Un étu­di­ant de la fac­ulté de Langues et His­toire Géo­gra­phie (DTCF) de l’Université d’Ankara agres­sait son ex-copine par des mes­sages. Les étu­di­antes l’ont dénon­cé, affiché et dégagé du parc Ortabahçe de l’Université. La vidéo partagée sur les réseaux soci­aux a reçu de nom­breux retours à la fois sou­tenant l’action des étu­di­antes, et la cri­ti­quant pour divers motifs, dans les reg­istres « on ne peut pas faire la jus­tice soi même, il faut porter plainte », « il ne faut pas répon­dre à la vio­lence avec vio­lence », ou encore « toutes des salopes »…

Dans un reportage pub­lié sur sendika.org, Gizem et Eylem, faisant par­tie des « femmes de la DTCF » s’expliquent.

Com­ment avez-vous été infor­mées de l’agression ? Est-ce la vic­time qui vous a trou­vées, ou avez-vous pris con­nais­sance des tweets que l’agresseur avait envoyés?

Gizem : Nous don­nons beau­coup d’importance à la lutte com­mune à DTCF. Aupar­a­vant nous nous sommes réu­nies plusieurs fois lors des fêtes des femmes ou d’autres activ­ités. Quand notre amie nous a con­tac­té, nous nous sommes réu­nies et avons par­lé avec elle. Ersel a reçu d’autres mes­sages que ses tweets, et ils sont encore pires. Et cela con­tin­u­ait depuis un bon moment. Notre amie avait aver­ti Ersel. C’est après cet aver­tisse­ment que Ersel envoit ces tweets, et quand il nous croise, nous défie en souri­ant. Notre amie va au Pro­cureur, et essuie la réponse « Il y a injures récipro­ques, même si on ouvre un procès, cela n’aboutira pas ». La porte de la jus­tice se ferme donc, avant de s’ouvrir. Alors nous avons com­mencé un proces­sus de sol­i­dar­ité, en nous dis­ant : s’il n’y a pas jus­tice, il y a l’autodéfense.

Eylem : Notre amie, après le refus du Pro­cureur, nous a dit qu’elle pen­sait que ce n’était pas une affaire per­son­nelle, mais l’affaire de toutes les femmes. Elle a dit qu’elle souhaitait que cela devait être affiché et que cette affaire d’agression devrait être con­nue à l’Université.

Quand une femme subit des agres­sions, il était pos­si­ble que les « femmes de la DTCF  » se réu­nis­sent et deman­dent des comptes à l’agresseur.

Gizem : Tout à fait. A l’université, il y a dejà eu des cas sem­blables. Nous avons résolu ces là par d’autres moyens. Il y a eu des femmes dont nous avons suivi les procès. Mais, là, l’affaire était sur un point de non retour.

Après l’affichage, Ersel a été obligé de quit­ter Ortabahçe, sous les applaud­isse­ments et slo­gans de tous ceux et celles qui s’y trou­vaient. C’est à dire, qu’en un instant, tout Ortabahçe prend par­tie pour les « femmes de la DTCF  ». Quelles sont les réac­tions des autres étudiant(e)s et des enseignant(e)s ?

Eylem : Dans la majorité les réac­tions sont pos­i­tives. Parce que per­son­ne ne veut qu’un agresseur se trou­ve dans les murs de la fac­ulté. Nous l’avons expliqué aux autres étudiant(e)s. Ceux et celles qui deman­dent que Ersel soit éjec­té de cette façon, c’est eux/elles. Il est bien sûr impor­tant de par­ler du fond. Une agres­sion a été faite, les femmes l’ont affichée, il y a eu des coups portés à Ortabahçe. Les tweets ont été exposés sur les pan­neaux, à la fac­ulté, et nous avons pub­lié un com­mu­niqué en tant que « femmes de la DTCF ». La fac­ulté dont Ersel est mem­bre étu­di­ant a égale­ment pub­lié un com­mu­niqué, en exp­ri­mant qu’elle con­damnait Ersel.

Gizem : Il n’y a eu aucune ouver­ture d’enquête dis­ci­plinaire à l’encontre d’Ersel. Mais nous allons faire une demande en tant que femmes. Dans notre uni­ver­sité il y a aus­si une unité de lutte con­tre les agres­sions et vio­lences sex­uelles. Nous allons égale­ment la solliciter.

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Sur les médias soci­aux, l’action a beau­coup fait par­ler. Il y a eu des mes­sages de sou­tien, mais aus­si des mes­sages à car­ac­tère patri­ar­cal qui sont apparus, ou cer­taines per­son­nes qui pensent que vous répon­dez à la vio­lence par la vio­lence, qui vous ont condamnées.

Eylem : C’était la dernière phase du proces­sus. Comme nous l’avons expliqué, notre amie avait aver­ti Ersel de mul­ti­ples fois. Nous avons donc décidé de le dégager partout où on le croise. Nous avons util­isé notre droit d’auto défense. C’est si clair. Dans des cas sem­blables vécus avant, il y a eu des hommes qui se sont excusés. Mais Ersel Çetin, mal­gré les aver­tisse­ments, a con­tin­ué ses agres­sions et il a com­mencé à profér­er des men­aces. C’est pour cela que c’était une action d’affichage légitime.

Gizem : Nous vivons dans une époque où de sérieuses injus­tices exis­tent pour les femmes. Nous avons vu encore une fois, que la Jus­tice était « mas­cu­line ». C’est pour cette rai­son que nous avons dit, il faut une jus­tice de femme, ici. Dans l’autodéfense cela est une sérieuse réponse. « Il s’agit d’un agresseur. Il doit être affiché. S’il y a d’autres agresseurs, qu’il se méfient. » A la fin de cela [les agres­sions] notre amie aurait pu en subir des con­séquences. Il faut que les gens qui dis­ent « Il fal­lait que cela en arrive là, ce n’est pas bien » effacent les points d’interrogations de leur tête. Il y a un cas d’agression inac­cept­able. Donc on ne peut pas con­sid­ér­er ce qui s’est passé comme une action de violence.

Les femmes, dans leur défense sont plus auda­cieuses. Elles sou­ti­en­nent Çilem, Yasemin, Nevin. Elles vont dans des cours de self-défense. Qu’est-ce qui donne aux femme cette clarté d’idée « un agresseur peut être battu » ?

Eylem : « Un agresseur peut être bat­tu » . Parce que les femmes cherchent des solu­tions mais la Jus­tice ne fonc­tionne pas du côté des femmes. Alors, les femmes font leur jus­tice et bat­tent l’agresseur.

Gizem : Je suis con­va­in­cue que Çilem, Yasemin, Nevin ont une pos­ture qui nous donne des forces. Le fait que Çilem, com­mence sa dernière let­tre par « Chères soeurs » nous donne sérieuse­ment des forces. Si la jus­tice n’existe pas, nous fer­ons face à ces attaques qui nous ciblent.

D’autres mots à ajouter ?

Eylem : Le fait que les femmes soient espoir pour d’autres femmes, leur don­nent du courage est pour nous, très impor­tant. Que les femmes vic­times d’agressions sachent, il ne faut pas rester dans le silence, la sol­i­dar­ité de femmes existe. Il ne faut pas que les femmes oublient, qu’elles ont des soeurs partout. Le fait que cette affaire prenne une telle ampleur nous a fait com­pren­dre que les femmes ont besoin de voir ce genre de choses.

Gizem : Actuelle­ment, le patri­ar­cat est nour­ri par la main de l’AKP. Les fat­was don­nés par le Diyanet [Affaires religieuses, équiv­a­lent min­istère] n’y sont pas pour rien. Les abus d’enfants ou les mas­sacres de femmes arrivent comme ça. Tant que nous, les femmes, en tant qu’interlocutrices, ne mon­trerons pas que nous faisons face, tout cela se nour­ri­ra. Je pense que le fait que les femmes expri­ment la légitim­ité de leurs droits, et fassent accepter cela, joue un rôle moti­vant pour les femmes aus­si. Dans notre pays, il ne reste plus rien, qui peut nous motiv­er à dire « allez, pour cela on ne dit rien ». Mon­trons nos dents, jusqu’au bout. Les femmes exer­cent une lutte de survie, c’est cela que nous exposons.

Kam­püs Cadıları pub­lie la vidéo des “femmes de la DTCF” avec cette note :

A l’u­ni­ver­sité d’Ankara les femmes règ­lent le compte d’un cer­tain Ersel Çetin, agresseur de femmes. Elles le font dégager de l’université.
Vive la sol­i­dar­ité des femmes !

Ankara Üniver­sitesinde kadın­ları taciz eden Ersel Çetin isim­li sapık zih­niyetli kişil­iğe ceza­sını kadın­lar ver­di. Taciz­ciyi döverek okul­dan attık.
Yaşasın Kadın Dayanışması !

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Pen­dant que les filles claque­nt l’a­gresseur, et que les agents de sécu­rité privés de l’u­ni­ver­sité essayent de pren­dre l’homme des mains des filles, une des étu­di­antes fait “la crieuse” et explique la situation…

(con­ver­sa­tion inaudibles)

00:40 
L’a­gresseur demande “Dites-moi, qu’est-ce que j’ai fait ?”

00:56
Une étu­di­ante hurle “Tu ne ren­tr­eras pas dans ce parc !!”

La crieuse” con­tin­ue suiv­ie des applaud­isse­ments : “.… il agresse les femmes… si dans ce pays il n’y a pas de jus­tice, les femmes fer­ont leur pro­pre justice !”

01:09
Une autre étu­di­ante “Que cela soit un exem­ple ! Per­son­ne ne peut agress­er les femmes !”

Applaud­isse­ments…

01:20
Un slo­gan est scan­dé : “Vive la sol­i­dar­ité des femmes !”

Il ne s’ag­it pas d’une réac­tion ven­ger­esse de foule, mais bien d’une démon­stra­tion réfléchie et col­lec­tive­ment assumée, à con­tre courant de l’idéolo­gie patri­ar­cale dom­i­nante en Turquie, et légitimée davan­tage encore par le régime.

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