Une explo­sion a fait “offi­cielle­ment” 28 morts et 61 blessés ce mer­cre­di en fin d’après midi, à 18h31, au cen­tre d’Ankara, près de la place Kızılay. 

L’explosion est sur­v­enue dans la rue Merasim qui relie le boule­vard d’İnönü à l’avenue de Dikmen. 

Peu après, les réseaux soci­aux, d’abord Twit­ter, ensuite Face­book étaient cen­surés. Le com­mu­niqué des événe­ments fut fait par les forces armées, puis trans­mis par l’A­gence Anadolu, sous con­trôle, puis l’AFP et les médias inter­na­tionaux. Dom­mage pour Face­book, qui avait mis en fonc­tion la même appli­ca­tion qu’à Paris, sig­nalant “en sécu­rité” les “amis”.

Même le jour­nal Le Monde en France a dû soulign­er, faute d’in­for­ma­tions même factuelles sup­plé­men­taires, qu’il s’agis­sait d’un com­mu­niqué de l’E­tat Major. La télévi­sion nationale TRT, si prompte à ouvrir l’an­tenne lors du mas­sacre de Cizre sur “la vic­toire con­tre le PKK”, s’est cette fois abstenue de com­men­taires au delà des vir­gules du com­mu­niqué officiel.

Alors que lors du dernier atten­tat à İst­anb­ul, dans le quarti­er touris­tique de Sul­tanah­met, le Pre­mier Min­istre avait moins d’une heure plus tard annon­cé la date et le lieu de nais­sance du “ter­ror­iste”, là, une qua­si inter­dic­tion de com­men­taires, et une cen­sure des infor­ma­tions ont été immé­di­ate­ment instau­rées, à tel point que plus de huit heures plus tard, il était encore impos­si­ble d’obtenir via un quel­conque média turc, des “détails” sur l’at­ten­tat. Des images de “sec­ours” et de vit­res brisées sont dif­fusées en boucle, quand les chaînes de TV osent encore en par­ler, comme égale­ment quelques images de panique “filmées par un amateur”.

On sait juste que l’ex­plo­sion a visé des mil­i­taires, qu’un car a brûlé, et que des civils auraient été égale­ment touchés.

Le point d’explosion est situé à 300 mètres de l’Etat Major. L’explosion serait sur­v­enue lors du pas­sage de véhicules mil­i­taires de ser­vice. Cer­tains de ces véhicules étaient « banal­isés » comme le car, et l’explosif aurait été placé dans un car ou une voiture.

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Les dirigeants poli­tiques, dirigeants de par­tis, min­istres, se sont immé­di­ate­ment exprimés en copi­er col­lés, con­damnant tous unanime­ment “la ter­reur”, puisque c’est le terme générique employé pour “le ter­ror­isme”. Il y a même eu, dans un bel élan, à la suite du som­met de crise à l’Assem­blée Nationale, inti­t­ulé “som­met d’u­nité nationale con­tre la ter­reur”, un com­mu­niqué com­mun de trois groupes par­lemen­taires, des ultra nation­al­istes aux kémal­istes, en pas­sant par le par­ti d’Er­do­gan, l’AKP :

« Nous dénonçons avec force l’at­ten­tat ciblant notre sécu­rité et notre sérénité, notre unité et intégrité. Le ter­ror­isme et la vio­lence n’atteindront jamais leurs buts et objectifs. »

Le HDP, (Par­ti Démoc­ra­tique du Peu­ple) bien sûr, a été tenu à distance.

Erdo­gan a déclaré enfin :

«De nou­velles pertes s’a­joutent alors que la Turquie lutte con­tre la ter­reur, cela nous blesse le coeur et force les lim­ites de notre patience. Nous allons pour­suiv­re la lutte con­tre les pio­ns qui com­met­tent de tels atten­tats, qui ne con­nais­sent ni morale ni lim­ites human­i­taires, et con­tre les forces qui les sou­ti­en­nent, cela avec une déter­mi­na­tion chaque jour plus grande. Notre per­sévérance sur le fait de répon­dre plus forte­ment encore à ces attaques qui se font à l’intérieur ou à l’extérieur de nos fron­tières et qui visent notre futur et notre unité, se ren­force encore plus avec ce genre d’actions. Que l’on sache que la Turquie n’hésitera pas à recourir à tout moment, à tout endroit et en toute occa­sion à son droit à la légitime défense. »

Et depuis, c’est le grand silence, lais­sant volon­taire­ment Ankara en état de choc, avec toutes les mesures per­me­t­tant d’en­tretenir une psy­chose pos­si­ble d’autres attentats.

Des dirigeants européens ont exprimés leur “con­damna­tion du ter­ror­isme”, sans non plus pré­cis­er et par­fois même, en ajoutant  “d’où qu’il vienne”.

Toute la Turquie est main­tenue volon­taire­ment dans le flou, les accu­sa­tions partagées con­tra­dic­toire­ment entre Daech et le PKK, comme cela fig­ure entre les lignes de la déc­la­ra­tion d’Erdogan.

konstantiniyye armee turqueDaech menaçait l’armée turque dans le dernier numéro du « Kon­stan­ti­niyye » son mag­a­zine offi­ciel  pub­lié en turc pour ses “fans” en Turquie : « Le fait d’être dans les forces armées comme les mil­i­taires ou la police dans des pays qui sont dirigés par des sys­tèmes démo­ni­aques (Tâghoût), est un blas­phème. Il est per­mis de les tuer, et leur place est l’enfer. » L’Armée turque ayant com­bat­tu en Afghanistan, « dans les rangs des Croisés », Daech annonçait « Avec la per­mis­sion d’Allah, l’E­tat Islamique, va faire pay­er le prix de tout cela lour­de­ment, à ces mécréants qui ont mas­sacré des musulmans ».

Quelques com­men­ta­teurs turcs se risquaient à faire un rap­proche­ment cette nuit.

Dans ce con­texte, Pre­mier Min­istre et Prési­dent ont annulé leurs déplace­ments. L’Eu­rope atten­dra pour sa con­férence sur les “réfugiés”. Offi­cielle­ment, bien sûr,  l’en­quête, comme on dit “n’ex­clue aucune piste terroriste”.

Peut être allez vous trou­ver dans ces lignes, un manque total de com­pas­sion pour les vic­times de cet atten­tat. Mais nous l’avons trou­vé nous mêmes dans la réac­tion des autorités turques, plus promptes à des déc­la­ra­tions de guerre et à des surenchères con­tre la “ter­reur qui brise l’u­nité”, qu’à con­stater que la pop­u­la­tion turque est meur­trie, du fait même de ces guer­res intérieures et extérieures, et des vel­léités affir­mées d’in­ter­ven­tion de troupes turques en Syrie.

Le grand silence qui suc­cède à l’ex­plo­sion, tant de la bombe que des déc­la­ra­tions belliqueuses qui suivirent, sera prop­ice, n’en dou­tons pas, pour pré­par­er un “coup tor­du” dont Erdo­gan a habitué tout le monde depuis l’at­ten­tat de Suruç, et ce, avec un sou­tien renou­velé des cap­i­tales européennes.

Sig­nalons que cela n’a pas empêché la police de réprimer  une man­i­fes­ta­tion de protes­ta­tion dans le quarti­er de Gazi à Istan­bul, con­tre les mas­sacres au Kur­dis­tan turc, au moment même de l’attentat.

On apprend dans le même temps, que près de 200 per­son­nes sont réfugiées dans un sous sol, et encer­clées par les forces de répres­sion à Sur quarti­er d’Amed (Diyarbakir). Comme pour Cizre, tout sec­ours est empêché, et le siège peut se ter­min­er par un nou­veau mas­sacre. Par­mi ces per­son­nes retenues et en dan­ger, fig­ure Mazlum Dolan, cor­re­spon­dant de l’a­gence DIHA :

Nous sommes dans un état ter­ri­ble. Je suis avec des familles. Il peut avoir un autre Cizre bien­tôt. Les affron­te­ments sont intens­es, l’endroit où nous nous trou­vons est bom­bardé par des obus de chars et de mortiers. Des annonces sont faites : « Nous allons vous abat­tre d’en haut, tous vous tuer ».

mazlum dolan

Là aus­si, c’est cen­sure et grand silence, et “offi­cielle­ment” au nom de la lutte con­tre le “ter­ror­isme”.

Il ne s’ag­it pas d’op­pos­er les morts aux morts, ni de pleur­er les uns et cracher sur les autres, d’au­tant plus sur des vic­times civiles prob­a­bles, mais de con­stater qu’un homme, Erdo­gan, un par­ti, soutenu par des ultra nation­al­istes, un gou­verne­ment, con­duisent les Peu­ples de Turquie à la guerre, et les dressent les uns con­tre les autres, depuis trop longtemps.

Jeu­di 18 — 12h00

Erdo­gan a donc décidé d’in­stru­men­talis­er cet atten­tat, comme il l’avait fait pour celui de Suruç (en rompant le proces­sus avec le PKK). Il a ce matin accusé “selon son min­istre de l’in­térieur” le PKK et ses alliés en Syrie, d’en être à l’origine.

Mal­gré les démen­tis au plus haut niveau des forces com­bat­tantes kur­des syri­ennes, le Pre­mier Min­istre Davu­to­glu insiste et par­le de con­cer­ta­tion entre le PKK turc et un mem­bre syrien “infil­tré”, qui serait l’au­teur de l’at­ten­tat. Il jus­ti­fie ain­si les bom­barde­ments par l’avi­a­tion turque de posi­tions kur­des en .… Irak.

Il se con­firme aus­si que des com­bat­tants syriens liés à des fac­tions aidées par le gou­verne­ment turc ont repassé la fron­tière pour aller com­bat­tre les forces kur­des, en toute impunité cette nuit.

Ain­si, nous assis­tons à ce qui pour­rait être le pré­texte d’une inter­ven­tion plus con­séquente con­tre les Kur­des de Syrie, qual­i­fiés de “mil­ices” par Erdo­gan et son entourage.

Dans ce con­texte, l’at­taque d’un con­voi mil­i­taire à l’Est de la Turquie, fait de guerre, devient un autre pré­texte à “repré­sailles”, et le pire peut arriv­er encore dans la région sous état de siège.

La suite » Lisez “L’attentat d’Ankara : suites et bruits de bottes”

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