A Cizre dans le quarti­er Cudi, il y a trois jours, des tirs au canon de char ont touché 25 per­son­nes et ont fait 3 morts. Les blessés et les corps des morts se trou­vent tou­jours pris­on­niers d’un immeu­ble qui con­tin­ue à être la cible de bom­barde­ments de l’armée.

turquie-carte- cizreLes 25 blessés dont 14 graves, ne peu­vent pas être évac­ués à l’hôpital et les sur­vivants essayent de leur apporter les pre­miers soins avec les moyens du bord. L’immeuble se trou­ve dans l’avenue de Caferi Sadık et les rescapés sont cachés dans la cave. Il s’agit d’une habi­ta­tion, donc le matériel de sec­ours est très lim­ité, voire inex­is­tant. Afin de stop­per ou au moins ralen­tir les hémor­ra­gies pour les blessés, ils utilisent le coton des oreillers. Trois per­son­nes ont suc­com­bé déjà à leurs blessures. Les per­son­nes peu­vent tant bien que mal com­mu­ni­quer, mais restent sous siège.

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Cihan Kara­man

L’étudiant Cihan Kara­man fait par­tie des trois morts. La cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait pour­tant pronon­cé une déci­sion de pro­tec­tion et demandé son évac­u­a­tion. Cette déci­sion n’a pas été suiv­ie d’ef­fets. Les deux autres per­son­nes tuées n’ont pas pu être identifiées.

La demande d’aide médi­cale et d’ambulance qui avait été faite aux autorités avait trou­vé sa réponse : l’accentuation des tirs de canon !

Mehmet Tunç, co-prési­dent du con­seil pop­u­laire de Cizre fait par­tie du groupe caché au sous-sol. Il a com­mu­niqué par télé­phone, que toutes les per­son­nes coincées dans l’immeuble sont des civils, qu’il y a aus­si des poli­tiques, des jour­nal­istes et artistes et qu’ils ne dis­posent d’au­cun matériel médical :

Nos blessés vont mal. Cer­tains sont blessés au pied, mais les blessures sont sur le point de se trans­former en gan­grène. Leur blessures com­men­cent à sen­tir mau­vais. Nos morts com­ment à sen­tir aus­si. Chaque mort qui survien­dra à par­tir de main­tenant, doit être con­sid­éré comme une exécution.

Un habi­tant de Cizre, Mah­mut Duy­mak, s’est exprimé égale­ment par télé­phone, accom­pa­g­né de bruits de tirs de canon :

Vous êtes con­scients du mas­sacre à Cizre. Je suis venu au quarti­er de Cudi, avec Ahmet Tunç afin de faire des pro­vi­sions. Mon ami Ahmet Tunç a été touché et il a per­du sa vie. J’ai vu qu’il y avait des gens autour de la mai­son des con­doléances, je me suis réfugié auprès d’eux. J’ai vu qu’ils avaient des blessés et ma con­science m’a empêché de les laiss­er. Cela fait 28 jours que je suis ici. L’attaque que nous subis­sons est hon­teuse. Ils deman­dent « y a‑t-il des blessés graves ? ». Je fais appel à tout le monde. Com­ment pou­vez-vous deman­der si les blessures sont graves ou non ? Des enfants de 13–15 ans sont morts ici. Il y a des blessés. Nour­ri­t­ure et eau, de toutes façons, il n’y en a pas. Où est l’humanité ? A qui vont-ils don­ner des comptes demain ? A nos cadavres ? Enten­dez-vous les bruits des bom­barde­ments ? Nous en appelons à l’humanité. Que l’humanité aie honte d’elle même. Qui dit je suis un être humain, tourne les yeux vers Cizre. Nous atten­dons que tout le monde intervienne.

Une autre per­son­ne a appelé IMC-TV. Voici l’en­reg­istrement de la con­ver­sa­tion télé­phonique suivi de sa traduction :

Ici, on vit un drame humain. Quand on le voit, on ne sait plus quoi dire. Nous sommes au point où la parole s’arrête.

Il y a près de 30 blessés. Les jambes de cer­tains sont atteintes par la gan­grène, d’autres ont une hémor­ragie, d’autres encore, souf­frent psy­chologique­ment. Nous avons 3 corps ici et ils sen­tent. Il n’y a ni eau ni nour­ri­t­ure, et nous n’avons plus de médica­ments pour les soins.

Pour décrire cet endroit, il faut être ici.

Ils nous ont demandé l’adresse exacte pour la don­ner au min­istère, pour dire qu’il y a des civils, et que des mesures devraient être pris­es. Après avoir don­né l’adresse, les attaques se sont inten­si­fiées. Des bombes et obus de mortiers arrivent de partout.

Nous sommes tous ici, coincés dans l’immeuble. Nous ne pou­vons ni sor­tir, ni bouger. Nous dépas­sons nos lim­ites, au point de vue nour­ri­t­ure et eau. Nous sommes dans une grande difficulté.

Nous ne savons pas com­ment nous devons nous com­porter. Nous avons per­du un ami, déjà hier et aujourd’hui la gan­grène a été déclarée à la jambe d’un autre. Le monde reste silencieux.

Moi j’ai une petite blessure, elle n’est pas grave mais l’état de nos amis sont réelle­ment grave.

 

Les forces de sécu­rité n’autorisent pas l’évacuation des blessés et des corps. Les élus, Faysal Sarıyıldız et Fer­hat Encü, députés du HDP ont essayé d’accéder à Cizre, mais en vain. Fer­hat Encü, exprime son inquié­tude sur Hay­at TV:

Nous avons su dernière­ment qu’il y a eu 3 morts. Les blessés ont affir­mé à plusieurs repris­es, que les attaques ciblant leur immeu­ble, con­tin­u­ent d’une façon intense. Comme l’Etat a exé­cuté 3 femmes blessées à Silopi, nous craignons que les blessés soient exé­cutés aus­si. Nous avons été témoins de ce genre de crime plusieurs fois. Nous avons reçu beau­coup de témoignages et doc­u­ments prou­vant que les blessés sont exé­cutés avant d’atteindre l’hôpital. Il faut arrêter et évac­uer les blessés en urgence.

Faysal Sarıyıldız ajoute que l’immeuble est en grande par­tie détru­ite. Il souligne que sou­vent, mal­gré les déci­sions de pré­cau­tion de la Cour Européenne les blessés ne sont pas évacués. 

Là, il est ques­tion de mas­sacre en groupe. Nos amis atten­dent dans des min­istères, et toutes les pos­si­bil­ités légales et admin­is­tra­tives sont util­isées mais les blessés ne sont tou­jours pas évac­ués. Le nom­bre de per­son­nes, le nom­bre de blessés, de morts, l’étage où ils se trou­vent, toutes les infor­ma­tions sont com­mu­niquées mais, rien n’est fait. S’il arrive quelque chose à ces gens, ceux qui mènent cette poli­tique de sauvageries seront respon­s­ables. Je ne peux pas par­ler plus. Chaque minute qui s’é­coule, est por­teur d’une nou­velle catastrophe.

Au moment où le vice Prési­dent améri­cain sou­tient à la fois Erdo­gan dans “sa lutte jusqu’au bout con­tre le ter­ror­isme du PKK” et “s’in­quiète de l’autre main d’en­tors­es aux droits de l’homme pour les civils”, où l’inex­is­tante respon­s­able des “affaires étrangères européennes” tient à peu près le même dis­cours con­tra­dic­toire, dans ces instants où enfin une “péti­tion” a franchi le mur du silence sur les crimes qui se déroulent, les troupes et forces “spé­ciales” d’Er­do­gan con­tin­u­ent pour­tant à tuer en toute impunité.

Il y a un temps pour les dis­cours, les petits échanges de bons procédés et un autre, plus réel et quo­ti­di­en, pour le mas­sacre au nom de la lutte con­tre le “ter­ror­isme”. Nous pour­rons donc tenir pour co-respon­s­ables tous les gou­verne­ments européens qui per­sis­tent dans cette dou­ble atti­tude, par intérêt.

Nous non plus, nous ne voulons et ne pou­vons pas être com­plices de ces crimes, pour en plus sat­is­faire la xéno­pho­bie et le repli orchestré par les Européens face aux mis­es en mou­ve­ment des réfugiés de guerre syriens.

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