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JINHA est une agence d’information fémin­iste, dont toutes les con­tributri­ces sont des femmes. “Jin” en kurde, veut dire femme. Une pre­mière au monde. Jin suivi d’un H pour haber (infor­ma­tion) et A pour ajan­sı (agence de). Reportage avec Zehra.

Nous voulions con­naitre JINHA. Nous avons donc inter­viewé Zehra Doğan, une des jour­nal­istes de JINHA qui tra­vail­lent sous les balles et les bom­barde­ments, dans les villes kur­des, sous cou­vre-feu dans ces derniers jours. Zehra a répon­du à nos ques­tions depuis Nusay­bin. Nous la con­nais­sions du bureau d’Istanbul, mais elle était, avec sa joie de vivre, son ent­hou­si­asme de jour­nal­iste, et son coeur de femme, con­nue pour être les yeux, les oreilles et la voix de son peu­ple. Elle est en train de suiv­re, caméra en main, les traces des villes et des vil­lages, les rues qui sen­tent le feu, la poudre et le sang. Un moment à Cizre, un autre à Nusaybin…

Zehra Doğan est l’enfant jour­nal­iste d’un peu­ple esquin­té depuis des dizaines d’années par des blo­cus, des dis­pari­tions lors des garde-à-vue, des morts sous la tor­ture, des mas­sacres, des exé­cu­tions par balles et par bombardements.

Com­ment peut-on être une jour­nal­iste femme qui tra­vaille dans un réseau d’informations qui com­mence à Istan­bul, Amed, Van et qui s’étend jusqu’à Roja­va ? Que représente la règle des « 5 N » du jour­nal­isme (Ne, Nerede, Ne zaman, Neden, Nasıl : Quoi/Qui, Où, Quand, Pourquoi, Com­ment) pour Zehra ? Quelle est la réal­ité d’un tra­vail de jour­nal­iste avec sa dou­ble iden­tité, femme et kurde ?

Nous avons dis­cuté de tout cela avec Zehra.

Sadık Çelik — Mer­ha­ba Zehra ! Avec sol­i­dar­ité, ami­tié et fra­ter­nité depuis la ZAD du Notre Dame des Lan­des en France...

Com­mençons par JINHA… Peux tu nous résumer l’histoire de JINHA ? Et bien sûr ta pro­pre his­toire à l’agence…

logo-JINHa-agence-femmes-kurdeZehra : JINHA est une agence qui est une voix alter­na­tive, un média d’opposition qui utilise un lan­gage et une vision pro­gres­siste, par rap­port aux médias qui tra­vail­lent avec une vision d’Etat et un lan­gage patri­ar­cal, mais cela reste mal­gré tout insuff­isant. En résumé, JINHA est une agence crée pour être alter­natif à l’alternatif, dont tous ses mem­bres, du jour­nal­iste caméra à la pho­to, de l’éditrice à la respon­s­able d’informations, sont des femmes. C’est une agence fondée par des femmes kur­des, mais dans laque­lle se trou­vent aujourd’hui des femmes nom­breuses de dif­férents peu­ples, comme arménien, syr­i­aque, arabe, turc, macé­doine. Elle a des bureaux dans plusieurs villes au Roja­va, en com­mençant par Kobanê, devenu l’épicentre de la résis­tance, mais aus­si à As-Sulay­maniya en Irak, et dans plusieurs autres villes en Turquie.

Si on arrive à mon his­toire, je fais par­tie de JINHA depuis son pre­mier jour d’existence. J’ai voulu y pren­dre ma place car je pen­sais qu’elle était un excel­lent moyen pour informer des réal­ités avec une con­cep­tion de l’in­for­ma­tion “au tra­vers d’un prisme de femme”.

Sadık : JINHA est une agence fémi­nine kurde, et naturelle­ment ses par­tic­i­pantes sont des femmes. Com­ment exercer ce méti­er dif­fi­cile avec une dou­ble iden­tité, kurde et femme ?

Zehra : J’ai en effet l’identité kurde, qui dans un pays comme la Turquie, fait par­tie des iden­tités « des autres ». Il est bien sur dif­fi­cile de tra­vailler dans le secteur de « libre média » dont les lib­ertés sont totale­ment lim­itées, tout en menant un com­bat pour mon iden­tité, alors qu’il y a déjà toute une dif­fi­culté d’être femme dans ce pays, où l’exploitation de la femme est per­ma­nente et encour­agée par les lois. Les meurtres de femmes sont encour­agés par le sys­tème de justice.

Par exem­ple dans les régions où l’autonomie a été déclarée, nous suiv­ons de près les événe­ments, tou­jours avec notre con­cep­tion d’information cen­tral­isant la femme, com­mençant par les femmes qui mènent la résis­tance, les vio­la­tions des droits, la loi mar­tiale, en vivant tout cela per­son­nelle­ment. Nous sommes con­tin­uelle­ment face à des insultes sex­istes, des arresta­tions, jusqu’aux men­aces armées. Pas un seul jour ne passe sans vio­lences. Mal­gré cela, je pense que je me posi­tionne au bon endroit, pour con­tribuer à cass­er la per­cep­tion con­cer­nant “la Femme”, agrafée sur le cerveau de l’Etat et l’homme. Le fait de vivre, et à la fois de témoign­er, doc­u­menter la réal­ité, sur la poli­tique géno­cidaire et les vio­la­tions de droits que le peu­ple subit, et de faire cela en tant que femme, con­tribue au bon moment et au bon endroit à cass­er cette per­cep­tion sur la femme.

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Sadık : Je pense que votre ter­rain de tra­vail n’est pas lim­ité. Où tra­vailles-tu géo­graphique­ment, en général et quelle est ta méth­ode de travail ?

Zehra : Notre ter­rain n’est jamais très défi­ni. En ce moment je suis à Nusay­bin. Pen­dant les mois d’été j’étais à Cizre, sous cou­vre-feu. J’ai tra­vail­lé à Dargeçit, Derik, Sin­jar, Roja­va et dans d’autres endroits d’affrontements. Nous nous déplaçons selon les événe­ments et les urgences.

Sadık : Quel genre de prob­lème rencontres-tu ?

Zehra : Je peux dire que nous vivons l’oppression de l’Etat d’une façon com­plète. Insultes, gardes à vue, arresta­tions, et puisque dans les villes sous cou­vre feu, nous nous trou­vons dans les quartiers où il y a le plus d’affrontements, nous vivons nous aus­si, tous les prob­lèmes  que les pop­u­la­tions vivent, que vous suiv­ez et connaissez.

Sadık : Com­ment vous organ­isez vous pour les besoins que votre méti­er néces­site, comme les déplace­ments, la nour­ri­t­ure, l’hébergement ?

Zehra : Nous sommes une agence qui s’alimente par le sys­tème d’abonnement. Comme c’est affir­mé dans le réquisi­toire de la déci­sion d’arrestation à l’encontre du Maire de Suruç, « trans­fert d’argent pour la soit dis­ant agence JINHA », nous sommes dans le col­li­ma­teur de l’Etat. Les mairies sont nos abon­nés et de toutes façons les mairies ont le droit d’abonnement aux organ­i­sa­tions de presse. Mais quand il s’agit de mairies kur­des, et de plus d’une agence kurde, cela devient un prob­lème. Les abon­nements de plusieurs mairies ont été sus­pendus. Mal­gré cela en tant que JINHA nous ne jet­terons pas l’éponge. Dans les zones où les résis­tances ont déclaré l’autonomie, vous le savez, l’argent ne fonc­tionne pas. Dans la mai­son du peu­ple, la dette est une dette du coeur. Nous con­tin­uons le jour­nal­isme avec ces relations.

Sadık : Que pens­es-tu du jour­nal­isme « copi­er coller » de la  TRT ? [la chaîne télé au ser­vice de l’Etat turc]

zahra -dogan-camera-jinha zehraZehra : Pour moi, le jour­nal­isme du TRT va au delà du « copi­er coller ». Comme vous le savez, et comme le dernier doc­u­ment le prou­ve, ils ne peu­vent plus faire de l’information sans l’approbation de l’Etat, et en dehors des infor­ma­tions fournies par lui même. Par ailleurs, les per­son­nes mas­sacrées par l’Etat, sont annon­cées comme mas­sacrées par d’autres. Egale­ment, la majorité des per­son­nes mas­sacrées ‑y com­pris des bébés de trois mois- sont déclarées comme « ter­ror­istes ». Nous nous bat­tons avec un média allié, sans enver­gure, qui n’a aucune qual­ité ni pres­tige. Tant qu’ils exis­teront, nous con­tin­uerons, même si on n’a rien à manger, rien à boire.

Pour finir…
Il y a beau­coup d’histoires et de vio­lences dont j’ai été témoin. De Muğ­dat Ay qui avait 12 ans, mas­sacré à Nusay­bin, jusqu’à Tahir Yaran­mış, bébé de 35 jours à Cizre, nous avons témoigné de nom­breuses sauvageries. Nous avons été témoins de l’enterrement de Mehmet Emin Lok­man, tué dans le quarti­er Nur à Cizre, devant les yeux de sa mère qui n’a pas pu aller près de son fils car les attaques con­tin­u­aient. Nous sommes oblig­és de filmer des corps décom­posés dans la cour de la mosquée. Par exem­ple, mal­gré nos témoignages déposés con­cer­nant les con­di­tions du mas­sacre de Muğ­dat Ay, le média allié, n’a pas hésité à l’afficher comme « terroriste ».

Voir tout cela, nous trou­ver face à un jour­nal­isme de ce genre nous donne la nausée.

Quant à mes dessins… Dans cer­tains moments, la caméra ou les pho­tos ne suff­isent pas. Je des­sine les moments pour lesquels ces moyens sont insuff­isants. Dans une prochaine péri­ode, je pense pub­li­er mes dessins comme un roman dessiné.

Sadık : Etre le témoin de l’Histoire dans une région dif­fi­cile et qui sent la mort, en tant que per­son­ne à trois iden­tités, jour­nal­iste, kurde et femme, demande courage et persévérance.

Avec respect pour toutes les Zehra.

*Nous vous présen­terons les dessins de Zehra dans un prochain arti­cle.

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Sadık Çelik
REDACTION | Journaliste 
Pho­tographe activiste, lib­er­taire, habi­tant de la ZAD Nddl et d’ailleurs. Aktivist fotoğrafçı, lib­ert­er, Notre Dame de Lan­des otonom ZAD böl­gesinde yaşıy­or, ve diğer otonom bölge ve mekan­lar­da bulunuyor.