Per­son­nal­ité engagée dans le Kur­dis­tan de son enfance, Shay­da Hesa­mi est aujourd’hui à la tête d’une asso­ci­a­tion human­i­taire et d’une agence artis­tique de pro­duc­tion. De la France à l’Irak, elle porte un regard rem­pli d’espoir sur les Yezidis, la con­di­tion des femmes kur­des et plus glob­ale­ment sur les pop­u­la­tions de réfugiés. Nous l’avons ren­con­trée, voici son histoire.

Shayda Hesami

Les origines

Shay­da est née en Iran en 1977. Dans une famille kur­des de 8 enfants, élevés avec une approche intel­lectuelle de la reli­gion, elle passe son enfance auprès de grands pro­fesseurs et maître religieux, porté par une cer­taine volon­té de son père de lui faire con­naître une cul­ture et des valeurs de manière appro­fondie. Elle se détache pour­tant de la reli­gion à l’ado­les­cence, poussée par ce en quoi elle croit vrai­ment, cette autre forme de réflex­ion sur la vie : l’art.

En 1991, la guerre entre alors dans sa vie. L’in­sur­rec­tion kurde en Irak, face à la tyran­nie de Sad­dam Hus­sein entraine d’im­por­tants déplace­ments de pop­u­la­tions kur­des, con­traintes de fuir vers les fron­tières irani­ennes. Shay­da retrou­ve alors de la famille éloignée qui a fui le con­flit, et ren­con­tre son futur pre­mier mari. Les années passent et en 1995, elle part avec son mari rejoin­dre la ville de Hal­ab­ja, dans le Kur­dis­tan Irakien, au nord de l’Irak. Plus qu’une sim­ple cité, Hal­ab­ja incar­ne un sym­bole, ren­du tris­te­ment célèbre par le mas­sacre par arme chim­ique d’en­vi­rons 5000 civils kur­des, orchestré par l’ar­mée iraki­enne à la fin du con­flit Iran Irak en 1988.

Après cette étape, elle rejoint ses beaux-par­ents dans la ville de Souleimaniye, tou­jours dans le Kur­dis­tan irakien, et com­mence une nou­velle vie, avec des con­di­tions par­fois dif­fi­ciles dans un con­texte de crise économique sur fond de con­flit politi­co religieux. Au bout de deux années sans repère, sans tra­vail, Shay­da décide de repren­dre les études, une for­ma­tion d’ingénieur en agri­cul­ture, dans une uni­ver­sité d’une ville à la répu­ta­tion dan­gereuse. Ses beaux-par­ents n’ac­ceptent pas son choix, elle tire donc une croix sur ce pro­jet pour en faire naître un autre, expos­er son tal­ent de pho­tographe et de cal­ligraphe, dans un pays où, con­traire­ment à celui de sa nais­sance, l’I­ran, la présence de femme artistes est très lim­itée. A cette époque, Shay­da se rap­proche à nou­veau de la reli­gion, mais s’en détache une nou­velle fois en refu­sant une vision trop poli­tisée qu’elle ne partage pas, jusqu’à la renier com­pléte­ment, égale­ment motivée par la nais­sance de son pre­mier enfant, Yad, qui con­sti­tua une renais­sance pour elle.

Une conscience journalistique

shayda Hesami

Camp Ver­do — Duhok Region — 2015 — Kur­dis­tan Irakien
Pho­to Dewar Fad­hil @Z‑agency

Nous sommes au début des années 2000. Shay­da se lance alors dans des études en vue d’une car­rière de jour­nal­iste. Elle com­mence à traduire des livres et à réalis­er des inter­views . En 2002, elle intè­gre une ONG qui défend le droit des femmes. Pen­dant 3 ans, elle y dirig­era de nom­breux papiers, arti­cles, et y créera un ser­vice de pub­li­ca­tion et de traduction.

Par­al­lèle­ment à ses études, elle est con­tac­tée en 2005 par un média créé par les Améri­cains après la chute de Sad­dam Hus­sein. Un superbe pro­jet s’en suit, celui de faire un mag­a­zine sur le femmes, por­tant leurs opin­ions divers­es sur le devant de la scène cul­turelle et poli­tique. Trois ouvrages seront pub­liés, et seront remar­qués par la qual­ité de leur con­tenu ain­si leur esthétisme.Un beau pro­jet rem­pli d’idée, qui pren­dra fin en 2006 lorsque les améri­cains déci­dent de stop­per les financements.Lancée dans les médias, elle décide alors de pour­suiv­re cette voix, avec une volon­té con­stante de mêler média et art pour met­tre en avant les con­di­tions de la femme et des enfants, à tra­vers la réal­i­sa­tion de plusieurs documentaires.

En 2008, dans le cadre de ses études, elle est sélec­tion­née par­mi d’autre jeunes femmes kur­des, pour béné­fici­er d’une bourse d ‘étude et par­tir étudi­er en Europe. Elle choisira la France, un pays qui fait rêver par ses lib­ertés, sa révo­lu­tion, ses droits de l’Homme. Une oppor­tu­nité pour elle d’étudier le traite­ment politi­co médi­a­tique de la femme Kurde en France

Réel tour­nant, ce voy­age est le point de départ d’une nou­velle vie pour Shay­da. Elle quitte alors tout, famille, amis et même son fils, qui n’ob­tien­dra de visa seule­ment quelques mois après son départ. Com­men­cent alors 8 mois d’ap­pren­tis­sage de la langue française, suiv­is de 2 ans de Mas­ter. A son arrivée en France, Shay­da est con­fron­tée à l’ab­sence de prise de parole sur la sit­u­a­tion au Kur­dis­tan. Selon elle, la France n’a pas con­science ou ne souhaite pas médi­a­tis­er la répres­sion kurde, pour des raisons géopoli­tiques et économiques avec la Turquie notam­ment, qui assim­i­le les pop­u­la­tions kur­des à des terroristes.

Après trois ans d’ap­pren­tis­sage, Shay­da est inté­grée à la société française. Elle par­le français, pense comme une française, tout en gar­dant ses orig­ines kur­des et son héritage irako-iranien.

Cet héritage cul­turel et son « par­cours du com­bat­tant » pour en arriv­er là, la poussent à retourn­er au Kur­dis­tan d’I­rak, et y con­cré­tis­er de nou­veaux pro­jets, avec les médias et l’art tou­jours comme fil con­duc­teur. Elle crée alors Z, une agence artis­tique qui regroupe notam­ment dif­férentes activ­ités autour de la photographie.

Etat Islamique et Missions humanitaires

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Femmes Yézidis @Z‑Agency

Nous sommes alors en 2013, Daech s’im­plante sur le ter­ri­toire. Mod­i­fi­ant à jamais le paysage de la région, l’ar­rivée de l’E­tat Islamique en Irak a aggravé une sit­u­a­tion déjà com­plexe, faite de con­di­tions de vie dif­fi­ciles et de déplace­ments de pop­u­la­tions, dans un pays déjà meur­tri par des années de con­flits et de guerres.

Avec une volon­té de dénon­cer la ter­reur de Daech, Shay­da s’in­vestit dans une asso­ci­a­tion, l’ONG RDO, et en devient la direc­trice générale. Par­al­lèle­ment à la mise en place de pro­jets, elle tra­vaille comme con­sul­tante en com­mu­ni­ca­tion pour une agence des Nations Unies pen­dant 6 mois. A ce moment, l’U­NICEF prend con­tact avec elle, à pro­pos de la sit­u­a­tion des Yezidis, par­ti­c­ulière­ment dra­ma­tique. Com­mu­nauté kur­do­phone qui compte quelques cen­taines de mil­liers de per­son­nes en Irak, le Yézidisme est une reli­gion monothéiste qui puise une par­tie de ses croy­ances dans le zoroas­trisme, la reli­gion de la Perse antique. Ado­ra­teurs du dia­ble pour cer­tains, païens pour d’autres, les mem­bres de cette com­mu­nauté sont per­sé­cutés depuis la nuit des temps. Aujourd’hui, ils con­stituent l’une des prin­ci­pales cibles des dji­hadistes de l’Etat Islamique en Irak.

En aout 2014, l’Etat Islamique prend la ville de Sin­jar, bas­tion de la com­mu­nauté réfugiée des Yezidis. Alors que près d’un mil­liers de civiles, femmes et enfants sont mas­sacrés, env­i­ron 20 000 réfugiés parvi­en­nent à fuir par les mon­tagnes et rejoin­dre le Kur­dis­tan Irakien. Com­mence alors une vie dans les camps de déplacés.

shayda hesami

Inter­view avec une fille kurde com­bat­tante, sur ses idéolo­gies et les sit­u­a­tions actuelles des kur­des et la présence des femmes kur­des dans le com­bat con­tre Daesh. 27 Mars 2015 — Qandil — Kur­dis­tan
Pho­to Safa Hesa­mi @Z‑Agency

Com­ment dénon­cer cette sit­u­a­tion ? Com­ment la met­tre en lumière par la mise en place d’un pro­jet con­cret ? Que peut-on met­tre en place, avec les filles Yézi­dies par­ti­c­ulière­ment ? Un pro­jet se des­sine rapi­de­ment, tou­jours avec l’idée de Shay­da d’associer médias et art : for­mer les filles Yézi­dies à devenir pho­tore­porter, afin qu’elles racon­tent leur his­toires, qu’elles se mon­trent non pas comme des vic­times de Daesh, mais comme des battantes.

Soutenu par le gou­verne­ment ital­ien, Unicef d’Irak et l’agence Z, le pro­jet est validé. Une petite équipe se monte, du matériel pho­tographique est acheté et une dizaine de filles sont sélec­tion­nées pour par­ticiper aux ate­liers, work­shops et stages en pho­togra­phie. Cha­cune va alors racon­ter son his­toire, sa vie dans le camps de réfugiés. Cer­taines axent leur tra­vail sur les enfants, d’autres sur leurs proches, d’autres encore sur l’atmosphère et l’organisation du camp.

Véri­ta­ble réus­site, le pro­jet est réédité, avec plus de bud­get et de sou­tien. Des appareils pro­fes­sion­nels sont achetés et deux expo­si­tions sont organ­isées : La vie au Khanke Camp et Dans le regard des filles Yézidies.

Jetées sur les routes par les nom­breuses offen­sives de l’EI, cer­taines pop­u­la­tions civiles se sont instal­lées là où elles le pou­vaient, dans des immeubles en con­struc­tion, des mosquées ou dans la rue. Quant aux autres déplacés, ils ont trou­vé refuge dans des tentes en tis­su mon­tées dans l’ur­gence, à l’image du Khanke Camp. Situé dans la province de Dohuk dans le Kur­dis­tan Irakien à quelques kilo­mètres de la fron­tière turque, ce camp accueille 20 000 per­son­nes dans des con­di­tions précaires.

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Son dernier pro­jet en date ? Faire venir sur Paris l’exposition « La vie au Khanke Camp », et con­stru­ire un par­cours dans la cap­i­tale pour les filles Yézi­dies, jonché de décou­vertes et de ren­con­tres, afin de leur ouvrir des portes en France.

Aujourd’hui de nou­veau maman d’une petite Ophélia avec son nou­veau com­pagnon de vie, Shay­da Hesa­mi pour­suit son com­bat, que ce soit depuis la France ou au Kurdistan.

R.G.


Un arti­cle repub­lié sur Kédis­tan avec l’aimable autori­sa­tion du mag­a­zine A Nous Paris, sur lequel il a été pub­lié le 11 mars dernier. Retrou­vez les sur Face­book.

 

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