Des dizaines de mil­liers de civils et par­mi eux des islamistes d’Al Nos­tra en déroute qui ont fui les com­bats et les bom­barde­ments russ­es à Alep, se pressent tou­jours à la fron­tière turque, devant le poste d’Oncupinar.

Et pen­dant ce temps là, les gou­verne­ments européens pro­posent des mil­liards pour assur­er leurs arrières.

Ce nou­v­el exode paraît déjà ren­dre pour­tant cette poli­tique obsolète, en pleine vis­ite d’Angela Merkel venue ren­con­tr­er en coup de vent le pre­mier min­istre Davu­toğlu, pour le press­er à nou­veau d’en faire davan­tage pour ralen­tir le flux des migrants vers l’Europe, en lui annonçant le vote des mil­liards prévus.

Une semaine après le début de l’offensive du régime de Bachar, avec l’aide active des bom­barde­ments de l’aviation russe, on assiste sans doute à un tour­nant mil­i­taire qui aura des réper­cus­sions poli­tiques cer­taines sur les ambi­tions des uns et des autres dans toute la région.

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Pour l’in­stant, la “patronne” de l’UE, sous le pré­texte de rap­pel­er à la Turquie  son devoir d’accueil, et de deman­der au gou­verne­ment AKP d’ouvrir son ter­ri­toire aux nou­veaux déplacés n’a pas bougé d’un iota de cette posi­tion de soumis­sion au chan­tage d’Er­do­gan. En réponse, le gou­verne­ment turc, bon Sul­tan, s’est dit prêt à “accueil­lir à nou­veau si c’est vrai­ment nécessaire”.

« S’ils sont à nos portes et n’ont pas d’autres choix, nous avons le devoir de laiss­er entr­er nos frères et nous le fer­ons », a clamé de son côté Tayyip Erdogan.

Il y a déjà 2,7 mil­lions de Syriens sur le sol turc.

Le vice-Pre­mier min­istre Numan Kur­tul­mus a, lui, déclaré que “le pays avait atteint  les lim­ites de sa capac­ité  d’accueil” mais pré­cisé qu’il  « ne les aban­don­nerait pas à leur mort ».

Des camions de la Fon­da­tion pour l’aide human­i­taire (IHH), une ONG islamique turque, proche du gou­verne­ment, ont livré à Bab al-Sala­ma, local­ité fron­tière syri­enne, “des tonnes de matériel et de nour­ri­t­ure”, dis­ent les min­istres. « Nos opéra­tions ont pour voca­tion de pren­dre soin des gens à l’intérieur du ter­ri­toire syrien », a expliqué à l’AFP Serkan Ner­gis, un porte-parole d’IHH.

« Nous avons instal­lé un camp sup­plé­men­taire d’une capac­ité de 10.000 per­son­nes qui vient s’ajouter au huit camps (déjà repar­tis autour de la ville d’Azaz, à 5 km de la fron­tière) pour accueil­lir les nou­veaux arrivants », a ajouté M. Nergis.

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Erdo­gan réclame offi­cielle­ment depuis des mois la créa­tion dans le nord de la Syrie, d’une « zone de sécu­rité tam­pon » pour accueil­lir les réfugiés qui fuient la guerre en se réfu­giant en Turquie. Offi­cielle­ment, puisqu’en réal­ité, il s’a­gi­rait plutôt de garder ouvert le cor­ri­dor vers Alep, et surtout d’empêcher que le blocage de cette zone fron­tière ne per­me­tte un jour au Roja­va de met­tre défini­tive­ment fin aux aides mil­i­taires et logis­tique que le gou­verne­ment turc pro­cure à des groupes anti Bachar.

On voit donc qu’on est loin d’une sim­ple ques­tion de réfugiés nou­veaux, et que les ambi­tions de la Turquie sur l’ex­trême Nord Syrie sont mis­es à mal.

Des femmes et des enfants, avec un mélange d’hommes par­fois avec leur arme­ment sta­tion­nent devant Oncu­pinar ou fran­chissent la fron­tière en force, en dif­férents endroits.

Le nom­bre de civils autour d’Azaz, ville proche encore sous le con­trôle de fac­tions divers­es pour­rait attein­dre 70.000, selon les dires du gou­verneur de la province frontal­ière turque. Exagéra­tion ? Chan­tage supplémentaire ?

Il n’empêche que Merkel était venue à la fois pour deman­der à la Turquie d’ouvrir ses portes, en accord avec le droit inter­na­tion­al, et en même temps apporter l’ex­i­gence à endiguer le flux des migrants qui gag­nent “le sol européen” depuis la côte turque.

Et des “fuites” sur les entre­tiens font dire que le gou­verne­ment AKP se mon­tr­erait encore plus gour­mand, exigeant un sou­tien “dans la durée” et surtout “un sou­tien atten­tif”. Le pre­mier min­istre Davu­to­glu, qui à Davos avait dit qu’il n’é­tait pas ques­tion d’ar­gent, mais “d’hu­man­i­taire”, s’est même offert le luxe de dire à la fois que la Turquie pou­vait “se pass­er des mil­liards”, et dans le même élan “que des aides dans la durée seraient préférables”. Il a aus­si fait remar­quer que des “actes con­crets seraient encore mieux”. Le pre­mier de ceux là ne s’est pas fait atten­dre, puisque le black out sur le mas­sacre de Cizre a été respecté…

Pour les 3 mil­liards d’euros donc, votés la semaine dernière par l’UE, le gou­verne­ment Erdo­gan  en voudrait bien le “con­trôle”, au vu des “exi­gences de la situation”.

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Et ces exi­gences sont aus­si en Syrie. Les troupes de Bachar al-Assad ont pro­gressé dans le nord de la province d’Alep, soutenues par l’aviation russe peu regar­dante dans ses frappes et se trou­vaient dimanche à 7 km de Tall Rifaat, « un des trois derniers bas­tions des “rebelles” dans le nord de la province » avec Azaz et Marea.

L’ob­jec­tif de Bachar est lui aus­si de par­venir à la fron­tière turque « pour empêch­er tout pas­sage de rebelles et d’armes à par­tir de la Turquie ». On voit là que les com­bat­tants du Roja­va peu­vent avoir une nou­velle inquié­tude égale­ment, Bachar et la Russie ne s’embarrassant pas de scrupules sur la façon d’im­pos­er leurs volontés.

De leur côté, dimanche soir, les YPG, prin­ci­pale force kurde en Syrie, ont recon­quis les local­ités de Mer­e­naz, Aqlamiya et Deir Jamal, quelques jours après avoir pris le con­trôle de trois autres bourgs.
Les YPG “béné­fi­cient” ain­si indi­recte­ment des frappes russ­es, mais c’est une course de vitesse avec les troupes de Bachar. L’ob­jec­tif est de reli­er les trois “can­tons” de l’ad­min­is­tra­tion autonome du Roja­va : Afrine, Kobané et Jaziré.

Cette zone peut devenir explo­sive dans les semaines qui vien­nent et la bataille d’Alep pour­rait con­stituer un tour­nant dans la guerre syri­enne. 350.000 civils y sont encore présents, qui créeraient une crise human­i­taire égale­ment, pré­texte à toutes les décisions.

Bien évidem­ment, l’offensive du régime Bachar autour d’Alep est dénon­cée par les pays de la coali­tion,  dont la Turquie et l’Arabie Saou­dite. Celles-ci envis­ageraient même de par­ticiper à une opéra­tion ter­restre en Syrie si la coali­tion anti­ji­hadistes en pre­nait la décision.

Et c’est dans ce con­texte là, que la polémique entre Erdo­gan et le secré­taire aux affaires étrangères améri­cain à pro­pos des YPG du Roja­va devient ubuesque. Erdo­gan rap­pelait dans un avion la “nature ter­ror­iste” des com­bat­tants “kur­des”, liés au “PKK” dis­ait-il, alors que le secré­taire améri­cain rap­pelait leur “bravoure et exploits face à Daech” tout comme “le sou­tien logis­tique” qu’il con­tin­uerait d’apporter.

Le gou­verne­ment russe n’a pas man­qué non plus les appels du pied en direc­tion du Roja­va. Cha­cun y va de sa séduc­tion et la sit­u­a­tion serait ris­i­ble s’il n’y avait un vrai risque poli­tique et mil­i­taire dans ce pos­si­ble “tour­nant” de la guerre en Syrie, dont le proces­sus en cours au Roja­va pour­rait bien faire les frais.

On peut remar­quer quand même que ce n’est pas Daech qui se retrou­vent dans la posi­tion la plus dif­fi­cile dans cette con­fig­u­ra­tion, et que le “tour­nant” serait davan­tage une série de repo­si­tion­nements et de pris­es d’a­van­tages au sein de la dite “coali­tion” anti Daech, une fois Bachar réin­tro­duit dans le marchandage, en vue de la con­férence de Genève.

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Le gou­verne­ment AKP se voit restreint dans ses pos­si­bil­ités d’in­ter­ven­tions directes dans la guerre en Syrie, tout en restant à l’affût de toute oppor­tu­nité. La “grande trouille européenne”, sur fond de mon­tée de la xéno­pho­bie et des droites de repli iden­ti­taires, pour­rait bien “con­crète­ment” lui fournir le moyen de “main­tenir” les Kur­des syriens du Roja­va, autant qu’elle ferait mine de “main­tenir” les réfugiés.

Elle entre­tient déjà “le grand silence” autour du “net­toy­age eth­nique” en cours dans l’Est de la Turquie (Kur­dis­tan nord) et regarde ailleurs quand des mas­sacres se font plus voy­ants. Merkel, le min­istre de l’in­térieur français et bien d’autres, n’é­taient-ils pas à Ankara ces derniers jours ?

Décidé­ment, on n’en a pas fini de titr­er sur le “dou­ble jeu d’Er­do­gan”, tant que les gou­verne­ments européens intéresseront la par­tie à coup de Milliards.


L’image de une, sexiste à souhait, est celle d’un carnaval allemand de février 2016 .

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…