Les stan­bu­liotes ne ver­ront-ils bien­tôt plus se balad­er « la croisière s’a­muse » dans les petites rues ani­mées du « grand bazar » ?

Il faut croire que Daech ou les com­man­di­taires du dernier atten­tat d’Is­tan­bul ont un peu douché les ardeurs des croisiéristes impéni­tents ou que les assur­ances « touristes » ont augmenté.

Mar­di, la com­pag­nie de croisières de luxe Crys­tal Cruis­es, basée aux Etats-Unis, a annon­cé sur son site inter­net qu’elle mod­i­fi­ait le par­cours de huit de sa croisière qui devait pass­er par la Turquie — soit deux voy­ages prévus en mai sur le bateau Crys­tal Sym­pho­ny et six plan­i­fiés pour avril et novem­bre sur le Crys­tal Spirit.

Main­tenant, c’est MSC Croisières, com­pag­nie inter­na­tionale qui avait fait voy­ager 1,7 mil­lion de pas­sagers en 2015, qui sus­pend ses escales en Turquie.
« Les escales prévues à Istan­bul et à Izmir, à par­tir du 29 mars 2016, seront rem­placées, pour l’in­stant, par des escales à Athènes et à Mykonos ».

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Les dix touristes alle­mands tués dans l’at­ten­tat récent à Istan­bul, et les blessés nom­breux ne font déjà plus la une des médias pour­tant, et Erdo­gan est déjà passé à autre chose. Dame Merkel n’a pas d’élec­tions en vue, et le « ter­ror­isme » n’est pas son état d’ur­gence. Ain­si va l’in­stru­men­tal­i­sa­tion poli­tique ou pas des vic­times d’at­ten­tats, de leurs nation­al­ités, de la géo­gra­phie où ils se déroulent…

Ces déci­sions qui con­cer­nent la manne finan­cière touris­tique vont cer­taine­ment s’ac­com­pa­g­n­er d’autres dans les mois à venir, et touch­er prob­a­ble­ment le secteur hôte­lier aus­si. L’im­age d’Er­do­gan dans le « grand pub­lic » ne sus­cite pas le même engoue­ment que chez les Merkel et Hol­lande. Il faut dire que le « tourisme » et les « flux de réfugiés » ne se recoupent pas, et que « vis­iter » la Turquie en ce moment, c’est un peu aller au devant de ce que fuient nom­bre de personnes.

Dif­fi­cile d’avoir un point de vue en noir ou blanc sur ce qui pour­rait être un sem­blant de « boy­cott » à moyen terme.

Istan­bul ou Ankara ne sont pas des bunkers, les côtes turques ne se sont pas cou­vertes de mil­i­taires armés, et Daech ne parade pas encore dans les rues d’Izmir. Ce que nous décrivons à longueur de bil­lets comme un gou­verne­ment autori­taire et big­ot qui mène une guerre con­tre ses pop­u­la­tions, et notam­ment au Kur­dis­tan Nord (Est de la Turquie), comme aux fron­tières syri­ennes du Roja­va, n’est pas vis­i­ble directe­ment dans les zones touris­tiques. La vie con­tin­ue, et Daech ne fait pas la bombe et le beau temps en tous lieux. La Turquie n’est pas la Syrie ni l’I­rak, et même lorsque 10 000 hommes sont envoyés au Kur­dis­tan Nord pour le « grand ménage » con­tre « le ter­ror­isme », cela ne se voit guère à la descente d’avion. On pour­rait même iro­nis­er sur le nom­bre de mil­i­taires au mètre car­ré à Istan­bul et à Paris, l’un se dis­ant en « guerre » et l’autre non.
Il y a donc un empresse­ment des « tours opéra­tors » à ménag­er leurs arrières financiers et pré­par­er en douceur des jours meilleurs en faisant descen­dre la Turquie dans leurs cat­a­logues, comme ils l’ont fait pour la Tunisie. Les effets se fer­ont sen­tir en début d’été, prob­a­ble­ment, et se dis­perseront dans le flot des con­séquences économiques des inter­ven­tions géopoli­tiques d’Erdogan.

Mais nous savons que la ques­tion se pose vrai­ment d’aller aujour­d’hui ou pas en Turquie, pour qui a con­science de ce qui s’y déroule . Il y a même des ini­tia­tives de réel « boy­cott » des pro­duits turcs dans l’air, pour pro­test­er con­tre la guerre au Kur­dis­tan Nord, et le blo­cus actuelle­ment entre­pris con­tre le Roja­va, inter­dis­ant l’a­chem­ine­ment à la fois de logis­tique de recon­struc­tion, et d’aide médicalisée.

Esquiss­er une pre­mière réponse est facile. Faites comme d’habi­tude, boy­cottez les cir­cuits, les grands hôtels, toutes les entre­pris­es de tourisme de masse, même si la ten­ta­tion est grande de regarder le prix alléchant en bas de cat­a­logue. Faites la guerre à l’abrutisse­ment touris­tique et au soleil facile à deux pas des réfugiés syriens qui ten­tent de quit­ter les côtes. La Turquie mérite mieux que cela, et vous ne regret­terez jamais d’es­say­er autre chose que le fast food touristique.

Mais cela n’a rien à voir avec la sit­u­a­tion actuelle, bien évidem­ment. Et nous ne pou­vons bien sûr qu’inciter celles et ceux qui n’ont pas encore franchi le pas, où ceux qui hési­tent à y retourn­er, à le faire.

Nous croyons que nos lecteurs et lec­tri­ces sont assez grands pour savoir ce qu’est le « voyage ».
Mais c’est juste­ment aus­si le moment de ren­dre les ren­con­tres plus fructueuses, les échanges plus rich­es, les sol­i­dar­ités plus actives. Votre indig­na­tion poli­tique con­tagieuse sera utile au moral de celles et ceux qui lut­tent con­tre le Sul­tan à minima.

Voy­ager aujour­d’hui en Turquie ne vous fera pas décou­vrir la réal­ité pal­pa­ble d’un régime qui muselle son oppo­si­tion, ses minorités, et marche à grands pas vers un pou­voir per­son­nel déjà bien instal­lé. Pas davan­tage que le voyageur japon­ais ne ressen­ti­ra le pétain­isme ambiant en vis­i­tant Le Lou­vre à Paris, vous ne vous sen­tirez la future vic­time de Mid­nigt Express en débar­quant à l’aéro­port. Vous devrez pour cela par­tir à la recherche de chats en colère, et ils ne man­quent pas.

Il est d’autres pro­jets plus organ­isés qui pour­raient men­er à répon­dre aux sol­lic­i­ta­tions urgentes d’il y a quelques semaines d’élus et de respon­s­ables de la société civile à l’Est, qui souhaitaient recevoir des « délé­ga­tions », à la fois pour mon­tr­er aux pop­u­la­tions que les « européens » ne sont pas tous des Merkel ou des Hol­lande, et pour soutenir les efforts de paix par leur présence active. Cela s’or­gan­ise bien enten­du, mais les réseaux exis­tent. Voy­agez mil­i­tants, seraient-on ten­tés de dire ! Cela ne vous empêchera pas de décou­vrir autrement la Turquie par ailleurs.

Notre inten­tion n’est pas d’inciter à un tourisme de guerre à l’Est, mais de ne pas remet­tre à plus tard un « voy­age en Turquie » sous le pré­texte de la trouille et des désagré­ments pos­si­bles. C’est juste­ment le moment d’y aller les yeux ouverts et les bonnes adress­es mil­i­tantes dans la poche.

N’ou­bliez pas de nous envoy­er une carte postale, et de saluer les chats des rues d’Ankara de notre part, tout comme les matous des rives du Bosphore.

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