Une autre journée noire pour Istanbul, non seulement pour la population du quartier Yedikule mais pour l’héritage historique de la ville…
Nous irons au pied de la muraille d’Istanbul, fouler la terre des potagers historiques de Yedikule, une tradition populaire qui remonte à 1500 ans. Quand on y sème des graines, on commence par trois premieres poignées :
« C’est pour l’oiseau, c’est pour le loup et et c’est pour l’habitant »
Ce terrain de 20 hectares qui s’allonge en suivant la muraille, de Yedikule vers Mevlanakapı, cultivé depuis des générations figure sur la liste de l’UNESCO, comme patrimoine du monde et constitue un gagne-pain pour près de cent familles et une parcelle de nature en plein milieu urbain.
Les potagers de Yedikule “défont” le paysage
Le 11 janvier, la Grande Mairie d’Istanbul avait averti les exploitants des jardins maraîchers :
Récoltez ce que vous avez à récolter et quittez les lieux d’ici le mois de mars, dernier délai pour la destruction de toutes les installations des cabanes et serres.
Les exploitants sont considérés par les autorités comme des « occupants illégaux » et accusés de « défaire le paysage ». Or on peut observer sur des documents ottomans qui remontrent jusqu’en 1723, la présence des potagers, puits, cabanes, et autres installations nécessaires. Les potagers font bel et bien le « paysage » de ces quartiers, tout comme les vieux murs historiques.
Les familles de maraîchers expliquent que non seulement elles payent des impôts et taxes mais qu’elles étaient également tenues de payer un loyer et une pénalité de compensation, bien plus élevée que le loyer, taxée aux occupants et “squatteurs” des biens appartenant aux mairies.
Il y a quelques années cette indemnité a été augmenté de 3000 livres turques à 30.000. Les familles ont fait un recours en justice. Le tribunal leur a donné raison et a ordonné de baisser cette pénalité exorbitante.
Les occupants se sont organisés en association sous le toit de « Yedikule Bostancılar Derneği ». Ils ont essayé de communiquer avec la Mairie et de proposer des solutions. Le porte parole de l’association Cihan Kaplan explique :
Pour motiver le projet de destruction, la Mairie avance la thèse de non-sécurité des lieux. Ce prétexte que nous connaissons, est utilisé systématiquement pour raser les quartiers pour lesquels des projets de « transformation urbaine » sont prévus.
En effet plusieurs quartiers dont certains historiques, présentant un tissu social particulier, comme le quartier tsigane Sulukule, ont été rasés. Leurs habitants ont été souvent déplacés, à contre coeur, dans des habitations en vertical et très loin de leurs quartiers d’origine. Des quartiers entiers, le moindre mètre carré disponible et “pillable” sont convoités par des projets divers et variés, l’un plus inutile et destructif que l’autre. Profit du bétonneur avant la ville et ses habitants !
A Yedikule un projet de réhabilitation prévoit donc depuis 2010, le pillage des 70 milles m2 du terrain (sur les 20 hectares) pour la mise en place d’un parc qui n’a rien à voir avec le paysage actuel. Ce parc “artificiel”, serait orné d’un bassin/ruisseau décoratif, et bien évidemment contiendrait des restaurants, cafés et autres commerces sans lesquels, pour certains, la vie est inimaginable…
Pourtant l’agriculture en milieu urbain…
A une époque où la petite agriculture en milieu urbain est au fait des réflexions de demain, et sa mise en réalisation s’élargit de plus en plus, les autorités turcs préfèrent ne pas regarder au-delà de leurs oeillères et continuent à tapisser de béton, la moindre parcelle verte.
Dans le monde, des terres urbaines et périurbaines cultivées, le sont sur un espace de 456 millions d’ hectares, soit la superficie du continent Europe… 67 millions d’hectares se trouvent directement dans les villes. Cette agriculture permet des circuits courts en milieu urbain, apporte des espaces qui servent de poumons verts, et participe à la sauvegarde de la biodiversité.
Grignoter les potagers petit à petit
Déjà en 2013 la Mairie d’Istanbul avait rempli de gravats la partie intramuros des potagers. C’était donc le début des travaux du projet du parc.
Le 13 janvier dernier, les agents de la Grande Mairie d’Istanbul et les machines avec le renfort de la police spéciale, ont pourtant détruit les cabanes, indispensables pour la culture de potager.
Depuis, des actions de sensibilisation et de protestation se sont multiplées, avec la participation de défenseurs de vie qui savent qu’une ville n’est pas bâtie qu’à travers le béton des centres commerciaux, des parkings, des autoroutes et des ponts…
Une pétition demandant la protection des Potagers de Yedikule est en ligne depuis environ un an. A ce jour plus de 57 milles personnes l’ont signée en soutien. Vous pouvez vous joindre à eux. (Pétition en turc, anglais allemand, français)
Les potagers de Yedikule ne sont pas seulement l’héritage du passé mais aussi la semence pour l’avenir et un exemple pour les villes qui se remettent à l’agriculture en milieu urbain.
Je vous invite à regarder le Film de Fatih Pinar qui a déjà réalisé plusieurs reportages vidéo sur les quartiers frappés par la transformation urbaine, en Turquie.
La vidéo suivante témoigne de la rencontre de militante, écrivaine, écologiste et féministe indienne Vandana Shiva avec les “maraîchers” dont une grande partie sont des femmes. Les séquences de la destruction des cabanes sont filmés par İmre Azem.
Film turc/anglais, traduction vers le français en texte ci-dessous.
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Amis, voilà comme on sème (lancée de graines en trois gestes) : « C’est pour l’oiseau, c’est pour le loup et et c’est pour l’habitant »
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Vanadana Shiva : L’héritage culturel et nourriture. Je suis ici pour dire ne détruisez pas les potagers et en solidarité.
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Kezban Ökten (maraîchère) : Nous travaillons ici depuis 40 ans. Nous y prenons du plaisir, parce que nous n’avons pas d’autre métier. Nous aimons travailler la terre.
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Vandana Shiva : Séparation de la terre… et vous tous, les maraîchers, vous gardez le lien entre l’Homme et la terre. C’est pour cela que ce que vous faites est pour le futur. Je vais apporter ces graines et les planter dans notre jardin, en Inde.
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Salade frisé, oignons, persil, roquette, aneth, blette, chou noir, pourpier, menthe… nous cultivons plein de choses ici, et en bio.
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Suna Kafadar (Activiste urbaine) : Ce lieu est unique. Parce que ces potagers qui longent ces murailles, intro-muros et extra-muros, sont des jardins qui existent depuis des siècles, qui nourrissent des populations, qui font exister ce lieu, même contribuent au fait que ces murailles soient toujours debout.
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Hava Kaplan (maraîchère) : Je suis ici depuis 27 ans. Nous travaillons ici. Nos enfants sont grandi ici.
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Un maraîcher : De mon grand père, à mon père, je suis la troisième génération ici. Cela fait environ 60, 70 ans. Ma seule source de revenu est ici.
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Nous ne faisons rien contre l’Etat [au sens « d’illégal »] Nous travaillons et nous gagnons notre pain.
02:07 Destruction des cabanes 13 janvier 2016
- Je vous demande vos papiers
- Casse-toi ! Dehors !
02:22
Ils ont détruit notre cabane. On est restés sans toit. Tout est dehors. La cabane est la moitié du jardin. S’il n’y a pas de cabane, ce n’est vraiment pas possible de travailler dans le potager.
Nous sommes des êtres humains, nous aussi. Nous promenons une vie, nous aussi. qu’ils ne croient pas que nous n’avons aucune existence.
02:45
Vanadana Shiva : Ceux qui veulent démonter la vie présente ici, et qui veulent installer un parc artificiel, et qui font les projets sont des gens ignares. Quand les femmes résistent, en réalité elles prennent place au premier front de la lutte contre la stupidité.
02:57
Nous travaillons aussi pour l’Etat. Nous payons nos impôts, nous payons l’eau, l’électricité. Si il faut qu’on fasse autre chose de plus, qu’ils nous disent et nous ferons.
03:11
Canada Shiva : L’autre vision, est constituée d’un projet d’avenir aveugle qui court après l’argent et le profit quelque soit les conséquences. Je suis sur que derrière le type qui a obtenu l’appel d’offre du parc, un processus de corruption et de pot de vin progresse. Et cela doit être enquêté.
03:30
Bousculades…
Appelez une ambulance !
03:37
Serhat Avcı (Maraîcher) : Comment c’est commencé ? Ils ont commencé à dire, les cabanes qui ne vont pas avec le texture du quartier et des murailles historiques seront détruites et le paysage sera réhabilité. Et les cabanes sont détruites. Et où cela va-t-il aller ? Après la destruction, allez, supprimons aussi les potagers.
03:52
Après avoir perdu nos cabanes, nous n’avons plus la possibilité de travailler le potager.
03:54
(En pleurs) Nous n’avons pas d’autre possibilité de travail. Nous ne pouvons pas faire autre chose. Nous avons vécu libres, nous sommes libres dans nos jardins. Nous pouvions partager notre pain avec les gens qui passaient.
04:11
Cihan Kaplan (Maraîcher et porte parole de l’association des maraîchers) : Notre souhait est d’être enregistrés. Les maraîchers des potagers de Yedikule sont les maraîchers de potagers. Cela doit rester tel que c’est. Nous voulons qu’une administration officielle nous enregistre et officialise notre travail.
04:26
Il y a un incroyable savoir à transmettre. Et ce sont les potagers qui peuvent le transmettre. Ils sont, avec leur propre terme « les gardiens » de cet endroit.
04:34
Puisque la totalité des murailles ne peuvent pas être mis sous protection, quand nous allons partir d’ici, toute une aventure commencera. Cette aventure, ce sera les jeunes qui font école buissonnière pour venir se droguer ici, la transformation des groupes de jeunes en gangs…
04:54
Vandana Shiva : Vos jardins et ces murailles sont un ensemble indivisible. Ils sont tous les deux des parties inséparables d’un héritage historique.
05:00
Si les potagers n’existent plus, les murailles n’existeront plus non plus. Il faut oublier. Il faut oublier le tissu culturel de l’endroit.
05:04
Ce lieu n’est pas à nous. Il n’appartient à personne. Même pas à ce pays, mais au monde et aux gens qu’y ont travaillé depuis 1500 ans. Nous avons le devoir de le protéger et d’assurer sa continuité.
05:16
Vandana Shiva : Quand tous ces bâtiments prétentieux auront disparus, et que l’énergie fossile qui fait marcher vos bateaux sera épuisée, ce seront ces jardins qui vont faire perdurer l’humanité.
Le texte de la pétition
(français / türkçe / english / deutche)
En 1985 les murailles d’Istanbul ont été déclarées Patrimoine Mondial par l’UNESCO. C’était une décision juste et nous considérons ces murailles comme héritage et nous les protégeons.
A cet égard, les terres agricoles qui font partie des murailles sont également notre héritage. Car, même si elles ne sont pas encore déclarées patrimoine par l’UNESCO ou par une autre autorité, comme Mehdi Eker, le Ministre de l’Alimentation, de l’Agriculture et de l’Élevage l’exprime : « la source de la Culture est l’agriculture » et les Potagers de Yedikule sont l’exemple suprême d’une Culture qui perdure et d’une Histoire de 1500 ans. La protection de cette Culture unique est à la fois notre responsabilité pour l’avenir que pour faire vivre l’Histoire.
Nous observons avec inquiétude la transformation des Potagers de Yedikule en chantier, même si cela se fait dans le cadre d’un projet de réhabilitation, et nous craignons que l’impact des gravats, et la bétonisation qui a récemment débuté soient irréversibles sur ces terres agricoles de 1500 ans, extrêmement fertiles.
Notre souhait est l’appropriation commune de cette Histoire et Culture, et sa préservation en tant que Mairie de métropole et Mairie de la commune. Notre revendication est la sauvegarde de la fonction traditionnelle et la mission historique des Potagers de Yedikule, et le maintien de ces terres comme terrains agricoles.
Pour signer cliquez ICI
İstanbul’un tarihi kara surları 1985 yılında UNESCO tarafından Dünya Mirası kabul edildi. Haklı bir karardı ve biz de bu surları emanet sayıyor, koruyoruz.
Bu bağlamda 1500 yıldır bu surların parçası olan tarım alanları da emanetimizdir. Zira henüz UNESCO ya da bir başka uluslararası otorite tarafından miras değeri ilan edilmemiş olsa da, GTH Bakanımız Mehdi Eker’in de dediği gibi, “kültürün kaynağı agrikültür, yani tarımdır” ve Yedikule Bostanları 1500 yıllık bir tarihin, yaşatılan bir kültürün fevkalade önemli örneğidir. Bu biricik kültürü korumak, bu tarihi yaşatmak geçmişe olduğu kadar geleceğe karşı da sorumluluğumuzdur.
Yedikule Bostanları’nın rekreasyon amaçlı dahi olsa inşaat alanına dönüşmesini 2013 yılının Temmuz ayından bu yana endişe ile izliyor ve gerçekleşen moloz dökümlerinin ve yakın zamanda başlayan betonlaşmanın bu 1500 yıllık ve son derece bereketli tarım toprağına etkisinin geri dönülmez olacağından endişe ediyoruz.
Dileğimiz gerek Anakent Belediye olarak ve gerekse de İlçe Belediyesi olarak kültürümüze, tarihimize sahip çıkmanız. Talebimiz Yedikule Bostanları’nın tarihi misyonu ve geleneksel fonksiyonu korunsun; Yedikule Bostanları tarım alanı olarak kalsın.
İmzalamak için buraya tıklayın
İstanbul’s Historic Land Walls were included in the UNESCO World Heritage List in 1985. The inclusion was a right decision and we consider the walls a heritage entrusted to us to be protected.
By the same token, we also consider the agricultural lands, which have been inseparable part of the historic walls for 1500 years, entrusted heritage to us. Heritage, despite the fact that Yedikule Market Gardens (Yedikule Bostans) have not been yet declared as such by UNESCO or any other authority. These agricultural lands are an extraordinarily important example of 1500 years of uninterrupted culture and as our Minister of Food, Agriculture and Animal Husbandry has stated, “the root of culture is agriculture, in other words farming.” Preserving this unique culture and sustaining this history is our responsibility owed not only to our past but also to our future.
Since July 2013 we have been witnessing the transformation of Yedikule Market Gardens into a construction site, even if for a recreational program and purpose. We are concerned that dumping rubble and construction may irreversibly and negatively affect the 1500 years old fertile soil.
It is our hope that as Greater Istanbul Municipality and as the local Fatih Municipality, that you protect our culture, our history. We demand that the historical mission and traditional function of Yedikule Market Gardens be preserved and remain to persist as agricultural lands.
Sign HERE
Die Landmauern von Istanbul wurden 1985 von UNESCO als Weltkulturerbe anerkannt. Das war eine berechtigte Entscheidung; wir betrachten sie als an uns anvertrautes Erbe und beschützen sie.
In diesem Zusammenhang betrachten wir die städtischen Landwirtschaftsflächen, die seit 1500 Jahren einen unzertrennlichen Bestandteil der Landmauern bilden, ebenfalls als Weltkulturerbe. Auch wenn das UNESCO Dokument oder eine weitere Autorität dies noch nicht offiziell bescheinigt hat, bildet die Landwirtschaft, also die Agro-Kultur, die Grundlage und den Ausgangspunkt der Kultur, wie auch Herr Mehdi Eker, der Minister für Lebensmittel, Landwirtschaft und und Tierzucht der Republik Türkei, bestaetigte. Die Bostan’s (= urbane Gärten für Landwirtschaft) an den Landmauern bilden ein einzigartiges Beispiel lebendigier Kulturgeschichte seit 1500 Jahren. Wir sehen es als unsere Verantwortung, dieses Unikat zu beschützen und diese lebendige Kultur an künftige Generationen weiterzuerben.
Wir betrachten mit grosser Besorgnis, wie seit Sommer 2013 die Bostanflaechen in Yedikule in ein Bauplatz umwandelt werden, selbst wenn dies zu Rekreationszwecken ist. Wir befürchten dass die Zuschüttung der 1500 Jahre alten Agrarflaechen mit Bauabfällen und die daraus folgende Versiegelung sowie fortschreitende Zubetonierung unwiderrufliche negative Folgen auf fruchtbaren Böden haben wird.
Unser Wunsch ist, dass der Bezirksamt von Fatih und die metropolitane Stadtverwaltung von Istanbul, sich der Kultur und der Geschichte Istanbuls annehmen. Wir fordern dass die historische Mission und die traditionelle landwirtschaftliche Funktion erhalten bleiben und die Bostans von Yedikule als Landwirtschaftliche Fläche erhalten bleiben.
zu unterschreiben : HIER