Cet arti­cle a été rédigé suite à un volon­tari­at, au cours de l’été 2015, au sein d’une organ­i­sa­tion non gou­verne­men­tale (ONG) pro­posant une aide ali­men­taire aux réfugiés syriens dans la région de Şan­lıur­fa en Turquie, région frontal­ière avec la Syrie, et pro­pose une inter­ro­ga­tion sur la nature de ce type d’aide et leurs effets sur les pop­u­la­tions concernées.


Réflexions sur la mise en place de programmes d’aide d’urgence
à la frontière turco-syrienne

Par Clé­ment Sébille

Composition des employés des organisations humanitaires

La sec­tion Şan­lıur­fa de l’ONG, la plus impor­tante en ter­mes d’employés, est com­posée d’environ 80 salariés dont plus de la moitié est de citoyen­neté syri­enne. Les “béné­fi­ci­aires” – terme util­isé par les tra­vailleurs human­i­taires – étant arabo­phones, l’ONG recrute essen­tielle­ment des jeunes Syriens des deux sex­es, générale­ment diplômés ou ayant dû inter­rompre leurs études à cause du con­flit armé. Ils sont, pour la plu­part, les seuls mem­bres de leur famille ayant un revenu fixe. Dis­posant d’un cap­i­tal cul­turel con­séquent et d’une rel­a­tive prox­im­ité avec les béné­fi­ci­aires, car ils provi­en­nent des mêmes régions (Deir ez-Zor, Alep, al-Raqqah, Kobanê, Tell Abyad), ces jeunes Syriens, bien qu’essentiels dans l’ONG, sont can­ton­nés aux postes de field offi­cers, situés au bas de la hiérar­chie et rémunérés au taux le plus bas. Leur tra­vail con­siste à se ren­dre sur le ter­rain, en con­tact direct avec les béné­fi­ci­aires. Leurs pro­fils cor­re­spon­dent par­faite­ment aux exi­gences liées à leurs postes – pren­dre des déci­sions rapi­des en fonc­tion de la sit­u­a­tion sur le ter­rain, par­ler l’arabe, rédi­ger les rap­ports de mis­sion…– mais cela n’explique pas pourquoi ils ne peu­vent pré­ten­dre aux postes à plus hautes respon­s­abil­ités. En effet, la dis­tri­b­u­tion hiérar­chique au sein de l’organisation human­i­taire est très forte­ment déter­minée par la nation­al­ité de ses employés.

Deux autres caté­gories d’employés méri­tent d’être dis­tin­guées. D’une part, les citoyens turcs occu­pant des postes inter­mé­di­aires, d’ordre admin­is­tratif ou en rela­tion avec les autorités locales et nationales. Ils sont pour la plu­part jeunes, récem­ment diplômés en sci­ences sociales, droit, sci­ences poli­tiques ou ges­tion. Et d’autre part, les expa­triés, qui occu­pent les postes d’encadrement (coor­di­na­teurs, man­agers). Ces derniers provi­en­nent de dif­férentes régions du monde – essen­tielle­ment l’Europe, pour­suiv­ant des car­rières dans les réseaux human­i­taires inter­na­tionaux ; avant la Turquie, ils ont générale­ment vécu à Haïti, au Sud-Soudan, en Afghanistan, au Liban…

Il me sem­ble impor­tant de not­er qu’il y a une très forte mobil­ité des tra­vailleurs entre les dif­férentes ONG présentes dans les régions frontal­ières tur­co-syri­ennes (Hatay, Gaziantep, Diyarbakır, Mardin) mais aus­si au sein des dif­férentes sec­tions d’une même ONG. Ain­si les réseaux de social­i­sa­tion, en dehors du temps de tra­vail, intè­grent des tra­vailleurs de toutes les ONG qui sont sur place (hormis les ONG musul­manes). En tant que tra­vailleur human­i­taire on se con­naît, on passe beau­coup de temps ensem­ble, on habite ensem­ble. En d’autres ter­mes, leur inté­gra­tion à la ville est forte­ment segmentée.

Contexte local : la ville d’Akçakale

Lors de mon volon­tari­at, j’étais mem­bre de l’équipe chargée d’un pro­gramme d’aide ali­men­taire dans la ville d’Akçakale, ville géo­graphique­ment coupée par la fron­tière. Son équiv­a­lent du côté syrien est Tell Abyad. S’il s’agit bien de deux villes dis­tinctes séparées par une fron­tière éta­tique, elles for­ment depuis longtemps une même unité géo­graphique, sociale et économique. Cette fron­tière, qui existe depuis la créa­tion de l’État turc en 1923, était tra­ver­sée quo­ti­di­en­nement par les locaux à des fins com­mer­ciales ou famil­iales. Il est impor­tant de pré­cis­er que les familles sont générale­ment nom­breuses, comp­tant beau­coup d’enfants – la taille moyenne des familles béné­fi­ci­aires du pro­gramme était de 5,2 – et que la notion de famille est plus large qu’elle peut l’être dans les pays d’Europe de l’ouest.

La ville d’Akçakale est offi­cielle­ment habitée par 100 000 citoyens turcs, aux­quels il faut aujourd’hui ajouter 100 000 citoyens syriens. Les familles syri­ennes qui y habitent sont pour cer­taines hébergées par des familles turques, qui, par ailleurs, sont par­fois appar­en­tées. La grande majorité habite des maisons, ou de petits immeubles, dont la con­struc­tion n’est pas tou­jours achevée. Il s’agit donc de loge­ments pré­caires faits de quelques murs de parpaings en béton avec par­fois une bâche ten­due en guise de toit. Un camp (surpe­u­plé) d’une capac­ité d’accueil de 28 000 places a été instal­lé à la sor­tie de la ville. Pour des raisons de con­fi­den­tial­ité et de sécu­rité, il m’a été dif­fi­cile de savoir com­bi­en de per­son­nes habitent réelle­ment ce camp. En face de celui-ci, un camp illé­gal est occupé par des familles espérant inté­gr­er le camp offi­ciel. Cepen­dant, l’AFAD [Afet ve Acil Duru­mu Yöne­ti­mi Başkan­lığı – min­istère de ges­tion des Cat­a­stro­phes et Urgences], l’autorité turque de ges­tion des réfugiés insiste pour les loger dans d’autres camps, ce qu’ils refusent, surtout lorsqu’il s’agit du camp de Suruç (géré par AFAD), le plus grand de Turquie, ayant peu de rési­dents, mais à pop­u­la­tion kurde.

Le fait que la ville soit sur le ter­ri­toire turc la dis­tingue évidem­ment de Tell Abyad par sa « dis­tance » et sa rel­a­tive sécu­rité face au con­flit qui sévit de l’autre côté de la fron­tière. Tell Abyad, prise dans un pre­mier temps par l’État Islamique, est main­tenant sous con­trôle des forces armées kur­des. Cepen­dant, au niveau iden­ti­taire, Akçakale ne se définit pas par son appar­te­nance à la Turquie mais plutôt comme une ville arabe. On est donc syrien ou turc, mais on est surtout arabe et les Kur­des ne sont pas les bien­venus. En témoignent plusieurs actes de vio­lence envers des Kur­des, rai­son pour laque­lle les ONG n’envoient pas leurs employés kur­des dans cette ville, qu’ils soient syriens ou turcs.

Les effets inhérents des emergency programs

Les activ­ités des ONG se dis­tinguent selon deux caté­gories : la pre­mière est celle des pro­grammes de développe­ment (devel­op­ment pro­gram), s’étalant générale­ment sur plusieurs années, la sec­onde est celle des pro­grammes d’urgence (emer­gency pro­gram). Ces derniers sont beau­coup plus courts (quelques mois) et con­cer­nent générale­ment des régions sin­istrées par la guerre ou des cat­a­stro­phes naturelles. Ce type de pro­gramme se focalise essen­tielle­ment sur la pour­suite d’un objec­tif unique lié aux besoins primaires.

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Camp de réfugiés de Suruç (avant/après)

À la fron­tière tur­co-syri­enne, la qua­si-total­ité des pro­grammes pro­posés par les ONG présentes se situent dans la caté­gorie « urgence ». Hormis quelques-uns liés à l’éducation des enfants ou à la sen­si­bil­i­sa­tion des par­ents aux principes de nutri­tion, les pro­grammes relèvent de l’aide médi­cale, matérielle et alimentaire.

Durant l’été, j’ai inté­gré une équipe chargée d’un pro­gramme d’aide ali­men­taire (food secu­ri­ty) à des­ti­na­tion des familles syri­ennes les plus dému­nies d’Akçakale où de nom­breuses ONG pro­posent des pro­grammes sim­i­laires de courte durée (env­i­ron 6 mois) qui sont générale­ment renou­ve­lables puisque la néces­sité d’assurer la sécu­rité ali­men­taire des béné­fi­ci­aires per­dure. Cette sit­u­a­tion d’urgence per­met non seule­ment de sol­liciter une pro­lon­ga­tion de la durée du pro­gramme auprès du bailleur de fonds mais a pour effet que de nom­breux effets du pro­gramme se voient occultés, ou plutôt nég­ligés, par les tra­vailleurs human­i­taires. Tout est jus­ti­fi­able tant que cela per­met de se rap­procher de l’objectif unique. Dès lors, le tra­vail human­i­taire ne con­siste pas en une réflex­ion sur la sit­u­a­tion sociale des béné­fi­ci­aires mais se borne à rem­plir les objec­tifs défi­nis par le pro­jet. Dans notre cas, assur­er la sécu­rité ali­men­taire des familles syri­ennes ne pou­vant assur­er par elles-mêmes la sat­is­fac­tion de ce besoin primaire.

Intéres­sons-nous main­tenant aux dif­férentes étapes de mise en place du pro­gramme, pour en relever les effets, autres que ceux liés à l’aide ali­men­taire. La pre­mière étape con­siste en la sélec­tion des super­marchés qui par­ticiper­ont au pro­gramme. Amen­er de la nour­ri­t­ure jusqu’à Akçakale néces­site une logis­tique impor­tante que la col­lab­o­ra­tion des pro­prié­taires des super­marchés déjà présents per­met de sim­pli­fi­er. Ceux-ci s’engagent à accepter les e‑voucher (porte-mon­naie élec­tron­iques recharge­ables) remis aux Syriens et à s’équiper d’un lecteur de carte spé­ci­fique, fourni par des multi­na­tionales (Tick­et Restau­rant, Mas­ter­card) ou des ban­ques telles Ziraat Bankası. Les cartes à puce ont récem­ment sup­plan­té les coupons papi­er car elles per­me­t­tent la con­sti­tu­tion de bases de don­nées de l’utilisation qui en est faite par les béné­fi­ci­aires. Ces don­nées ser­vent ensuite à prou­ver l’efficacité du pro­gramme auprès du bailleur de fonds. Ce ser­vice a un coût pour les ONG qui avoi­sine les 10 % du mon­tant ver­sé aux bénéficiaires.

Il n’est pas dif­fi­cile de con­va­in­cre les pro­prié­taires des super­marchés de par­ticiper au pro­gramme pour qui cela représente une forte aug­men­ta­tion de leur clien­tèle. Sup­posant qu’il y ait 3000 familles béné­fi­ci­aires, cela représente env­i­ron 15 000 bouch­es sup­plé­men­taires qui vien­nent s’approvisionner dans le super­marché. À Akçakale, cer­tains bakkal (petits com­merces de prox­im­ité) appar­ti­en­nent aux familles qui les exploitent, mais ces bou­tiques, trop petites, ne sat­is­font pas aux critères des ONG (éti­que­tage, var­iété et quan­tité des pro­duits…). Quant aux super­marchés éli­gi­bles, ils sont la pro­priété d’un notable de la région, un homme influ­ent et armé, qui n’hésite pas à user de son pou­voir pour influ­encer les déci­sions des ONG. C’est quelqu’un qu’il ne faut pas con­trari­er, mais flat­ter pour réus­sir à l’amadouer. Faire affaire avec lui per­met d’atteindre les objec­tifs du pro­gramme. En plus des trois super­marchés con­ven­tion­nés d’Akçakale, il a obtenu auprès de l’UNHCR et de l’État turc la ges­tion du super­marché situé à l’intérieur du camp d’Akçakale.

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La col­lab­o­ra­tion avec les nota­bles locaux est économique tout autant que poli­tique. Pour béné­fici­er de l’aide, les familles doivent s’enregistrer préal­able­ment auprès de l’ONG. Le prob­lème prin­ci­pal est donc de les informer de l’existence des pro­grammes et des modal­ités d’attribution. La com­mu­ni­ca­tion se fait par l’intermédiaire du muhtar, un élu local tra­di­tion­nelle­ment proche de la pop­u­la­tion. C’est lui qui, con­nais­sant le quarti­er et les Syriens dans le besoin qui y vivent, sait le mieux com­ment et à qui trans­met­tre l’information. L’apparition d’ONG dans la région a con­sid­érable­ment ren­for­cé le pou­voir des muhtar, car leur influ­ence s’étend désor­mais sur les citoyens syriens en plus des citoyens turcs. D’autre part, ils se retrou­vent en posi­tion d’intermédiaires entre des organ­i­sa­tions human­i­taires et leur mahalle (quarti­er). Ce nou­veau rôle les amène à jouer de leur pou­voir vis-à-vis des ONG et des ressor­tis­sants syriens. C’est ain­si qu’ils invi­tent les employés des ONG à manger ou boire du thé, leur indi­quant qu’il faut aider telle famille plutôt que telle autre. Les familles syri­ennes ont donc intérêt à rester en bon terme avec leur muhtar si elles souhait­ent béné­fici­er des pro­grammes d’aide. Les agisse­ments des muhtar ne sont pas néces­saire­ment mal­in­ten­tion­nés et sont par­fois même béné­fiques – leur très bonne con­nais­sance de quarti­er et des habi­tants font d’eux la meilleure source d’informations rel­a­tives aux nou­veaux arrivants – mais il est cer­tain que cette soudaine redis­tri­b­u­tion des pou­voirs en leur faveur entraîne de nou­velles dynamiques au sein des dif­férents réseaux dans la ville d’Akçakale dont les effets ne sont ni con­trôlables ni contrôlés.

Une fois le pro­gramme engagé pour une péri­ode de 6 mois renou­ve­lable, c’est-à-dire une fois que les con­trats avec les super­marchés ont été signés et que les e‑vouchers ont été dis­tribués aux familles béné­fi­ci­aires, l’essentiel du temps de tra­vail des employés de l’ONG con­siste en la sur­veil­lance (mon­i­tor­ing) des béné­fi­ci­aires et des super­marchés. Il peut arriv­er qu’un e‑voucher soit annulé lorsqu’on s’aperçoit qu’une famille est hors des critères d’attribution de l’aide. Cer­taines familles pou­vant sub­venir à leurs besoins ali­men­taires s’en pré­ten­dent inca­pables pour com­pléter leurs revenus.

Il peut égale­ment arriv­er que les super­marchés cherchent à max­imiser le gain que leur appor­tent ces nou­veaux clients en appli­quant des prix dif­férents de ceux indiqués dans les rayons ou encore en pro­posant des pro­duits périmés, ou dont le con­tenu a été rem­placé par un autre de valeur/qualité inférieure. Les plaintes étant nom­breuses, les field offi­cers con­sacrent une journée par semaine à véri­fi­er et à con­trôler ce qu’il se passe dans les super­marchés con­ven­tion­nés. On observe égale­ment un marché par­al­lèle de pro­duits ali­men­taires et d’e‑voucher. Pour­suiv­re la liste des pos­si­bles com­porte­ments oppor­tunistes de cha­cun n’a pas de sens et ris­querait de jeter l’opprobre sur l’ensemble de l’opération. Ce qu’il est impor­tant de not­er, c’est que la nature de l’aide crée une rela­tion de clien­télisme entre les dif­férents acteurs impliqués. Ce phénomène n’est pas nou­veau et s’observe au sein de nom­breuses insti­tu­tions (demande d’asile, allo­ca­tions de chô­mage…). Le com­porte­ment des béné­fi­ci­aires devant l’organisation doit ain­si être con­sid­érée, en amont de tout juge­ment moral, comme une adap­ta­tion aux attentes sup­posées des tra­vailleurs human­i­taires, comme une mise en con­for­mité avec l’image du « mis­éreux ». La façade per­son­nelle est ain­si con­stru­ite en fonc­tion des attentes des ONG. Cette sit­u­a­tion, accen­tuée par le fait que les fonds ne sont jamais suff­isants, amène les employés des ONG à con­sid­ér­er chaque famille comme pos­si­ble­ment oppor­tuniste et donc à con­sacr­er une par­tie impor­tante de son temps à la véri­fi­ca­tion des dires des béné­fi­ci­aires. Pour ces familles, atten­tion de ne pas être vues avec une voiture neuve, des bijoux en or, ou un loge­ment correct…

Conclusion : remise en question du caractère émancipateur de l’aide

syriensLe pro­gramme de sécu­rité ali­men­taire (food secu­ri­ty) apporte un sou­tien direct incon­testable à des familles syri­ennes dans la ville d’Akçakale. Cepen­dant, une lec­ture plus large nous amène à nous inter­roger sur l’effet éman­ci­pa­teur de ces pro­grammes d’aide. La rela­tion ver­ti­cale entre organ­i­sa­tion human­i­taire et béné­fi­ci­aires crée une rela­tion de clien­télisme entre les deux par­ties et induit poten­tielle­ment des com­porte­ments oppor­tunistes. Toutes les familles syri­ennes ne pou­vant béné­fici­er des aides (car les fonds ne sont pas suff­isants), cha­cune a intérêt de ne pas être celle qui sera écartée du programme.

Au sein de cette rela­tion de pou­voir ver­ti­cal s’insèrent d’autres acteurs locaux dont la col­lab­o­ra­tion est néces­saire pour attein­dre l’Objectif Unique dans le temps impar­ti au pro­gramme d’urgence (emer­gency pro­gram). Il ne s’agit donc plus d’une sim­ple rela­tion de pou­voir bipo­laire entre ONG et béné­fi­ci­aires mais d’un réseau d’acteurs human­i­taires, poli­tiques, économiques et civils dis­posant cha­cun d’un pou­voir rel­a­tive­ment impor­tant. Par exem­ple, le mono­pole économique détenu par cer­tains busi­ness­men locaux et le rôle des muhtar dans la société turque en font des acteurs clés. En plus des tâch­es directe­ment liées à l’aide ali­men­taire, les ONG con­sacrent une par­tie impor­tante du temps de leurs employés à la sur­veil­lance des béné­fi­ci­aires et la ges­tion des rela­tions de pou­voir avec les dif­férents acteurs locaux.

Les rela­tions de pou­voir sont inévita­bles dans une société. Si on ne peut les sup­primer, il est impor­tant d’en tenir en compte et de ten­ter de les agencer. Cela implique une par­tic­i­pa­tion de cha­cun des acteurs à chaque étape de la réal­i­sa­tion du pro­jet et donc des canaux de com­mu­ni­ca­tion entre ces derniers. Cela implique aus­si de ne pas con­sid­ér­er les familles syri­ennes comme plusieurs unités dans le besoin mais comme un groupe vivant dans une même local­ité et capa­ble d’organisation. Cela impli­querait égale­ment l’inclusion des dif­férents acteurs de mou­ve­ments soci­aux présents sur le ter­rain. Bien sûr cela rompt avec une con­cep­tion de l’aide human­i­taire d’urgence qui applique des pro­grammes d’aide sans inté­gr­er la société civile locale dans la pré­pa­ra­tion et mise en place des projets.

Peut-être même cela invite-t-il à inter­roger le principe d’urgence. Ces familles syri­ennes, bien que ne pou­vant pas pré­ten­dre actuelle­ment à l’asile poli­tique en Turquie, sont instal­lées depuis plusieurs années dans le pays. Elles se dépla­cent beau­coup au sein du ter­ri­toire turc et notam­ment, le long de la fron­tière. Des pro­grammes d’aides plus inclusifs nous per­me­t­traient d’imaginer une par­tic­i­pa­tion éman­ci­patrice des familles syri­ennes au sein de leurs lieux de rési­dence, même si celui-ci est tem­po­raire. La réponse de l’État français– ain­si que des grandes puis­sances mil­i­taires inter­na­tionales – aux atten­tats du 13 novem­bre à Paris ne laisse pas présager une fin prochaine des com­bats en Syrie. La sit­u­a­tion d’« urgence » per­met de légitimer la non-inclu­sion des pre­miers concernés.


Clé­ment Sebille à réal­isé un stage en immer­sion pour son mémoire en anthro­polo­gie à Istan­bul. Il s’est intéressé aux ado­les­cents migrants sans par­ents à Istan­bul et plus par­ti­c­ulière­ment à l’usage qu’ils ont du dis­posi­tif d’aide pour mineurs étrangers de l’État turc. C’est dans ce con­texte qu’il a col­laboré avec l’ IFEA. Suite à sa par­tic­i­pa­tion en tant que volon­taire au sein d’une ONG dans la région d ‘Urfa il a rédigé cet arti­cle, déjà paru dans l’ Obser­va­toire Urbain d’Is­tan­bul  le 21/12/2015.


Note de Kedis­tan : Ce type de réflex­ion nous paraît fon­da­men­tale à une com­préhen­sion de cette ques­tion,  dans le con­texte où les gou­verne­ments européens finan­cent l’E­tat turc pour “retenir” l’ex­ode des pop­u­la­tions syri­ennes fuyant les guerres,et qu’ils recon­stru­isent dans le même temps des murs de repli iden­ti­taires. Financer n’est pas “aider”, dans la majorité des cas.

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