Quelques mots quand même, sur le traite­ment médi­a­tique en France, puisque celui là je le con­nais bien, de l’at­ten­tat d’Is­tan­bul du same­di 19 mars.

Je n’é­tais pas présent sur les lieux, comme une cer­taine « Con­stance », offi­ciant pour les chaînes d’in­fos français­es à Istan­bul, et qui pre­nait soin de dire avant chaque inter­ven­tion en « direct », qu’elle était à quelques cen­taines de mètres du lieu de l’ex­plo­sion, comme pour authen­ti­fi­er son dis­cours haché de bonnes intentions.

Ain­si, sus­pendu à ses lèvres, le petit peu­ple de France, pou­vait dans la journée de same­di, appren­dre ce que le Figaro avait déjà pub­lié (disponible en kiosque à Istan­bul) : « la respon­s­abil­ité kurde est la piste la plus sérieuse…bla bla bla… ».

N’ou­blions pas qu’i­ci, chaque chaîne se refile l’in­fo comme on se passe le sel, et que donc la journée s’est passée à répéter en boucle ce que la « bonne aven­ture » en vis­ite du côté de l’am­bas­sade de France à Istan­bul avait bien voulu « révéler » à l’an­tenne. Sa « voy­ance » fai­sait foi.

Pas un mot sur le bouclage pro­vi­soire des réseaux soci­aux, l’hys­térie poli­cière, les déc­la­ra­tions offi­cielles con­tra­dic­toires, et surtout, très tôt, la mise en évi­dence, du fait de caméras de sur­veil­lance, de la présence sur les lieux d’une per­son­ne, Mehmet Öztürk, qui « avait des liens avec l’organisation ter­ror­iste » Etat islamique, annon­cera plus tard le dimanche 20 mars le min­istre turc de l’Intérieur.

Efkan Ala pré­cis­era devant la presse que le kamikaze était né en 1992 à Gaziantep, au sud-est de l’Anatolie, près de la fron­tière syri­enne,  mais qu’il« ne fig­u­rait pas dans les listes des per­son­nes recher­chées ». Heureuse­ment que quelques auda­cieux de la presse turque souligneront que ces gens ne leur étaient pour­tant pas inconnus.

Efkan. Ala a noté aus­si que les liens de ce kamikaze étaient minu­tieuse­ment recher­chés, faisant état de cinq garde-à-vue jusqu’à présent, mais ne men­tion­nant pas que la police en prof­i­tait pour arrêter aus­si côté mou­ve­ment kurde offi­ciel, comme le respon­s­able jeunesse du HDP à Ankara, qual­i­fié de “dan­gereux représen­tant du PKK”.

Mehmet Öztürk serait mem­bre du groupe Dur­maz lié à Daech, et non au groupe Doku­macılar comme Savaş Yıldız, une deux­ième per­son­ne sus­pec­tée égale­ment dans un pre­mier temps comme pou­vant être l’au­teur de l’attentat d’Istanbul, avant que les résul­tats d’analyses ADN n’orientent vers Mehmet Öztürk.

Savaş Yıldız, nom­mé la pre­mière fois pour les attaques à la bombe des locaux du HDP en mai 2015, l’a donc été aus­si avant hier. Il était rap­pelé égale­ment par la même occa­sion, qu’il avait été mis en garde à vue en 2007 à Ankara et à Istan­bul pour des actions du DHKP‑C. Il est revenu dans l’actualité 8 ans plus tard avec l’étiquette Daech.
Né en 1983 à Adana, il serait lié au groupe Doku­macılar, menée par Mustafa Doku­macılar qui est comme lui, d’Adana. Aujourd’hui le jour­nal­iste Seyait Evran relayait depuis le Roja­va que Savaş Yıldız serait entre les  mains du YPG. Après l’attentat du 10 Octo­bre d’Ankara dont l’auteur est Yunus Emre Alagöz tou­jours mem­bre du groupe Doku­macılar, les perqui­si­tions effec­tuées dans son domi­cile, util­isé comme mai­son abri­tant une cel­lule de Daech, à Gaziantep, ont fait décou­vrir des fauss­es pièces d’identités appar­tenant à qua­tre mil­i­tants de Daech, dont trois mem­bres du groupe Doku­macılar. Une des iden­tités était établie au nom de Savaş Yıldız.
Il a été retracé égale­ment par des vis­ites de médecin et ordon­nances, qu’il util­i­sait une autre iden­tité fal­si­fiée, au nom de Hamza Ton­bak un citoyen qui s’est retrou­vé dans la dif­fi­culté. (Evrensel — Karar).

Voilà ce que pub­li­ait quelques jour­naux de la presse turque, dès samedi.

Mais, comme la Con­stance n’en a aucune, et qu’elle a dû garder la paie de son tra­duc­teur pour son argent de poche, elle n’en informera per­son­ne, et con­tin­uera à dis­tiller le Figaro du matin à par­tir d’Is­tan­bul, sans même s’apercevoir qu’en­tre temps, celui-ci avait eu, lui, les nou­velles infor­ma­tions. Je sais, je suis mau­vaise langue, en fait les rédac­tions avaient dû juger inutile de repren­dre à nou­veau un fais­ceau depuis Istanbul.

Les chaînes d’in­fos con­tin­ueront donc à dif­fuser l’en­reg­istrement avec Con­stance et son scoop jusqu’à tard dans la nuit de same­di à dimanche : “la piste kurde”…

Pour­tant, mal­gré le black out ten­té con­tre la dif­fu­sion d’in­for­ma­tions, dès le milieu du same­di après midi, la piste de Daech se pré­ci­sait avec un nom et un vis­age. Le Préfet d’Is­tan­bul avait beau laiss­er plan­er le doute, d’autres main­tenir la thèse d’une « attaque déjouée » con­tre un organ­isme offi­ciel, et par là incrim­in­er le PKK, il n’é­tait plus pos­si­ble de main­tenir une thèse contraire.

Il n’y a à ce jour, pas de reven­di­ca­tion offi­cielle, comme d’ailleurs pour toutes les autres attaques attribuées à Daech.

Ce que la presse ici ne dira pas, c’est que le Par­ti HDP a immé­di­ate­ment con­damné l’at­ten­tat et que le KCK lui même, dans un long com­mu­niqué, a dénon­cé l’at­taque con­tre des civils. Ce que la presse ne dira pas non plus, c’est que le gou­verne­ment a lancé aus­sitôt des arresta­tions dans le milieu du… HDP, « com­plice de la ter­reur », tant à Istan­bul qu’à Ankara…

Qu’en est-il aujour­d’hui lun­di dans la presse et les médias français ?

Aucun démen­ti sur les infor­ma­tions erronées dif­fusées en boucle durant plus de 24h00 n’a été fait, aucune com­mu­ni­ca­tion sur les « auteurs de l’at­ten­tat d’Is­tan­bul » non plus. Et pour­tant, des brèves sur les déc­la­ra­tions d’Er­do­gan, con­damnant la mon­tée du « ter­ror­isme » pas­saient encore ce matin en incrus­ta­tion entre deux infos sur la polit­i­cail­lerie française… Pour la presse écrite, Le Monde, sur son site, men­tionne l’i­den­tité de l’au­teur de l’at­ten­tat et la con­fir­ma­tion des autorités turques et, pour con­tre­bal­ancer, finit l’ar­ti­cle en men­tion­nant « une série d’at­ten­tats meur­tri­ers », et la reven­di­ca­tion du TAK (en pré­cisant l’aspect kurde) pour les deux atten­tats précé­dents… Faut quand même men­tion­ner le 2 à 1 con­tre Daech… Sans du tout revenir sur le mas­sacre à Ankara de 2015, ou l’ex­plo­sion de Diyabakir, où juste­ment, les mêmes « iden­tités » avaient été citées… Mais le Monde manque de Con­stance, il faut lui pardonner.

Le reste des médias, petit à petit, titre le plus sou­vent « selon le gou­verne­ment turc, l’au­teur de l’at­ten­tat serait lié à Daech »… Remar­quez bien com­ment on reste dans la droite ligne du same­di… « Il y a une piste de Daech, mais nous n’y croyons pas », « mais si le gou­verne­ment turc le dit, alors… ».

Dans les comités de rédac­tion, la crainte de se retrou­ver à défendre les Kur­des est telle, que désor­mais, pour pour la majorité d’en­tre eux, ter­reur et ter­ror­isme en Turquie ne peut rimer qu’avec Kur­des… Allez trou­ver une expli­ca­tion raisonnable à cela… On fera une inter­view de Con­stance, promis.

Le tourisme ? L’ac­cord Turquie/UE ? Le dés­in­térêt ?L’Eu­ro­cen­trisme ou le nom­bril­isme national ?

Je me ris­querai à une explication.

Le Moyen Ori­ent, les guer­res, les enjeux sur l’ex­il des réfugiés, les déci­sions totale­ment à court terme et les marchandages européens, tout cela con­stitue une men­ace pour l’an­née qui vient et celles qui vont suiv­re… Faire l’autruche, comme tous les politi­ciens européistes, est la seule façon de la con­jur­er et de vaquer à sa finance et son audimat.

« Cachez ce Moyen Ori­ent que je ne saurais voir », « quand on ne le voit pas, il disparaît ».

Alors, dans ces con­di­tions, deman­der aux médias ici, de par­ler des mas­sacres au Kur­dis­tan Nord, de l’u­til­i­sa­tion plau­si­ble d’armes chim­iques, des com­mé­mora­tions empêchées par la vio­lence du Nou­v­el An kurde… c’est vouloir réveiller un sourd en lui par­lant à l’oreille.

Con­stance, si tu m’en­tends.… La prochaine fois tu liras Kedistan.

Ajout jan­vi­er 2020

Ras­surez-vous, la sta­giaire de la chaîne a retrou­vé du boulot. Elle offi­cie désor­mais avec con­stance comme ani­ma­trice, dans “Le jour du seigneur”.

Con­stance un jour, con­stance toujours

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…