Le som­met Europe Turquie sera peut être le domi­no qui fera bas­culer tous les autres. La guerre au kur­dis­tan Nord n’a jamais été si proche.

Car si Erdo­gan vient de ren­tr­er un dou­ble six, en faisant céder l’Eu­rope pour 6 mil­liards au lieu de 3, il peut aus­si se pré­val­oir d’une absence de “reproches” con­cer­nant sa poli­tique, tant sur le plan des lib­ertés publiques (con­fis­ca­tion de médias), que sur le plan de la Paix civile.

Si des voix venant de la pseu­do coali­tion se sont faites enten­dre, à pro­pos des bom­barde­ments de la zone d’Afrin en Syrie, et de l’aide en con­tinu à des fac­tions dji­hadistes, (mal­gré le cessez le feu), qui con­tin­u­ent autour d’Alep à faire des vic­times kur­des, cela n’est pas arrivé jusqu’à Bruxelles.

Les témoignages de l’hor­reur des exac­tions et crimes de guerre qu’ont com­mis et que com­met­tent les troupes de répres­sion au Kur­dis­tan nord, ont du être fil­trés égale­ment par l’é­pais­seur des murs du Par­lement européen de Brux­elles, où tous étaient réu­nis pour fix­er le prix du “migrant” et du “réfugié” à la bourse de la mis­ère internationale.

C’est donc l’ex­act con­traire de l’appel européen récent qui cir­cule, signé au départ par quelques poli­tiques et intel­lectuels, qui sort de l’ac­cord passé dimanche. Et même si, sur la demande de la Chancelière alle­mande, le texte final ne dit plus, grâce à des vir­gules de bour­geois gen­tils hommes, que “la route des Balka­ns est désor­mais close”, il s’ag­it bien de la con­sti­tu­tion d’un mur européen, de l’in­stau­ra­tion d’un sas per­me­t­tant trocs et échanges de réfugiés “triés”, et ren­voi d’une bonne par­tie d’en­tre eux.

Et pour cela, il y avait besoin d’un kapo. Le régime turc leur a paru tout indiqué, comme le fut hier un Kad­hafi qui avait fait ses preuves.

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Il s’ag­it là d’un “marché” non seule­ment totale­ment inhu­main, mais surtout poli­tique­ment très lourd de con­séquences à court terme.

Pour ne pas à avoir à s’en­ten­dre entre gou­verne­ments européens, tous tournés aujour­d’hui sur leurs préoc­cu­pa­tions poli­tiques intérieures, leurs fron­tières qui se refer­ment, les visas de tran­sit qui refleuris­sent en toute illé­gal­ité européenne, les restric­tions à la libre cir­cu­la­tion, et j’en passe… Pour ne pas dis­cuter dans un cadre européen de la crise human­i­taire et des aides à met­tre en place, des poli­tiques d’ac­cueil unifiées, d’un cadre européen avec bud­get dédié, l’Eu­rope fait un chèque et exter­nalise, comme le ferait une entreprise.

Cela demande bien sûr des con­ces­sions, et de taille, pour obtenir du gou­verne­ment turc une telle promesse de prise en charge. Elles furent faites, en silence.

Et bien que 4 groupes poli­tiques au sein du Par­lement européen aient appelé à une vis­ite en Turquie et dans la région kurde, ain­si que des efforts pour une ré-ouver­ture des négo­ci­a­tions entre les deux côtés, par le biais d’une demande écrite, soumise à Mar­tin Schulz et Fed­er­i­ca Mogheri­ni, on sait pour­tant que le vœu que l’U­nion européenne et le Par­lement européen con­tribue aux efforts pour redé­mar­rer le proces­sus de réso­lu­tion sur la ques­tion kurde restera sans suite. Il est en totale con­tra­dic­tion avec la posi­tion de tous les gouvernements.valises domino

Erdo­gan vient donc à l’in­ter­na­tion­al d’obtenir un blanc seing de la vieille Europe, et une qua­si abso­lu­tion de ses crimes, passés et à venir. Cha­cun sait que la per­spec­tive d’ad­hé­sion n’in­téresse aucune des par­ties, et sert de par­avent aux marchandages, comme pour Erdo­gan, en interne d’éven­tail à gogos, en direc­tion de ses soci­aux libéraux…

Par­lons-en juste­ment, de ce par­ti CHP, numéro 2 poli­tique en Turquie. Son kémal­isme obtu n’a d’é­gal que la big­o­terie de l’AKP. Ne vient-il pas, coup sur coup, de sign­er un texte com­mun avec l’AKP pour con­damn­er le “ter­ror­isme”, après l’ex­plo­sion d’Ankara, attribuée tou­jours par le gou­verne­ment au PKK, et de dépos­er une demande d’en­quête sur.… “la façon dont l’AKP aurait favorisé le développe­ment et l’in­flu­ence du PKK en négo­ciant avec lui trop longtemps”. Suiv­ez mon regard, cette “influ­ence” aurait aus­si don­né nais­sance au HDP, dont le Co Prési­dent sera pour­suivi bien­tôt, avec une demande de dis­so­lu­tion tou­jours pos­si­ble… Com­prenez avec cela, que ce même par­ti social libéral kémal­iste, refait des appels du pied aux ultra nation­al­istes, pour “l’u­nité de la nation turque”, et vous planterez le décor des magouil­lages poli­tiques en cours, sur fond de grand silence sur ce que fait l’ar­mée et ses mer­ce­naires, entre­coupé de cris de vic­toire sur “les points mar­qués con­tre le terrorisme”.

Le mou­ve­ment kurde est de plus en plus isolé poli­tique­ment. Il est coupé de ses appuis à l’Ouest, en dehors des alliances démoc­ra­tiques qu’il avait passées au sein du HDP avec des secteurs de la gauche turque, représen­tat­ifs de luttes. Il vient aus­si de con­stater l’es­souf­fle­ment du mou­ve­ment pour la Paix civile, déjà divisé lors des élec­tions de novem­bre, relancé avec l’ap­pel des Uni­ver­si­taires, puis en panne.

La main ten­due que représen­tait Demir­tas, et avec lui le HDP, la propo­si­tion d’au­tonomie, de con­fédéral­isme démoc­ra­tique, comme réponse aux vel­léités de réformes con­sti­tu­tion­nelles de l’AKP, n’a reçu aucune réponse. Le CHP lui même ne veut pas entr­er dans ce débat. Ce n’est donc pas dans le cadre par­lemen­taire que les réso­lu­tions de crise se feront.

Et c’est juste­ment ce débat là, qui existe aujour­d’hui, au sein du mou­ve­ment kurde. L’au­to défense organ­isée dans les quartiers assiégés autour de Diyarbakir, avait déjà écartelé les choses, entre guerre et paix, face aux mas­sacres en cours.

La stratégie d’un TAK, revendi­quant l’ex­plo­sion d’Ankara, et promet­tant le “feu” à la Turquie, est la pointe la plus extrême de ce grand écart, qui va en s’élargissant.

Le HDP a forte­ment réa­gi à ce dan­ger, en appelant aux march­es sur Sur, qui ont per­mis la lev­ée pro­vi­soire du blo­cus de la ville mar­tyre de Cizîr. Mais là aus­si, des voix nom­breuses se sont élevées pour dire “où étiez vous ?” . Les pop­u­la­tions sont à bout, et con­sta­tent l’hor­reur des destruc­tions, la sauvagerie des forces de l’é­tat. Bien sûr que tous demande la paix, mais cha­cun pense qu’elle ne pour­rait être obtenue que par la guerre peut être désor­mais, et surtout par­mi les plus jeunes.

Voici donc un tableau qui peut faire crain­dre le pire, non plus une guerre d’au­to défense con­tre des sièges, une sit­u­a­tion des années 1990, mais une guerre civile au Kur­dis­tan, avec ren­forts armés venus d’au delà des fron­tières proches. Le PKK récem­ment ne déclarait-il pas que la Turquie serait “le feu du Newroz” ?

On peut large­ment devin­er que la poli­tique et le mil­i­taire mêlés sont sans doute au cen­tre des débats du mou­ve­ment kurde, et que le HDP n’y échappe pas. Cela explique en par­tie le dur­cisse­ment du dis­cours de Demir­tas ces derniers temps, et ses appels à l’aide, jusque chez des “parte­naires européens social­istes” par­mi les moins fréquentables.

Erdo­gan peut tou­jours arrêter le bras de la ter­reur, détourn­er le domino.

On peut douter qu’il le fasse, au vu de cette semaine écoulée, où il a fait à la fois l’éloge de vic­toires sur le PKK en lais­sant exhiber dans la presse des pris­on­niers, et mas­sacr­er des civils dans des vil­lages encore sous cou­vres feux. Les femmes, les enfants sont désor­mais cibles courantes pour sa troupe.

Vous voulez un exem­ple récent

Idil, retenez bien ce nom, après Cizre, Sur, ce sont les nou­veaux mas­sacres qui commencent

Selon des rap­ports, 13 civils ont été exé­cutés par les forces gou­verne­men­tales déployées dans la ville d’Idil . Hier, les forces de l’E­tat ont récupéré les corps de 10 per­son­nes tuées dans le quarti­er Turgut Özal au milieu des attaques inten­si­fiées, et les ont plus tard trans­portées sur un tracteur à l’hôpi­tal public.

Depuis des véhicules blind­és turcs, les forces de l’é­tat ont joué des chan­sons et des hymnes racistes alors qu’ils accom­pa­g­naient le tracteur à l’hôpital.

Plus tôt hier, 3 corps de per­son­nes tuées ont été retrou­vés par les forces de l’E­tat dans une zone située entre les vil­lages de Kuyu­lu et Dirsek­li sous un cou­vre-feu depuis 3 semaines.

Fer­hat ENCU, député du HDP, qui est lui-même dans la ville, a déclaré con­cer­nant les 13 per­son­nes tuées ” Cer­tains d’en­tre elles ont été assas­s­inées dans les quartiers en état de siège, et quelques autres qui essayaient de quit­ter la ville. Ils étaient tous des civils et des jeunes vivant dans İdil. Ils ont été très prob­a­ble­ment exé­cutés.

On sait aus­si qu’Er­do­gan lorgne sur Nusay­bin, ville fron­tière, assiégée elle aus­si, et qui se défend en osmose avec la population.

Le blanc seing européen peut décider le régime AKP à en finir, sans retenue, avant le Print­emps. Il a le silence com­plice intérieur de son oppo­si­tion sociale libérale, et la las­si­tude poli­tique des milieux laïcs. C’est donc pour Erdo­gan une “fenêtre” favor­able… qui serait prob­a­ble­ment le début d’une guerre.

Non, l’Eu­rope ne serait pas respon­s­able. Elle serait juste coupable d’avoir détourné les yeux et fourni la mèche. Ce ne serait pas la pre­mière fois.

Imag­in­er ce scé­nario du pire, c’est aus­si pren­dre en compte la géopoli­tique syri­enne et iraki­enne, et penser que ce scé­nario peut éten­dre le chaos et… provo­quer un exil mas­sif vers l’Europe.

La mon­tée des iden­tités, les replis, les poli­tiques anti­so­ciales et les pop­ulismes mon­tants d’ex­trême droite, toute cette Europe qui pour­rit sur pied et ne rêve plus qu’à sauver sa finance et les larbins politi­ciens qui la pro­tège, tout cela for­mule la mise en place d’un jeu de domi­no qui deviendrait dif­fi­cile­ment maîtris­able à très court terme, et pour des années.

Je ne suis pas “poli­to­logue spé­cialisse”, je n’ai pas de livre à ven­dre, ni de nom peo­ple. Je fais là ce que tout à cha­cun peut faire, réfléchir quand les clés sont sur la table, sous nos yeux.

Les déci­sions que pren­nent des politi­ciens peu­vent engager des vies, et l’avenir de tous, quand elles par­ticipent d’une spi­rale qui peut fil­er vers un chaos sur le dos des Peu­ples qui un temps, leur ont malen­con­treuse­ment délégué le pouvoir.

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 Ajout : 10 mars “la lev­ée de boucliers des par­lemen­taires européens”

Juste­ment, par­lons en. La presse européenne fait ses gros titres sur le divorce entre la France et l’Alle­magne, et la vidéo filmée de l’in­ter­ven­tion de députés européens fait un buzz sur les réseaux soci­aux. Vis­i­ble­ment, quand on y regarde de près, ce sont les plus farouch­es “anti migrants” pour leur pro­pre pays qui mon­tent au créneau con­tre l’ac­cord avec la Turquie… Le dis­cours est séduisant, la cri­tique d’Er­do­gan est forte, mais bien vite deux relents ressor­tent : le vieux fond anti turc (à déclin­er comme anti musul­man, anti “arabe” ??) et la défense de la “nation” capa­ble de pren­dre ses déci­sions seule, sans devoir pass­er par l’Eu­rope qui passerait des accords dans son dos.

Il n’est pas éton­nant que la ques­tion de l’ex­il des réfugiés de guerre n’ayant fait l’ob­jet d’au­cune dis­cus­sion poli­tique de fond au sein des états et au sein des instances européennes, une fois l’ac­cord bricolé au som­met, cha­cun y aille de son désac­cord. Le seul point d’ac­cord entre la majorité des cri­tiques, c’est le refus de l’ac­cueil… Et de cela, la presse par­le peu.

Il n’y a que 4 groupes iden­ti­fiés à gauche, qui ont ensuite tenus con­férence de presse pour rap­pel­er à la fois leur volon­té de voir mise en place une vraie poli­tique d’ac­cueil con­certée, et le refus de cet accord de la honte avec Erdo­gan. Mais cette posi­tion, rap­pelons le, est minori­taire au Par­lement européen.

Ne nous méprenons donc pas sur la “fronde” du Par­lement, même si, par oppor­tunisme, cet accord pour­rait être con­testé de front. Le seul point posi­tif qui ressor­ti­rait de ce front dis­parate, serait sans con­teste celui qui terni­rait pour Erdo­gan le beau sou­tien à sa politique.

Lire aus­si ce 10 mars, l’in­ter­view de Garo Pay­lan, député HDP, parue dans Téléra­ma et qui partage cette même analyse.

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…