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Plusieurs villes du Sud-Est de la Turquie (Nord Kur­dis­tan) comme Sur et Silopi entre autres, ont été mis­es à sac par les forces de sécu­rité, durant de longues péri­odes de cou­vre-feu et des mil­liers de per­son­nes ont été for­cées de quit­ter leur lieux de vie.

Pen­dant les “opéra­tions de net­toy­age” comme aime le dire le gou­verne­ment AKP, les destruc­tions et les mas­sacres, nous n’étions pas les seul(e)s à nous pos­er des ques­tions sur l’avenir de Sur par exem­ple. Sachant que le BTP, le “recy­clage urbain” sont des secteurs impor­tants de l’économie de la Turquie, et forte­ment sources de cor­rup­tion, on pou­vait facile­ment imag­in­er l’ef­fet d’aubaine. Car der­rière, chaque pro­jet qu’il soit petit ou grand, se conçoit comme une ten­tac­ule des poli­tiques de “pro­grès” basées sur le “prof­it”, quitte à détru­ire nature, lieux his­toriques, sites classés, ou tout sim­ple­ment lieux de vie avec toute la vie locale autour. On trou­ve, sous chaque pierre de chantier soulevée, les mêmes entre­pris­es proches du gou­verne­ment qui opèrent par sous-trai­tants ou entre­pris­es publiques inter­posés, et mon­tages financiers au ser­vice du prof­it. Alli­er oeu­vre de “net­toy­age eth­nique” à gros oeu­vre source de prof­its à l’Est, c’est aus­si ce que favorise ce gouvernement.

Déjà, un peu partout en Turquie, sous cou­vert de “recy­clage urbain” des quartiers entiers, notam­ment à Istan­bul, sont vidés de ses habi­tants, rasés, recon­stru­its, suivi d’une gen­tri­fi­ca­tion… A tra­vers ce proces­sus appelé “réno­va­tion urbaine” se pro­file à Istan­bul l’exclusion sociale des class­es pop­u­laires et des minorités eth­niques. Le Sulukule, quarti­er his­torique des Roms, est un des exem­ples trag­iques d’une véri­ta­ble entre­prise de démo­li­tion man­i­fes­tant la volon­té de men­er de front une poli­tique d’acculturation et de lis­sage du paysage urbain.

Et ce mal­gré la lutte des habi­tants, des organ­i­sa­tions de société civile, mal­gré l’avertissement des asso­ci­a­tions cor­po­ra­tives d’architectes, des urban­istes, mal­gré leurs mul­ti­ples propo­si­tions d’autres solu­tions de “réha­bil­i­ta­tion”, qui per­me­t­traient la sauve­g­arde de l’architecture, de la vie sociale exis­tante, des habi­tants tra­di­tion­nels et l’âme des quartiers.

Pour les villes kur­des du Sud-Est détru­ites, nous y sommes aus­si. C’é­tait gros comme une maison !

La dernière étape de l’opération, après la destruction, c’est le pillage :
l’expropriation
!

sur doc signatures decision

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Suite à la demande du 16 mars 2016, du Min­istère de l’Environnement et d’Urbanisme, une déci­sion urgente d’expropriation a été prise par le cab­i­net de Min­istres le 21 mars et pub­liée le 25 mars 2016 dans le jour­nal officiel.

Le quarti­er porte le nom “SUR” (muraille) car ce lieu his­torique se trou­ve en intromuros.

Sur fait par­tie du Pat­ri­moine Cul­turel Mon­di­al de l’UNESCO, berceau his­torique, il garde en son sein de nom­breux lieux à pro­téger. Deng­bêj Evi (la mai­son du deng­bêj, chanteur tra­di­tion­nel kurde), Cemil­paşa Kon­ağı, (l’Hôtel de Cemil­paşa), Hasan­paşa Hanı (L’Auberge de Hasan­paşa) ne sont que quelques uns des lieux his­toriques. Le Cen­tre Cul­turel de Dicle Fırat, le bâti­ment de la Mairie de Sur, ain­si que de nom­breux lieux publics et civils sont con­cernés par le pil­lage qui se met en place.

Notons qu’en fin décem­bre, alors que Sur était le lieu d’af­fron­te­ments et que ses édi­fices étaient endom­magés, le Bar­reau de Diyarbakır, et MHD (L’association des Juristes de Mésopotamie) avaient fait appel à l’UNESCO. “La pro­tec­tion des enceintes (sur) de Diyarbakır et les con­struc­tions intra­muros est sous respon­s­abil­ité fon­da­men­tale de l’humanité. Nous appelons à pren­dre des pré­cau­tions en urgence, pour la sauve­g­arde de Sur, inté­gré dans la liste de l’héritage cul­turel du monde, de son his­toire, de sa pop­u­la­tion, avant un point de non retour.”

L’UNESCO n’a don­né aucune suite…

Expropriation de 82% du quartier

Selon la déci­sion, sur Sur, 6.300 par­celles, sur 7.714, soit 82% du quarti­er seront expro­priées, en rouge sur la carte. Il s’ag­it de 10.846 habi­ta­tions, églis­es, édi­fices, hôtels, locaux com­mer­ci­aux… Quant à la couleur bleu, elle con­cerne des par­celles déjà expro­priées. Objec­tif 100% !

 

carte sur diyarbakir

Pour les plus curieux la liste des expropriations :

Devant la déci­sion de l’expropriation, les archi­tectes, urban­istes, his­to­riens pro­gres­sistes tirent la son­nette d’alarme :
“Il ne s’agit pas d’autre chose que d’un géno­cide cul­turel et social !”

Şerefhan Aydın, le Prési­dent de la Cham­bre des archi­tectes de Diyarbakır annonce qu’une réu­nion excep­tion­nelle sera tenue, et que cette déci­sion sera portée devant les tribunaux.

En ce moment, toutes les dynamiques de la ville sont sous le choc. Nous essayons d’obtenir les détails de la déci­sion. Qu’est-ce que c’est que ces façons de faire ? La plu­part des par­celles con­cer­nent des bâti­ments cul­turels, religieux, des lieux soci­aux, cen­tre d’Art, la Mairie. Une déci­sion prise d’en haut, sans con­sul­ter per­son­ne, est en train d’être exé­cutée. Il y a des dynamiques urbaines, cham­bres cor­po­ra­tives, organ­i­sa­tions civiles et un tra­vail de ce type se fait sans aucun tra­vail com­mun avec ces acteurs. Nous ouvrirons un proces­sus judiciaire.

Şerefhan Aydın ajoute :

Quand nous par­lions du “prof­it”, on nous dis­ait com­ment pou­vez-vous le savoir. Voilà, main­tenant c’est mis à jour. La déci­sion com­prend aus­si des lieux privés et ils seront offerts aux alliés [de l’AKP]. Nous voyons cette démarche comme une ini­tia­tive de destruc­tion de l’espace de vie et d’une cul­ture exis­tante. C’est un géno­cide social et cul­turel. Ils vont, avec leurs pro­mo­teurs, met­tre à sac le tis­su cul­turel et social et le con­cevoir de nouveau.

Sou­venons-nous, pen­dant que Sur se vidaient de ses habi­tants, pen­dant que ses rues et maisons étaient mis­es en sang et en épave, le Pre­mier Min­istre Ahmet Davu­toğlu, avait annon­cé les inten­tions du gou­verne­ment en déclarant “Nous allons recon­stru­ire Sur de telle façon, qu’elle sera comme la Tolède.”

Şerefhan Aydın pré­cise égale­ment que mal­gré la fin déclarée des “opéra­tions”, les inter­dic­tions continuent.

Les entrées et sor­ties sont empêchées, con­trôlées par des murs en béton [instal­lés en début mars]. A l’intérieur, les engins de travaux publics fonc­tion­nent. Nous ne savons pas ce qu’ils font, seules les admin­is­tra­tions attachées à la Pré­fec­ture le savent. Si les opéra­tions sont ter­minées, pourquoi on ne peut tou­jours pas y accéder ?

murs entrees quartier sur diyarbakir

Un mur en blocs de béton était mis en place, mi mars, pour blo­quer le passage.

sur travaux 2 sur

Les habi­ta­tions qui restent à peu près debout, sont détruites.

expropriation sur

Les ter­rains sont dégagés afin de créer de larges espaces disponibles

L’ur­gence, au moment des sièges, était bien sûr celle des vic­times. C’é­tait d’alert­er sur les mas­sacres en cours, de dénon­cer leur “ori­en­ta­tion” géno­cidaire. Mais déjà des voix s’é­taient élevées pour met­tre à jour des “pro­jets”, pour ces quartiers. Quoi de plus effi­cace, que de lier dis­per­sion des pop­u­la­tions, destruc­tion des lieux de vie, gen­tri­fi­ca­tion à car­ac­tère eth­nique, pour “colonis­er” des espaces de ter­ri­toire qu’on ne peut main­tenir sous con­trôle mil­i­taire pen­dant des décen­nies encore ? Quoi de plus effi­cace que de lier cela avec les béton­neurs, le tourisme de masse à la “Turquie nou­velle,” les investisse­ments pour le “mod­ernisme de la con­som­ma­tion”. N’en dou­tons pas, il y aura bien là dedans aus­si une “mosquée nou­velle”. Le régime saura sans doute aus­si suff­isam­ment séduire cer­taines couch­es bour­geois­es kur­des qui votaient déjà pour lui… Les résis­tants d’o­rig­ine peu­vent aller se dis­pers­er ailleurs.

Cela ressem­ble à une poli­tique anci­enne que l’on con­naît bien au Moyen Ori­ent. Cette poli­tique, ne peut que ren­forcer l’idée, dans les pop­u­la­tions kur­des, qu’il s’ag­it d’une poli­tique de “coloni­sa­tion”. Nous sommes loin du pro­jet fédéral­iste et de la vie commune.


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