Les min­istres de l’en­vi­ron­nement en Turquie et la nature… Une épopée…

barrageCeci est une machine à ciment et je suis ingénieur en bâti­ment. Je prends beau­coup de plaisir quand elle tape et elle frappe. Que le bruit de la machine à ciment ne manque jamais dans ce pays…”

C’est İdris Gül­lüce, le Min­istre de l’Environnement et de l’Urbanisme qui avait pronon­cé en octo­bre 2015, ces mots fan­tas­tiques… (oui, “envi­ron­nement” vous avez bien lu !)

Si l’un déclare son amour pour le béton, pourquoi l’autre ne se van­terait-il pas de vio­l­er les lois de pro­tec­tion de la nature ?

Vey­sel Eroğlu, Min­istre des Forêts et des Eaux accom­pa­g­nait partout le Prési­dent Erdo­gan qui par­tic­i­pait à des céré­monies d’inauguration du grand pro­jet de cen­trales hydroélec­triques, avec ses 99 bar­rages, que le gou­verne­ment pré­tend con­stru­ire. Le 15 jan­vi­er, le Min­istre inau­gu­rait encore. Cette fois c’é­tait à Düzce, une des villes con­cernées par le projet.

Lors de son dis­cours il nous expliquait :

Nous allons con­stru­ire un bar­rage sur la riv­ière Uğur­suyu. Mais nous allons le con­stru­ire en tant que « retenue d’eau » et nous allons le trans­former en bar­rage plus tard. Quand on pré­pare le pro­jet en tant que « bar­rage » les études sur l’eau durent 7 ans, la plan­i­fi­ca­tion 2 ans, et le pro­jet 1 an, les travaux ne peu­vent pas com­mencer avant 10 ans. Alors que quand on par­le de ‘retenue d’eau’, ma sig­na­ture suf­fit à faire l’affaire.”

C’est sym­pa de voir un Min­istre à qui les ressources naturelles d’un pays ont été con­fiées, expli­quant claire­ment, en tout impunité, com­ment en tant que min­istre, il peut con­tourn­er les lois, pour piller la nature au nom “du pro­grès et prof­it”. Pas de scrupule, ni honte : Nique les lois, je suis ministre…

Pour l’info, en Turquie la hau­teur d’une retenue d’eau ne doit pas dépass­er les 30 mètres. Au delà, la retenue est con­sid­érée comme bar­rage… Et effec­tive­ment pour ce genre de pro­jets de bar­rage, des études d’impact sur la nature (ÇED) et des démarch­es admin­is­tra­tives sont fort heureuse­ment oblig­a­toires. La Turquie est égale­ment sig­nataire d’en­gage­ments inter­na­tionaux. Vis­i­ble­ment ces étapes pré­para­toires néces­saires ne sont pour le Min­istre que “des con­traintes dont il faut tor­dre les cornes”.

Ce n’est pas la pre­mière fois que le Min­istre Vey­sel Eroğlu explique publique­ment cette « façon de faire ». Il y a 3 ans, à pro­pos de la retenue Ikizce, à Kaş, dans le Sud de la Turquie, il avait annon­cé le même cas de fig­ure, et infor­mé les habi­tants que l’ap­pel­la­tion “retenue” serait changée une fois le pro­jet terminé.

Plusieurs luttes locales sont menées dans dif­férents endroits par les habi­tants con­tre les pro­jets de bar­rage et de cen­trales hydroélec­triques, qui visent à exporter l’én­ergie et non répon­dre aux besoins régionaux ou locaux, pour ali­menter le gaspillage dans les grandes métrop­o­les urbaines, au nom du “développe­ment d’am­poule”. Au pas­sage, on note à chaque fois une façon très par­ti­c­ulière d’ac­corder les con­trats et des remon­tées vers les proches des min­istères, comme de juteux prof­its pour les bétonneurs. 

Le min­istre avait inau­guré le mois dernier 174 instal­la­tions, et 99 en jan­vi­er. Le nom­bre de céré­monies d’inauguration spec­tac­u­laires, fréquen­tées par la crème de l’Etat, a atteint le mil­li­er dans les 5 dernières années.

Ces inau­gu­ra­tions inter­minables et par­fois plusieurs pour une seule instal­la­tion, avaient éveil­lé des ques­tions et porté le sujet à l’Assemblée Nationale.

Le Min­istre, avant de répon­dre à l’Assemblée à la ques­tion qui lui avait été posée, était sur la tri­bune d’in­au­gu­ra­tion à Düzce, et avait fait ce type de déclaration :

Regardez le chemin que la Turquie a par­cou­ru. Les gou­verne­ments de coali­tion anciens ne pou­vaient ouvrir seule­ment trois instal­la­tion par an, nous, nous inau­gurons un mil­li­er de cen­trales par an. C’est la dif­férence entre l’ancienne Turquie et la « Nou­velle turquie ». La crise économique dure encore sur le monde. Nous sommes entourés d’un cer­cle de feu, mais nous con­tin­uons notre chemin avec un pro­grès par­fait. Parce qu’en Turquie, il y a la sta­bil­ité, il y a vous, il y a notre nation.”

Com­ment faire com­pren­dre que le pro­grès annon­cé veut dire béton, pil­lage, cor­rup­tion et prof­its, à un Peu­ple qui a fuit les cam­pagnes pour les métrop­o­les, et qui par­fois va même jusqu’à renier ses racines rurales ? La Turquie cap­i­tal­iste (un si gros mot pour une évi­dente réal­ité) se porte bien, et se cache à la fois sous le voile big­ot et la burqa du “pro­grès”, sous laque­lle on amasse la finance, sans se souci­er des destruc­tions, pil­lages écologiques, et con­séquences à terme pour toutes les populations.

Et pour­tant les com­bats locaux ne man­quent pas, pour ten­ter de faire barrage !

En France, on appelle ça une “lutte con­tre les grands pro­jets inutiles et imposés”. Et on a même vu égale­ment une min­istre de l’en­vi­ron­nement sug­gér­er de réduire la taille d’une retenue d’eau, pour per­me­t­tre à des barons locaux de con­fon­dre aus­si leur béton­neuse avec un récep­ta­cle d’ar­gent public.

Les voies du prof­it n’ont pas de frontières.


D’après l’article de Yusuf Yavuz sur Kuzey Ormanları Savunması 
KEDISTAN on EmailKEDISTAN on FacebookKEDISTAN on TwitterKEDISTAN on Youtube
KEDISTAN
Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.