Nous avions par­lé dans un arti­cle récent de la « tente Erdo­gan », un Erdo­gan­istan au pays de la frite, réac­tion « anti ter­reur », à l’ini­tia­tive d’ul­tra nation­al­istes soutenus par des édiles locaux en mal de voix dans les com­mu­nautés où le “dön­er” est roi des Belges.

En élar­gis­sant le sujet, et en le liant à divers­es attaques, ver­bales, virtuelles ou physiques, qui se dévelop­pent con­tre le mou­ve­ment kurde dans la dias­po­ra, sur fond de “lutte con­tre le ter­ror­isme” ici, je m’in­ter­roge sur les con­ver­gences poli­tiques qui se tissent.

La présence en Europe de « représen­tants activistes » du gou­verne­ment turc n’est pas une nou­veauté. Le finance­ment des « asso­ci­a­tions » dites cul­turelles, qui en réal­ité sont des officines du régime à l’é­tranger, n’est pas non plus une pra­tique orig­i­nale pour la Turquie. Elle y est même en com­péti­tion avec le Maroc, bien sou­vent, autour de cagnottes et de pro­jets de con­struc­tions de lieux de cultes dans des villes de Province en France et ailleurs.
Ce qui devient par con­tre plus inquié­tant, c’est l’ex­por­ta­tion, par ces mêmes canaux, de la poli­tique de cen­sure, d’in­tim­i­da­tion, et d’empêchement de la lib­erté d’ex­pres­sion qui règne en Turquie.

Le régime ne se lim­ite pas à financer une big­o­terie com­mu­nau­tariste, ni a pro­mou­voir une vit­rine touris­tique, mais ampli­fie ici la divi­sion qu’il fait régn­er là bas.
Nous avions eu l’ex­em­ple, lors de la « tournée » du Erdo­gan show en octo­bre 2015, de ce que pou­vaient mobilis­er des réseaux organ­isés. Le meet­ing de Stras­bourg était à cet égard éloquent.

Même si nous ne sommes pas dans ce que furent des pra­tiques occultes d’as­sas­si­nats com­man­dités con­tre des respon­s­ables poli­tiques kur­des, qui n’ont jamais été réelle­ment mis­es à jour, la façon dont se rad­i­calisent et se mobilisent des frac­tions nation­al­istes turques, sous cou­vert d’as­so­ci­a­tions, avec une stratégie anti kurde ouverte, dans dif­férents pays européens, doit nous interroger.

Ces frac­tions poli­tiques, capa­bles de s’or­gan­is­er lors d’ini­tia­tives comme un Erdo­gan show, ou de faire le coup de main con­tre des rassem­ble­ments kur­des, voire récem­ment « incendi­er » et détru­ire les lieux de rassem­ble­ments qui protes­taient con­tre la guerre au Kur­dis­tan nord à Brux­elles, ne renais­sent pas par hasard. Elles sont réac­tivées dans la jeunesse turque, et ont notam­ment été le sup­port des cam­pagnes élec­torales de novem­bre 2015 pour le vote AKP.

Les récents accords UE/Turquie vont égale­ment leur don­ner des ailes à plus d’un titre.

Les négo­ci­a­tions en cours sur les « visas » sont un argu­ment majeur pour les nation­al­istes. Ils affirmeraient la pos­si­bil­ité d’être à la fois con­tre l’im­mi­gra­tion et pour la défense de l’u­nité nationale turque, et son iden­tité islamo con­ser­va­trice, tant en Turquie, que dans la dias­po­ra européenne. On peut crain­dre que ces com­mu­nautés ne rejoignent les ten­ants du repli iden­ti­taire à leur manière, se con­sid­érant désor­mais comme « pro­tégées » et soutenues. Et si le FN en France n’a pas encore franchi le pas, son racisme évi­dent l’emportant encore, comme le démon­tre l’in­ter­ven­tion récente de leur respon­s­able au Par­lement européen, cela ne saurait peut être tarder. On ver­ra com­ment Pegi­da s’emparera aus­si du sujet.
La méga­lo­manie du Sul­tan, qui a récem­ment demandé le « retrait » d’une vidéo gag le con­cer­nant en Alle­magne, issue d’une émis­sion de diver­tisse­ment, mon­tre à quel point il défend et défendra son « image », qu’il assim­i­le à celle de la Turquie, et fera le néces­saire pour cela. Et ses bras ont fâcheuse­ment ten­dance à s’al­longer en Europe.
On peut pari­er que, dans le bel échange financier sur les « réfugiés », quelques mil­lions s’é­gareront pour la pro­tec­tion de « l’i­den­tité nationale turque » à l’é­tranger. l’Eu­ro n’a pas d’identité.

Ce qui est le plus préoc­cu­pant, c’est que dans le cadre de ces ren­con­tres, ait été mis en place un proces­sus de coopéra­tion poli­cière à dif­férents niveaux, qui va dépass­er de loin le sim­ple échange de ren­seigne­ments. Là encore, on peut s’at­ten­dre à un lax­isme plus dévelop­pé à l’en­con­tre de « bavures » pos­si­bles de ser­vices turcs « con­tre la ter­reur », qui offi­cient ici. Les mou­ve­ments poli­tiques kur­des, déjà sous sur­veil­lance, peu­vent ren­forcer la leur.

Les dérives néo-pétain­istes en France, à droite comme à grôche, s’accommodent volon­tiers de ce dis­cours d’u­nité nationale turc con­tre la « ter­reur ». Il sert à jus­ti­fi­er toutes les « bonnes col­lab­o­ra­tions » comme dis­ait Valls.

C’est dans cet état d’e­sprit que se remo­bilise ici l’ul­tra nation­al­isme big­ot turc.

Le but est dou­ble. Il s’ag­it à la fois de main­tenir « l’im­age » de la Turquie en Europe, com­merce et tourisme obligent, et de pro­mou­voir la poli­tique du Sul­tan, en empêchant que des sol­i­dar­ités ne se tis­sent avec ses opposants, et prin­ci­pale­ment les Kur­des, tout en ras­sur­ant diplomatiquement.
Le régime turc, en par­tie mar­gin­al­isé comme puis­sance régionale, dans la ten­ta­tive de réso­lu­tion de la guerre en Syrie, tout comme l’Eu­rope d’ailleurs, s’al­lie donc, même si c’est dans un proces­sus de chan­tage, avec ceux qui se retrou­vent avec lui plus golfeurs qu’i­raniens. Les mêmes sont diplo­ma­tique­ment en froid avec la Russie, ça tombe bien.
Faire oubli­er les con­nivences avec Daech, en rap­pelant le sou­tien com­mun à Al Nos­tra, Syriens libres, comme cha­cun sait, fait égale­ment désor­mais par­tie de l’i­den­tité com­mune « anti ter­ror­iste » de façade entre l’UE et la Turquie. Faire aus­si en sorte que l’aide logis­tique aux Kur­des de Syrie se tarisse (et c’est pra­tique­ment le cas), fait par­tie des pri­or­ités. Mais cela, c’est tout un tra­vail diplomatique.

Un autre des ter­rains de chas­se est désor­mais le web.

Les petites mains du web, elles, ont une autre tâche : empêch­er l’ex­pres­sion large des opposants de la dias­po­ra, du mou­ve­ment kurde, et de ses pos­si­bles sou­tiens. Je ne par­le pas bien sûr de sou­tiens oppor­tunistes de “drôche”, tou­jours en mal d’élec­toral­isme com­mu­nau­taire eux aus­si, mais bien de sou­tiens d’opin­ions publiques.
Et l’ar­gu­ment mas­sue, c’est celui du classe­ment sur la liste « ter­ror­iste » du PKK. Main­tenant que ce classe­ment a été réitéré par dif­férents représen­tants d’E­tats et de gou­verne­ments européens, la loi d’Er­do­gan­istan peut donc s’ap­pli­quer. Tout opposant à l’u­nité ultra nationale turque est un ter­ror­iste, et doit donc être com­bat­tu comme tel. Gageons que cet argu­ment séduit ici nos urgen­tiers d’Etat.

Il séduit aus­si vis­i­ble­ment les patrons de cer­tains réseaux comme Face­book, qui lais­sent volon­tiers prospér­er des groupes de « dénon­ci­a­teurs », et tranchent sys­té­ma­tique­ment en leur faveur ces derniers mois, en cen­surant un à un l’ex­pres­sion des sou­tiens kur­des les plus développés.
Il en va sans doute aus­si des intérêts financiers de ce réseau, qui a subi quelques cen­sures à répéti­tion lors de suites d’at­ten­tats en Turquie, et qui tient à un marché de dizaines de mil­lions de membres.
Nous avons même, en ce qui nous con­cerne, un har­cèle­ment per­ma­nent visant à réduire la pub­li­ca­tion de nos bil­lets sur leur réseau, via pages dédiées. Les dénon­ci­a­tions étant anonymes, et le face­book aus­si com­mu­ni­quant qu’un robot muet, nous ne pou­vons que com­pren­dre la colère de celles et ceux qui voient une à une leurs « pages » être cen­surées. Pour l’in­stant, tou­chons du bois.
Les infor­ma­tions sur la Turquie, quand elles sor­tent des canaux offi­ciels, devi­en­nent donc pornographiques et sus­cep­ti­bles d’être cen­surées pour « prox­im­ité ter­ror­iste ». Face­book, dans son lan­gage robo­t­isé, appelle ça « activ­ités sus­pectes ». Nous lui lais­sons la respon­s­abil­ité de cet « algorithme ».

Nous pou­vons affirmer que nous ne sommes qu’au début d’un proces­sus qui, si on en croit les votes apeurés de séna­teurs tran­sis qui se font en ce moment, ne va pas aller en s’arrangeant sur le web.
Ren­seignez vous, et vous com­pren­drez que nous n’au­rons bien­tôt rien à envi­er en la matière, aux procédés en vogue out­re atlan­tique, sur le noy­au­tage du web. Un Erdo­gan­istan sur Seine.
Ajou­tons à cela ce qui a pris l’ap­pel­la­tion de Aktrolls, et vous aurez l’idée de ce que pour­ront subir vos médias alter­nat­ifs préférés qui trait­ent de la Turquie et du Kur­dis­tan, même en page culture.

Ne vous inquiétez pas, il restera les médias main­stream et « offi­ciels », que tant aiment partager jusqu’à plus soif sur les réseaux, tant ils (elles) ont con­fi­ance en l’emballage et au mar­ket­ing “vu à la télé”.

Et puis, Con­stance, elle, sera tou­jours là, fidèle au « poste », pour don­ner les nou­velles du Erdoganistan.

Il y a encore fort heureuse­ment des pages encore actives sur face­book, en com­mençant par la nôtre, pour celles et ceux qui ne la con­nais­sent pas. Soutenez les, partagez leurs pub­li­ca­tions régulière­ment sur vos réseaux préférés, faites les con­naître. Vous par­ticiperez à notre mod­este échelle, à blo­quer la dif­fu­sion d’un ultra nation­al­isme qui com­mence à se sen­tir si bien chez nous.

(Et comme je ne veux pas faciliter la tâche des Aktrolls en vous four­nissant la liste, je ne don­nerai mal­heureuse­ment pas les liens. Ils com­men­cent aus­si tous par K. Et nous en parta­geons régulière­ment des pub­li­ca­tions sur notre pro­pre page).


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…