Des témoignages “spectaculaires”, comme les chaînes d’infos en sont friandes, commencent à être diffusés sur les télés européennes, en provenance des villes du Kurdistan nord, et en particulier de Nusaybin. Un silence rompu donc, mais dont les éclats sont criminels.
Ces séquences filmées, où généralement ont fait figurer trois ou quatre combattants, le visage masqué derrière des foulards, et porteurs de la Kalachnikov qui effraie ici, nous présentent l’idée qu’une guerre civile se déroule entre un groupe (terroriste) armé, le PKK, et un Etat, la Turquie, qui défend son intégrité nationale. Un nationalisme contre un autre, et des populations civiles en otage, c’est à peu près l’orientation des commentaires en voix off, qui ne traduisent d’ailleurs pas les vrais propos des personnes interrogées. On nous affirme que ces combattants ont “ordre” de tuer le plus possible de militaires turcs, et qu’ils sont là pour cela, dans une spirale de guerre. Les références à Cizîr, se font par des “où le PKK a subi de lourdes pertes”… C’est la guerre, c’est comme ça, circulez y a rien à réfléchir, juste à espèrer que cela n’arrive pas jusque chez nous, ma bonne dame ! Et ces séquences, qui sont aussi rediffusées via les réseaux sociaux, le sont avec le label “Ankara=PKK=guerre”, sorte de vérité, parce que vu à la télé, d’abord celle d’Erdogan, puis les nôtres, depuis la dernière explosion et le silence qui avait suivi. C’est du moins ce que vous expliquera en complément, le “spécialiste” en plateau.
Les “bons Kurdes”, aux avant postes contre Daech en Syrie, contre les “méchants PKK” contre Erdogan en Turquie, se succéderont dans la semaine, sur fond de “guerre” et de “réfugiés”.
Même si la contre information a de grosses difficultés à lutter contre le rideau de fumée médiatique, nous continuerons à diffuser des témoignages d’amis sur place, vérifiés, puisqu’il s’agit de correspondants ou d’amis proches, pour que le silence cesse de tuer dans l’indifférence et le repli sur nos préoccupations.
Nous allons publier à suivre, un récit très récent, paru en turc il y a quelques jours, qui nous a été transmis pour traduction et publication. Il vérifie et confirme tout ce que nous publions depuis des mois.
Ce témoignage est une descente de plus dans l’univers de la guerre sur place. Mais parfois, on se demande si les populations européennes finiront par “accepter” cette réalité pourtant quotidienne, comme elles ont fini par “croire” aux vérités des livres d’histoire, sur les périodes sombres, tant d’années après. Quand on parle de massacres à Cizre, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité que des enquêtes finiront par prouver un jour, on a le sentiment qu’un paysage virtuel se tisse entre la réalité et la réception du message. Cette guerre est ailleurs, la Turquie et d’autres frontières nous en protège, la Méditerranée lave les morts, et les réfugiés seront bientôt empêchés par les “hotspots”. On trouvera des milliards pour cela, on fera des “sommets” à Bruxelles, et notre humanité en souffrira un peu, mais nous serons “protégés”. Ne sommes nous pas en “guerre” nous aussi contre le terrorisme ?
Au début des années 1980, alors même que la “crise économique en Europe” s’annonçait et était claironnée par les politiciens libéraux comme imminente, et annonciatrice de “réformes indispensables”, la France a elle seule accueillait 120 .000 boat-people. Aujourd’hui, alors que les richesses du vieux continent ont largement crevé des plafonds, c’est panique à bord, humanité à la mer, et décisions contraires à toute solidarité internationale. Le sommet de Bruxelles sur les réfugiés du Moyen Orient et les “migrants” en général, va parler frontières, tri, renvois à domicile, rétentions sur des territoires dédiés près des zones de guerre, surveillances renforcées. Et le gardien de camps de réfugiés qu’a trouvé l’Europe n’est autre qu’un Erdogan, grassement payé en retour pour la besogne, recruté pour sa poigne et son efficacité démontrée sur ses propres populations kurdes à l’Est. Nous ne forçons qu’à peine le trait, tant ce Munich est au grand jour.
Voilà une puissance régionale, qui n’a cessé, depuis 2011, d’attiser les braises du conflit syrien, d’en armer des milices aux qualités djihadistes qui ne sont plus à prouver, d’entretenir des relations économiques et logistiques avec Daech, par renvois d’ascenseurs anti Kurdes, de jouer un double jeu au sein de l’Otan… à qui on déroule le tapis rouge. La vieille Europe devra-t-elle demain s’étonner que d’autres prennent au mot l’absence totale d’humanité dont elle fait preuve dans ses décisions ? Et que donc tuer des Européens ne soit pas tuer des Humains ? Barbarie contre inhumanité ?
Alors, dans ces conditions, comment comprendre et interpréter le désarroi, la colère, la rage qui anime toute une jeunesse kurde, dont chaque famille a eu et a encore aujourd’hui, qui, un père, une mère, des grands parents, des frères ou des soeurs assassinés, torturés ou emprisonnés, dans la période des trente années écoulées ? Comment, à l’heure où les réseaux sociaux, les communications, portent partout les échanges, même entre une cave où se trouvent des combattants et des civils qui vont mourir (mais doit-on les différencier dans leurs luttes ?) et le monde entier, comment ne pas comprendre également que ces jeunes vomissent sur ces dirigeants politiques européens qui soutiennent leurs assassins, se taisent, et concourent au grand silence de leurs peuples ?
Par cette attitude, notre soit disant guerre déclarée ici contre le terrorisme, lorsqu’elle s’accompagne d’une complicité tacite ailleurs dans des crimes de guerre, comme au Kurdistan, un silence volontaire, devient un encouragement à toutes les vengeances, à tous les “terrorismes” à terme, qu’on est censé combattre.
C’était le sens profond de l’avertissement “vos guerres, nos morts”, que d’aucunEs ont lancé après le 13 novembre 2015, attentats de Paris.
Ceci pour introduire ce témoignage direct dont je parlais plus haut. Nous ne pouvons plus nous autoriser à juger de l’attitude et de l’engagement dans la guerre, via l’auto défense des villes assiégées, de jeunes et moins jeunes, exaspérés et privés d’avenir à très court terme. Quand je dis nous, je parle pour les politiciens, les journalistes, les “commentateurs”, qui rompent leur silence seulement pour “condamner la violence”, ou relayer les mensonges du régime AKP. Alors nous relayons la parole de ces jeunes.
Et si, sur Kedistan, nous avons pris nos distances avec la stratégie qui est derrière la dernière explosion d’Ankara, c’est en ayant conscience que la désespérance et le désir de vengeance qui anime en partie certains combattants de l’auto défense, pour légitimes et justifiés qu’ils soient, ne peuvent être une solution politique au final, encore moins une extension de la guerre à la Turquie entière, déjà mise en stratégie de choc par Erdogan.
Le Rojava est là fort heureusement, pour montrer que la guerre, prolongation et accompagnement d’un processus politique, ne doit pas être un affrontement entre Peuples, entre Etats, mais bien un passage obligé par d’autres, pour affirmer une autonomie, un projet de société, confédéral et démocratique, offert à TOUS.
Et cela demande que le politique, le social, imposent leurs règles à la guerre, qui ne peut que viser la paix.
Lisez donc l’article de Osman Oğuz auteur invité, témoignage sur les jeunes dans la guerre au Kurdistan Nord.