Je suis comme beaucoup en Turquie très fidèle à mes journaux. Dans ma famille, comme beaucoup, acheter plusieurs journaux et faire des lectures croisées a toujours été une tradition. Pourtant, Zaman…
Je n’ai jamais été lectrice de Zaman qui est l’organe de presse des “Gülenistes,” une confrérie religieuse, parce que je n’en partage pas les idées. Cette confrérie, dont le leader Fetullah Gülen, ce richou, était allié d’Erdogan, s’est depuis deux ans déclarée son “ennemi number one”. Peu importe, ce qui me met en colère, c’est l’acharnement à nouveau là, de l’Etat sur tout ce qui est “opposition”, même si c’est pas la mienne, les opérations de main mise, illégitimes et injustifiées, voire illégales.
Là, le premier des ministres a même dit qu’ils aidaient le PKK en publiant des trucs contre Erdogan. A ce compte là, je dois les aider tous les jours moi aussi, va falloir que je me surveille.
C’est monnaie courante de lire des nouvelles qui relaient les péripéties des journalistes d’opposition de tous bords. Ils sont inquiétés, menacés, molestés, insultés, battus, arrêtés, accusés, poursuivis, mis en geôle. Je ne sais plus les compter depuis longtemps…
Rien que quelques exemples récentes parmi tant d’autres… En octobre le pouvoir AKP mettait la main sur les 22 sociétés de « Koza Ipek » dont les journaux Bugün et Millet liés aussi à la confrérie de Gülen. Can Dündar et Erdem Gül, eux du quotidien Cumhuriyet accusés d’ ”espionnage”, étaient mis en prison. Le journaliste caméraman Refik Tekin blessé par les balles de l’armée dans l’Est de la Turquie, était accusé dans son lit d’hôpital. La chaîne de télé IMC TV avait disparu de nos écrans par l’ordre de procureur… Maintenant c’est le tour de Zaman. Et bientôt un nouveau procès pour le Cumhuriyet… Je vais lire quoi moi si ça continue ?
Je ne peux que rire, en entendant Davutoglu déclarer “La mise sous tutelle de Zaman n’est qu’une procédure judiciaire et non politique”. Il suffit de posséder des yeux pour scruter le paysage et quelques neurones pour voir.
Le voilà maintenant, le Zaman, qui va publier les “versions officielles” signées du Sultan dans ses manchettes, par les soins de la nouvelle “Direction” aux ordres du pouvoir qui vient d’être placée là. Cela continuera ainsi, jusqu’à ce que le journal coule en peu de temps, comme cela été le cas de Bugün et Millet qui ont morflé après la main mise d’octobre, versions en papier disparues, versions numériques inactives depuis le 29 février.
Soit les nouveaux administrateurs sont des imbéciles placés juste là pour couler l’affaire et qu’on en parle plus, soit plus personne ne veut acheter leurs canards en cage.
D’accord, les statistiques montrent que environ 50% des habitants de Turquie lisent des journaux. Mais achètaient-ils pour autant Zaman ? En fait Zaman fonctionnait beaucoup par abonnements. La vente au kiosques représente seulement 3% de ses tirages, d’après mes informations.
Zaman tenait depuis longtemps la tête de liste, dans les tirages des journaux en Turquie, encore actuellement avec plus de 600 mille exemplaires. Par moment les tirages ont tapé le plafond du million. En deuxième position se trouve Posta. Le hic, est que quand on regarde les chiffres, on voit que les tirages du Zaman sont carrément le double de celui du journal qui le suit.
Cette différence énorme avait fait couler pas mal d’encre depuis plusieurs années. L’explication donnée par des journalistes qui se sont penchés sur l’énigme était ceci : La confrérie de Gülen, extrêmement organisée, fait vivre et finance Zaman par un système d’abonnements offerts, les exemplaires systématiquement diffusés dans les lieux publics etc. Quand il y a beaucoup de finances derrière, tout devient possible.
Les médias “alliés” à l’AKP, comme on les appelle en turc “Havuz medyası” (médias de “piscine”, ou “pool”) en faisant allusion à l’argent récupéré dans une “cagnotte”, qui a servi à acheter des groupes de médias entiers, journaux, sites, chaînes de télé, sont maintenant la voix unique du pouvoir.
Je ne suis pas lectrice de ces trucs là, je zappe aussi rapidement leurs chaînes télé. Je n’ai pas envie d’y perdre ma santé, avec ma tension qui monte en voyant les manchettes tordues, les infos tarabiscotées et la pomme de certains.
Les médias de Gülen, bien que ces derniers soient dans l’opposition et que sur certains sujets elles caressent mes pensées dans le sens du poil, comme quand ils ont dénoncé la corruption, je ne les suis pas. Je ne veux pas être dupe. Eh bien, on n’est pas non plus obligé de piocher par défaut entre la peste ou le choléra.
Sauf que, censurer l’opposition, quelque soit sa couleur, par des moyens comme ça, et en gazant les employés et les lecteurs qui protestent, ça je n’en veux pas non plus. Et avec quoi je vais bourrer mes chaussures hein ?
Bon, je crois qu’il y a un truc français qui dit “quand ils sont venus chercher X… je n’ai rien dit…”. Et bien là, c’est pareil, c’est comme ça que toute la liberté de s’informer disparaît, et que le Sultan pourra faire toutes ses saloperies dans le dos des gens.
Et quand il viendront me chercher, j’aurai même plus un journal à emporter avec moi.