a amené Emine et ils se sont instal­lés dans cet endroit, en 2011, défini­tive­ment. Les enfants sont restés à Dersim.

Ils ont vécus pen­dant 3 ans sans élec­tric­ité, en s’éclairant avec des bou­gies et lam­pes à gaz. Jusqu’à ce que Mun­sur puisse installer un sys­tème solaire. Main­tenant leur élec­tric­ité est fournie par la nature. L’eau vient par un tuyau instal­lé à 300 mètres de la mai­son. C’est encore la nature qui leur donne leur eau. Mun­sur explique que mal­gré les dif­fi­cultés, ils trou­vent des solu­tions alter­na­tives chaque fois pour con­cré­tis­er le retour à la vie et à la nature.

pulumur cayi dersim

Le troc est une solution

Le cou­ple a tra­vail­lé la terre, arrosée par la générosité de la nature et par des canaux qu’ils ont fait. Un potager leur donne des légumes. Il n’est pas utile d’ajouter que tout est bio… Ils ont des poules, et 50 ruch­es. Avec leurs récoltes, le miel, les oeufs et les poules, ils arrivent à vivre en faisant du troc pour leurs besoins supplémentaires.

Des voitures qui passent sur la route de Der­sim-Erz­in­can s’arrêtent pour pren­dre leurs pro­duc­tions et lais­sent en échange des pro­duits dont ils ont besoin. Ils vivent ain­si d’une façon autonome.

Peur de se faire de nouveau expulser

C’est une région où les opéra­tions mil­i­taires sont très régulières. Les routes de Pülümür et Der­sim sont donc sou­vent fer­mées. Par­fois ce n’est pas facile, mais le cou­ple trou­ve que la vie est belle.

Mun­sur dit que la vie de vil­lage leur manque, et ajoute :

Nous voyons de nos pro­pres yeux qu’il y a des opéra­tions qui se déroulent. Mais nous ne savons pas qui fait quoi. Parce qu’ici il n’y a pas de loi. La vie est vécue selon des ordres. Le com­man­dant, le Gou­verneur, le Préfet donne cha­cun des ordres. Nous vivons sous les ordres des gens, mais pas avec des lois. 

C’est pour cela que notre avenir est incer­tain. Il peut arriv­er qu’ils nous don­nent l’ordre de par­tir. Le print­emps est arrivé, nous voulons faire des choses. Mais toutes ces ter­res ont été déclarées inter­dites. Nous ne pou­vons pas aller dans nos vil­lages, dans nos cimetières. Nous avons fait des petites amélio­ra­tions et nous avons recon­stru­it notre vie, mais on ver­ra bien, quand ils nous vireront. Nous n’avons pas peur de vivre ici, nous arrivons à vivre tant bien que mal dans ces con­di­tions. Notre peur est d’être de nou­veau virés.

(DIHA)

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