Au lende­main du mas­sacre à Cizîr de dizaines de per­son­nes, com­bat­tants blessés et civils mêlés pris­on­niers d’un sous sol et encer­clés par les forces de répres­sion qui, jusqu’au bout ont inter­dit les sec­ours, avant que d’exé­cuter les sur­vivants par le feu et les obus, il est impor­tant de dif­fuser au max­i­mum les témoignages sur la vie quo­ti­di­enne au Kur­dis­tan de Turquie.
Ces per­son­nes , par­ties pour une aide human­i­taire, bien que très au fait de la sit­u­a­tion, se retrou­vent dans cette guerre menée avant tout con­tre les civils par le gou­verne­ment Erdo­gan, bien décidé à “en finir” avec les Kur­des qui revendiquent leur autonomie de des­tin dans le cadre d’une République Turque capa­ble de faire vivre ensem­ble tous ses Peuples.


La guerre s’installe au Kurdistan de Turquie

Avant pro­pos d’An­dré Métayer

La délé­ga­tion que les Ami­tiés kur­des de Bre­tagne ont envoyée à Diyarbakir pour finalis­er une opéra­tion human­i­taire en direc­tion des enfants d’un camp de réfugiés se trou­ve con­fron­tée à une sit­u­a­tion excep­tion­nelle : le pays est en guerre.

Après avoir été témoin du “drame à huis clos” qui se joue dans le quarti­er his­torique de Sur, au cen­tre de Diyarbakir, où “les gens s’en vont” et où “la guerre s’installe”, elle ne pou­vait en rester là. Elle a poussé ses inves­ti­ga­tions jusqu’à Nusay­bin, ville qui a déjà accueil­li à plusieurs repris­es des représen­tants de l’association.

Nusay­bin forme une seule et même ville kurde avec Qamish­li, cap­i­tale du Roja­va (Kur­dis­tan de Syrie) : l’ancienne cité de Nis­i­bis, coupée en deux par la fron­tière tur­co-syri­enne suite aux accords fran­co-turcs de 1923.

Nusaybin assiégée

Nous entrons, à pied et aus­si dis­crète­ment que pos­si­ble, dans les quartiers périphériques de cette ville adossée à la fron­tière syri­enne. Ici le cou­vre-feu a été levé il y une quin­zaine de jours, mais l’armée est encore omniprésente. Ici comme à Sur, les stig­mates des jours de com­bat sont immé­di­ate­ment vis­i­bles : façades endom­magées, portes mitrail­lées, poteaux élec­triques abat­tus, camions incendiés et déchi­quetés par les balles. On éteint nos télé­phones. Plus nous avançons vers le cœur du quarti­er, plus notre pro­gres­sion est délicate.

kurdes bretagnes 1 guerre
Gra­vats, tranchées. A chaque croise­ment on scrute dans toutes les direc­tions avant de tra­vers­er, bien qu’aucune voiture ne cir­cule plus dans le secteur. Les rues sont dépavées, les dalles auto­blo­quantes sys­té­ma­tique­ment enlevées pour servir de matéri­au aux bar­ri­cades qui défend­ent chaque car­refour. Méthodique­ment empilées, elles for­ment des murs d’un mètre d’épaisseur, générale­ment précédés d’une saignée dans la chaussée, qui les ren­dent qua­si­ment inex­pugnables. « Les plus belles bar­ri­cades de la région ! » sourit notre guide. Avant d’ajouter : « A par­tir de main­tenant on ne fait plus de pho­tos, on doit deman­der l’autorisation aux représen­tants du quartier ».

Des conseils de quartier gèrent le quotidien

kurdes bretagne 2 guerreCes quartiers sont entière­ment sous le con­trôle des com­bat­tants des YPS. L’armée turque, quand elle n’a pas été pure­ment et sim­ple­ment empêchée d’y entr­er, en a été chas­sée à l’issue de durs affron­te­ments. Certes les blind­és ne sont pas loin, et nous devons tra­vers­er une ou deux rues au pas de course, cour­bés pour ne pas nous expos­er aux tirs. Mais de façon générale le secteur est sécurisé, der­rière des dizaines de bar­ri­cades, et d’immenses bâch­es bleues ou blanch­es ten­dues entre les immeubles, qui, à défaut des balles, arrê­tent au moins les regards. Der­rière ces rideaux sym­bol­iques la vie s’organise. Beau­coup de civils sont restés, ou revenus. Tous les trois ou qua­tre blocs, se sont for­més des con­seils de quarti­er qui gèrent le quo­ti­di­en. Celui où nous nous trou­vons a rebap­tisé son secteur « Sehid Gel­hat », du nom d’un jeune homme tombé au com­bat il y quelques jours.

Appel à l’aide

Dans les rues, peu d’enfants, c’est un signe. Quelques com­bat­tants, arme à l’épaule, mais surtout des civils qui vaque­nt à leurs occu­pa­tions, en ras­ant les murs. Ils n’ont pas été épargnés par les com­bats. Ces femmes vont à l’enterrement d’un proche. Devant cette porte un vieil­lard a été abat­tu par un sniper. Cet homme a per­du son fils il y trois jours. On vient nous expli­quer : « il faut nous aider, per­son­ne ne nous aide, on est tout seuls, tout seuls ! Dieu nous est témoin ».

Que faire ?

kurdes bretagne3 guerre

Ici la ques­tion ne se pose pas : on pré­pare déjà le prochain cou­vre-feu. On ren­force les bar­ri­cades. On excave la tranchée, effon­drée et noyée par les pluies des derniers jours. On for­ti­fie une mai­son aban­don­née par ses pro­prié­taires au coin d’un car­refour stratégique. On creuse un tun­nel pour per­me­t­tre aux com­bat­tants de se déplac­er à l’abri des snipers. Devant un con­seil de quarti­er, on célèbre les fiançailles d’un jeune cou­ple. Ici on le sait, l’hiver est rude, mais le print­emps revient tou­jours. On a tenu et on tien­dra encore. Mais com­bi­en de temps sans aide extérieure ? On fait venir des jour­nal­istes, et on attend du secours.

François L. Pho­tos Gaël LN

lun­di 8 févri­er 2016
par Ami­tiés kur­des de Bretagne

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En com­plé­ment, ce reportage de Fatih Pınar, qui date déjà de décem­bre 2015

Dargeçit, après 19 jours de couvre-feu

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