Début jan­vi­er 2016, des uni­ver­si­taires lançaient un appel à sig­na­tures pour la Paix qu’ils avaient inti­t­ulé “Nous ne serons pas com­plices de ces crimes”.

Une fois traduit, nous l’avions pub­lié ici, dans les 7 ver­sions de langue disponibles.

Dès le 11 jan­vi­er, près de 1200 uni­ver­si­taires, issus de 89 uni­ver­sités, dont des uni­ver­sités étrangères, avaient déjà signé le texte.

L’ini­tia­tive des “Barış için akademisyen­ler”, (BAK, Uni­ver­si­taires pour la Paix) était vive­ment attaquée, à peine lancée, et les men­aces aus­si bien gou­verne­men­tales qu’en prove­nance de la société civile pleu­vaient. Les ultra nation­al­istes, comme les par­ti­sans de l’AKP, le par­ti d’Er­do­gan, s’en pre­nait à eux vio­lem­ment et verbalement.

Un ex chef de mafia, con­nu en Turquie pour ses ser­vices ren­dus dans des affaires par­ti­c­ulières de cor­rup­tion en lien avec l’E­tat pro­fond turc et ses ser­vices, annonça même « Nous allons faire couler des riv­ières de sangs, et nous allons nous douch­er avec ». Ces men­aces pou­vaient être pris­es au sérieux, puisque ce même indi­vidu  avait annon­cé un “bain de sang” avant l’at­ten­tat d’Ankara d’oc­to­bre 2015, qui fit plus de 100 morts et 400 blessés.

Le Prési­dent lui même mon­ta au créneau, lançant la cam­pagne d’in­jures et de men­aces qui allait suiv­re. Dans un dis­cours, le 14 jan­vi­er,  où il s’adres­sa même à Noam Chom­sky, qui s’é­tait pronon­cé en sou­tien à l’ap­pel, il qual­i­fia de “pseu­dos intel­lectuels ignares et obscurs” les sig­nataires et soutiens.

La divul­ga­tion publique des adress­es des sig­nataires, les affichettes col­lées sur les portes de leurs bureaux, leurs domi­ciles mar­qués d’une croix, tout y pas­sa avant les gardes à vue, qui très vite eurent lieu pour 33 d’en­tre les sig­nataires. Rien ne fut épargné pour que cer­tains d’en­tre eux, pour des raisons évi­dentes de sécu­rité ne retirent leurs sig­na­tures. D’autres furent même con­traints à des déc­la­ra­tions publiques.

Tous les épisodes sont en liens cli­quables dans cet arti­cle, nous n’y revien­drons pas.

Qu’en est-il aujour­d’hui, deux mois et demi après cette mobil­i­sa­tion, qui d’ailleurs coïn­cidait avec une offen­sive d’Er­do­gan en direc­tion d’u­ni­ver­sités réputées peu favor­ables au régime ?

Les sou­tiens ont con­vergé très rapi­de­ment à la fois de dif­férents pays étrangers à la Turquie, sous forme de péti­tions divers­es, intel­lectuels ou non, et du coeur même de la Turquie, en prove­nance de plate­formes qui avaient déjà soutenu le mou­ve­ment pour la Paix, ou de nou­velles cor­po­ra­tions (avo­cats, pho­tographes, édi­teurs etc.). Si les réac­tions mul­ti­ples ont été impor­tantes, le fait qu’elles n’aient pas con­sti­tué une vague unique, mobil­isant au delà, de façon plus pop­u­laire, a sans doute con­duit à un essoufflement.

Une con­férence de presse se tenait le 10 mars à Istan­bul, en présence de signataires.

universitairesFactuelle­ment, il y a eu depuis jan­vi­er 30 licen­ciements, 5 “démis­sions”, 1 mise à la retraite for­cée. 507 enquêtes admin­is­tra­tives ont été effec­tuées, qui ont abouti à 27 éloigne­ments. 153 ouver­tures d’en­quêtes pénales sont en cours par ailleurs. Bien sûr, dans le cli­mat général de con­fis­ca­tion des médias par le régime, et d’au­to cen­sure pour d’autres, les jour­nal­istes de presse qui con­tin­u­ent à cou­vrir ce mou­ve­ment se font rares.

Dans cette même con­férence, les uni­ver­si­taires présents ont décrit les mas­sacres qui se sont déroulés dans les sous sols de Cizre et ont forte­ment indiqué que cela les ren­forçaient dans leurs pris­es de position.

Ils ont égale­ment attiré l’at­ten­tion sur un pro­jet de loi sur la “sécu­rité”, qui doterait les dites “forces de sécu­rité” d’une immu­nité en matière de lutte anti ter­ror­iste. Ils l’ont qual­i­fiée de “loi pour l’impunité”.

Quelques anec­dotes ont au pas­sage étaient délivrées con­cer­nant le pas­sage de certain(e)s d’en­tre eux devant le Pro­cureur, indi­quant que ce dernier igno­rait jusqu’aux motifs de pour­suites, le fond même de l’ac­cu­sa­tion et les motifs juridiques, les mag­is­trats ne répon­dant qu’à l’ap­pel de leur Prési­dent, afin que les dossiers ne traî­nent pas…

Le col­lec­tif a prévu quelques actions pour le mois à venir :

Accom­pa­g­n­er sys­té­ma­tique­ment chaque con­frère devant les tri­bunaux ou chez les magistrats.

Faire des “tours de veille” au Kur­dis­tan Nord (Sur, Diyarbakir)

Don­ner des cours dans la rue, devant les uni­ver­sités qui ont licen­cié des signataires.

Con­tin­uer à dénon­cer et dif­fuser l’appel.

Rap­pelons que le site inter­net sur lequel il avait été posté avait été sus­pendu dès les pre­miers jours.

Comment faire un bilan de cette initiative des universitaires pour la Paix ?

Si elle a mobil­isé en Turquie des forces impor­tantes dans une sphère respec­tée jusqu’alors de la société turque, si elle a obtenu le sou­tien d’in­tel­lectuels et d’u­ni­ver­si­taires de renom dans le monde, elle est cepen­dant restée sans lien et relai pop­u­laire ou/et politique.

Même si on sait qu’une cer­taine par­tie des sig­nataires sont des répub­li­cains kémal­istes human­istes et ouverts, aux côtés d’autres plus enclins à soutenir la cause kurde et l’idée de l’au­tonomie et du con­fédéral­isme démoc­ra­tique, les laïcs répub­li­cains n’ont pour­tant pas suivi de façon mas­sive, encore moins le par­ti CHP social libéral qui les représente. La ques­tion kurde reste tabou et divise tou­jours, et même davan­tage depuis 2015 et les élec­tions de novem­bre. Là, Erdo­gan a réus­si en par­tie son pari, de la guerre et de la division.

Cette flamme qui brûle forte­ment encore dans les uni­ver­sités, enseignants et étu­di­ants réu­nis, subit aus­si les assauts répétés du pou­voir Erdo­gan, par tous moyens. Il a déjà placé dans cer­taines des com­pars­es en tant que directeurs, dans d’autres il pousse des “asso­ci­a­tions étu­di­antes”, quand ce n’est pas car­ré­ment des “pro Daech affir­més” qui ont mon­té des provocations.

On le voit, tous les milieux de savoir et de con­tre pou­voirs sont pris pour cibles par ce régime. Et à cet égard, le com­bat con­tre les “sig­nataires pour la Paix” a aus­si servi pour “net­toy­er” l’u­ni­ver­sité, en con­tre attaque d’Erdogan.

Quand aux régions de l’Est elle mêmes, les cris de “où étiez vous”, lancés par les rescapés des mas­sacres, où les familles de vic­times, en dis­ent long sur la façon dont les pop­u­la­tions ressen­tent ce “sou­tien”, par­fois bien éloigné dans la forme, des sévices qu’elles subis­sent au quo­ti­di­en. On com­pren­dra aisé­ment que ces pop­u­la­tions puis­sent atten­dre aujour­d’hui davan­tage de la résis­tance armée.

L’é­parpille­ment des com­bats, la répres­sion sys­té­ma­tique, qui pour­tant ne décourage pas, porte ses fruits pour le régime AKP, et tout pousse à la guerre.

Il ne lui man­quait plus qu’un sou­tien affiché de l’U­nion européenne, sa voisine.

C’est main­tenant chose faite, depuis quelques jours. On imag­ine facile­ment ce qu’un tel régime va en faire.

Et ce ne sont pas les protes­ta­tions dis­parates des par­lemen­taires européens qui vont faire évoluer les choses. En dehors d’une aile gauche, unie sur l’analyse du régime Erdo­gan, et favor­able à l’ou­ver­ture des fron­tières aux exilés de guerre, farouche­ment et claire­ment opposée à un sou­tien au régime AKP, les autres, sont davan­tage unis par le refus de l’im­mi­gra­tion et une atti­tude “anti turque” à car­ac­tère qua­si xéno­phobe, qui n’ap­portera aucun sou­tien à l’op­po­si­tion intérieure, encore moins aux luttes kurdes.

Qui nous reprochera d’être peu opti­miste pour les mois à venir ? Que ceux ou celles là nous jet­tent la pre­mière bonne nou­velle ! Nous sommes preneurs.

Dernière minute, le 16 mars : arresta­tions et incar­céra­tions de plusieurs ini­ti­ti­a­teurs du mou­ve­ment , voir bil­let ICI


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