Les dernières offen­sives du régime syrien, appuyées par des bom­barde­ments russ­es mas­sifs, pour repren­dre totale­ment le con­trôle de la ville d’Alep, déjà plus qu’à demi détru­ite, provo­quent un nou­v­el exode mas­sif de pop­u­la­tions et de familles de com­bat­tants de toutes fac­tions opposantes mélangées.
Ces offen­sives ont d’ailleurs égale­ment provo­qué la sus­pen­sion de la con­férence de Genève, à peine entamée.
Les dif­férentes représen­ta­tions de « l’op­po­si­tion syri­enne » offi­cielle, ont en effet quit­té la table des pourparlers.

Immé­di­ate­ment, la France et les Etats Unis ont adressé un mes­sage à la Russie, pour qu’elle cesse ses « frappes ».

Out­re cet imbroglio où cha­cun défend ses pro­pres intérêts, cha­cun a tis­sé ses pro­pres alliances, sou­vent con­tre nature, se pose à nou­veau la ques­tion d’un exode de plusieurs dizaines de mil­liers de per­son­nes, civils et com­bat­tants enchevêtrés, vers la fron­tière turque, et les camps de réfugiés déjà com­plète­ment saturés.

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Que cette pseu­do con­férence de Paix, dont ont été exclues les forces kur­des par exem­ple, avec le sou­tien des gou­verne­ments européens, sur demande du gou­verne­ment Erdo­gan, ne soit qu’une dis­cus­sion entre marchands de tapis, on le savait déjà. Que les puis­sances régionales ou inter­na­tionales cherchent davan­tage à ampli­fi­er leurs avan­tages mil­i­taires dans l’op­tique d’un futur partage, on le savait encore plus.
Il serait donc peu crédi­ble de penser que choisir une fac­tion ou un camp dans cette pétaudière servi­rait la cause de la Paix.

L’op­po­si­tion syri­enne d’il y a quelques années a dis­paru corps et biens avec la guerre civile et der­rière les groupes armés divers et var­iés, financés et armés par les uns et les autres, dans des palettes d’is­lamisme rad­i­cal qui vont de l’ex Al Qaï­da à Daech, pour faire court. Et je ne suis pas sat­is­fait de ce rac­cour­ci qui ne rend pas compte de la réal­ité de ce que fut pour­tant et reste sans doute bien quelque part, la réal­ité d’un soulève­ment pop­u­laire d’op­po­si­tion. Elle existe en exil, mais sa crédi­bil­ité n’est que celle que veu­lent bien lui don­ner les “coali­tions” à géométrie vari­able, selon leurs chan­tages du moment. Et si affubler tel ou tel groupe de l’ad­jec­tif « libre » ne fait qu’a­jouter la con­fu­sion au chaos, par con­tre mesur­er la détresse des pop­u­la­tions des zones de com­bat, assiégées, bom­bardées, ramène à la réal­ité des exodes mas­sifs de ces jours derniers.

Et il ne faut pas pass­er sous silence non plus que des dizaines de per­son­nes sont mortes de faim récem­ment dans les villes assiégées par divers­es forces armées. Si qua­tre villes ont pu être rav­i­tail­lées, dont Madaya, encer­clée par les forces de Bachar al-Assad, 4,5 mil­lions de Syriens vivent dans des con­di­tions ter­ri­bles dans des local­ités coupées du monde ou dif­fi­ciles d’ac­cès, soumis­es à bom­barde­ments des uns ou des autres, quand ce n’est pas à la charia de Daech.

La solu­tion poli­tique, elle existe con­crète­ment depuis la mise en marche de la résis­tance au Roja­va.
C’est la recon­nais­sance des droits des Peu­ples de Syrie, et leur autonomie de ges­tion et de des­tin poli­tique sur un ter­ri­toire com­mun exis­tant, hérité de l’his­toire, la Syrie. Dit comme ça, c’est telle­ment simple.

Mais à en juger les appétits des uns et des autres, les con­séquences peut être irrémé­di­a­bles des dégâts de la guerre civile, des con­flits pseu­dos religieux ouverts, la bar­barie à l’oeu­vre, présen­ter cette solu­tion poli­tique revient à des vœux pieux, et nous ne sommes pas près d’y par­venir. Alors préserv­er le proces­sus entamé au Roja­va n’en est que plus précieux.

Et c’est pour­tant à la dis­pari­tion pos­si­ble de cette solu­tion esquis­sée au Roja­va que l’on assiste, depuis l’in­ter­ven­tion russe, la pseu­do inten­si­fi­ca­tion de la coopéra­tion de la « coali­tion », et les chan­tages inces­sants de la Turquie.

L’of­fen­sive russe, les frappes, l’aide décom­plexée aux forces de Bachar, avec le sou­tien main­tenant « toléré » de l’I­ran, peut à très court terme, don­ner un feu vert à la Turquie pour des actions mil­i­taires en ter­ri­toire syrien.

En effet, on est passé de la « zone tam­pon » réclamée hier, et validée par l’Otan, au refus réitéré de voir les forces kur­des du Roja­va prof­iter mil­i­taire­ment des défaites ter­ri­to­ri­ales con­jointes d’Al Nos­tra ou de Daech pour con­solid­er leurs zones fron­tières et reli­er dif­férentes enclaves entre elles. On pour­rait assis­ter à un accord tacite autour d’une avancée ter­ri­to­ri­ale de l’ar­mée turque, sous le pré­texte de met­tre fin à l’ex­ode des réfugiés, et de créer de nou­veaux espaces d’ac­cueil, financés par les Européens, et ce bien sûr con­tre le Roja­va au passage.

Erdo­gan vient d’adress­er aux « occi­den­taux » un dou­ble mes­sage, où il mélange pêle mêle les Kur­des de Turquie et ceux du Roja­va, les qual­i­fi­ant ensem­ble de « ter­ror­istes », et som­mant les gou­verne­ments de faire leur « choix ». Dans le même temps, le Pre­mier Min­istre Davu­to­glu mul­ti­plie les déc­la­ra­tions sur la capac­ité de la Turquie à « régler les prob­lèmes », pour peu que l’aide inter­na­tionale soit « claire » sur le « terrorisme ».
Plusieurs dirigeants, dont le pre­mier min­istre bri­tan­nique David Cameron et la chancelière alle­mande Angela Merkel, espèrent lever 9 mil­liards de dol­lars pour les 18 mil­lions de Syriens vic­times de la guerre. Bien sûr, charge à la Turquie de faire le job.
Tout se con­jugue pour don­ner un feu vert qui pour­rait rajouter la guerre à la guerre.

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Et dans ce con­texte, con­stater, alors qu’on pou­vait déjà écrire abon­dam­ment sur l’ex­trême diver­sité des pop­u­la­tions de réfugiés des camps, mélangeant sou­vent vic­times et bour­reaux, et créant des sit­u­a­tions dra­ma­tiques, que ce phénomène va se ren­forcer, et que des familles ou même des com­bat­tants d’Al Nos­tra vont con­verg­er vers ces camps, est plus que ques­tion­nant. Surtout quand on con­state l’empressement que le gou­verne­ment turc met d’un coup à pré­par­er leur accueil à ses fron­tières, en zones syriennes.

De leur côté, les autorités du Roja­va ont com­mencé à ouvrir un couloir human­i­taire de Azâz à Afrin pour les familles déplacées des vil­lages dans la cam­pagne d’Alep, afin de fournir un traite­ment immé­di­at pour les sit­u­a­tions d’ur­gence et les per­son­nes malades qui ont besoin d’être traitées aus­si vite que pos­si­ble, ain­si que pour accueil­lir le plus grand nom­bre d’en­tre eux dans la zone Afrin (et d’Idlib, zone hybride)  sous la sur­veil­lance et la pro­tec­tion des com­bat­tants du Roja­va, qui tra­vailleront pour sécuris­er leur par­cours. Evidem­ment cela s’ac­com­pa­gne d’un appel à sou­tien international.

Même si on peut penser que cet exode de guerre se trou­ve instru­men­tal­isé quelque peu, il en va de la vie de mil­liers de per­son­nes déjà grave­ment atteintes par les années qu’elles ont vécu sous les combats.

C’est là un des résul­tats de la présence russe, que cer­tains ont soutenu con­tre le grand satan améri­cain. Cela n’a que très peu de résul­tats con­tre Daech même, mais met en dan­ger le Roja­va, à la fois en pre­mière ligne con­tre ISIS et exposé à tous les nou­veaux revire­ments qui ravi­raient les dirigeants actuels en Turquie.

En out­re, voir les camps de réfugiés syriens, déjà très pré­caires, ressem­bler à ceux que furent en son temps les camps d’après géno­cide au Rwan­da, véri­ta­bles bases arrières des tueurs, peut ajouter au repli européen, et en jus­ti­fi­er les mau­vais arguments.

Décidé­ment, la nappe de la table des pour­par­lers de Genève, n’a pas fini de se tâch­er de sang et de larmes.

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…