Nous avions relayé l’été dernier, la cam­pagne de “fidéli­sa­tion” des muhtars, pré­posés de quartier/village, lancée par Erdo­gan en août 2015.

Lors de la pre­mière édi­tion de l’événe­ment les muhtars avaient été ini­tiés à la pra­tique de la déla­tion. (Lire Brèves de Turquie #10)

En janvier 2016 nous en sommes  à la  18ème rencontre de muhtars.

Si Kedis­tan traduit ces pro­pos tenus par Erdo­gan lors de cette ren­con­tre, c’est parce qu’ils sont illus­trants et mille fois plus par­lants que de longues analy­ses savantes, et per­me­t­tent pour­tant de sor­tir de l’im­age d’Epinal “d’Er­do­gan le ter­ri­ble” que nous ne nous pri­ons pas non plus pour repren­dre sou­vent, mais qui n’ex­plique rien sur le fond politique.

Le 6 jan­vi­er donc, Erdo­gan, Prési­dent de la République Turque,  était à la tri­bune et prononçait un long dis­cours, devant les muhtars venus au Palais, arrivés d’d’Antalya, Çanakkale, Çankırı, Deni­zli, İst­anb­ul, Kay­seri, Şan­lıur­fa, Tokat et Tra­b­zon. Mais en réal­ité, Erdo­gan s’adres­sait, “au dessus des épaules” de ses invités, et bien au delà de leurs préoc­cu­pa­tions de vil­lage… à l’in­ter­na­tion­al… C’est à dire “au Monde”.

Et comme il aime bien s’adress­er directe­ment aux concernés :
“Ôooo The Guardian, qui tu es pour par­ler comme ça, sach­es tes lim­ites !”, ou “Ô l’Eu­rope pour qui tu te prends pour te mêler de nos affaires ?” ou encore “Ôooo New York Times, c’est toi qui vas nous don­ner des leçons sur la lib­erté de presse ? »… nous titrons donc notre arti­cle “Ô monde, je te réponds”.

Opérations militaires menées avec une extrême sensibilité et attention

L’année passée, mal­gré deux élec­tions, la Turquie a réus­si à garder sa sta­bil­ité poli­tique et économique. L’organisation séparatiste a com­mencé des actions ter­ror­istes dans nos quartiers et com­munes, en prof­i­tant du flou des péri­odes élec­torales et des change­ments dans la région. Nos forces de sécu­rité inter­vi­en­nent sur les actions, avec un max­i­mum d’attention et une extrême sen­si­bil­ité afin d’éviter les dom­mages auprès de la pop­u­la­tion civile. Cela cause l’étalement des opéra­tions sur un espace de temps plus long. Afin ne pas met­tre en dan­ger nos citoyens, même un seul, nous préférons que les opéra­tions durent plus longtemps. Nous savons très bien que der­rière les jeux qui se font aujourd’hui, se trou­ve le règle­ment de comptes vieux de mille ans sur ces ter­res. Mais, peu importe ce qu’ils font, c’est en vain. Surtout que,  mal­gré les souf­frances que nous avons vécues, les injus­tices et les pertes que nous avons subies, nous sommes encore droits debouts.

L’opposition principale terroriste

Nous faisons face à une poli­tique qui au nom d’une oppo­si­tion con­tre le gou­verne­ment, le Prési­dent de République et le Pre­mier Min­istre, ne voit pas d’inconvénient à se retrou­ver dans les mêmes rangs que l’organisation terroriste.

Nous avons une oppo­si­tion prin­ci­pale qui mal­heureuse­ment voit les ter­ror­istes qui creusent des fos­sés comme des amis, et qui sou­ti­en­nent leurs actions avec des affich­es sur les pan­neaux pub­lic­i­taires. On ne peut pas exprimer une pos­ture droite en face du ter­ror­isme, en lisant, sur la tri­bune de l’Assemblée, des let­tres con­tenant de vagues extraits de répliques de séries [télévisées] et accu­sant nos forces de sécu­rités. Vous pou­vez être soit du côté de l’organisation ter­ror­iste, soit en face. Il n’y a pas de juste milieu dans cette affaire.

Des marionnettes

Ces gens dont les maisons sont brûlées, dont la vie est bous­culée ne sont-ils pas des Kur­des ? Le fait que ces gens, en plein hiv­er, en pleine neige, aban­don­nent leur mai­son pour par­tir vers d’autres villes, ou chez des proches, n’est-il cru­el ? L’organisation ter­ror­iste séparatiste qui fait cette cru­auté et les pos­tures poli­tiques  de ses représen­tants, ne peu­vent don­ner les comptes de cela, ni dans ce monde ni au-delà. L’organisation ter­ror­iste et à la fois le par­ti qui s’endosse à celui-ci, ne sont que des mar­i­on­nettes, trans­for­mé en jou­et des forces  qui ont des intérêts dans la région.

Le Judiciaire doit se mobiliser

En Turquie, il n’y a pas de prob­lème kurde mais un prob­lème de ter­ror­isme.  Il est impératif que l’Assemblée et le Judi­ci­aire pren­nent des mesures au sujet des députés qui se com­por­tent comme des mem­bres d’organisation terroriste.

Nous obser­vons avec con­sta­tons la sit­u­a­tion de ceux qui ont pris la route avec la reven­di­ca­tion de devenir « de Turquie » [et non pas « turc »], qui index­ent leurs exis­tences aux fos­sés, qui sont devenus le punch­ing-ball de Qandil. Le fait de gliss­er sous la jupe de tous ceux qui nour­ris­sent une ani­mosité con­tre ce pays et cette nation, tout en abu­sant du nom de mes frères kur­des, n’est pas de la poli­tique, mais de la trahi­son. Le fait de s’at­ta­quer à tous les suc­cès, les valeurs, les pos­si­bil­ités, s’appelle “activ­ité de Cinquième colonne”. Allez aux Etats-Unis, en Angleterre, en  Alle­magne, France, Russie ou tout autre pays quel­conque et essayez de faire des pas qui men­a­cent l’intégrité du pays, vous ver­rez ce qu’il vous arrive. Dans aucun pays du monde, le fait de pren­dre la défense des organ­i­sa­tions ter­ror­istes et leurs actions ne s’appelle la poli­tique. La Turquie à ce point de vue, est un pays réelle­ment sage et même plus lax­iste que néces­saire. Nous, nous avons fait cela, mais le couteau touche l’os.

Nous relayions déjà ses pro­pos con­cer­nant dif­férentes men­aces proférées en direc­tion de secteurs de la société civile, d’in­sti­tu­tions publiques, etc…dans un arti­cle préce­dent.

Il est impératif que l’Assemblée et le Judi­ci­aire pren­nent des mesures au sujet des députés qui se com­por­tent comme des mem­bres d’organisation ter­ror­istes. Le Min­istère d’Intérieur et le Judi­ci­aire doivent égale­ment pren­dre des mesures, et je sais qu’ils ont com­mencé… au sujet des Maires qui met­tent au ser­vice des de l’organisation ter­ror­iste les pos­si­bil­ités que la Nation leur a confiées.

De plus, Il est néces­saire de faire le tri, dans ceux qui tra­vail­lent dans les insti­tu­tions publiques, en com­mençant par les uni­ver­sités, les hôpi­taux et écoles et qui pren­nent place au côté de l’organisation ter­ror­iste. Per­son­ne ne peut manger le pain de cet Etat et brandir l’épée con­tre lui. En tant que Prési­dent de la République, je ne souhaite plus être témoin des déc­la­ra­tions et des images qui blessent la con­science de notre Nation.

Ils doivent payer les frais

Je suis con­tre la dis­so­lu­tion des par­tis, je trou­ve cela inutile, ce n’est même pas la peine de réfléchir dessus. Cepen­dant, le prix du délit/crime, erreur d’un poli­tique, doit être payé non pas par son par­ti en tant qu’organisation, mais par lui en per­son­ne. Ce que le Droit ordonne de faire pour les autres mem­bres de l’organisation ter­ror­iste, il faut appli­quer les mêmes méth­odes pour ces per­son­nes. L’immunité est un priv­ilège, non pas pour devenir un rideau pour l’organisation ter­ror­iste mais pour mieux servir la nation. Nous ne devons pas emmen­er notre nation sur le point de dire “devlet başa ya kuz­gun leşe*”

* expression turque : soit l’Etat à la tête, soit corbeau sur le cadavre. Prendre tous les risques, même de la mort pour atteindre une grande victoire

Ils veulent le conflit des « mezhep* »

La sédi­tion des « mezhep ». Cela est dirigé par une intel­li­gence supérieure. C’est quoi le prob­lème ? Qu’il y ait un con­flit de « mezhep » dans le monde d’Islam, et le monde d’Islam se brise. Nous savons que la rai­son impor­tante qui se trou­ve der­rière ce qui se passe en Syrie, en Irak, au Yemen, au Liban, est la sédi­tion de « mezhep ». En Ara­bie Saou­dite 24 per­son­nes ont été con­damnées à l’exécution. En Turquie, il n’y a pas d’institution d’exécution. Mais en Ara­bie Saou­dite, il y a. Il y a en Iran, aux Etats Unis, en Russie et en Chine. Ô le monde, pourquoi tu ne par­les pas de cela ? Approu­ver ou non cette déci­sion d’exécution est un autre sujet. La déci­sion de l’Arabie Saou­dite, est, pour moi, une affaire de Droit intérieur, et la déci­sion a été prise comme telle. 46 de ceux là [les con­damnés à mort] sont des sun­nites, et sont exé­cutés pour leur lien avec Al Qai­da, et un est chiite.

* diverses branches d’une religion] secoue encore une fois le monde de l’Islam

muhtars

Le régime présidentiel est dans l’Histoire de ce Pays

Nous devons désor­mais nous débar­rass­er de le honte d’être un pays dirigé par des Con­sti­tu­tions de coups d’Etat. Là, ce qui est essen­tiel, est l’obtention de la réc­on­cil­i­a­tion sociale. Un des points qui doit être dis­cuté dans le cadre des travaux de la nou­velle Con­sti­tu­tion est le sys­tème présidentiel.

Cela vient du fait que dans les années de fon­da­tion [de la République de Turquie], nous avions le mod­èle du sys­tème français qui était déjà insuff­isant pour répon­dre aux attentes. Main­tenant, pen­dant que la France est passée à un sys­tème semi-prési­den­tiel, nous sommes embour­bés dans une men­tal­ité qui trans­forme le sys­tème par­lemen­taire en un fétiche.

Le sys­tème prési­den­tiel, peu importe com­ment on l’appelle, est une méth­ode de gou­ver­nance dont l’application de fait existe déjà dans l’Histoire de cette nation. Il y en a qui dis­ent que le sys­tème par­lemen­taire ne pro­duit pas de dic­ta­teurs. J’avais don­né récem­ment, l’exemple de Hitler. Ce qui ne con­nais­sent pas la face cachée de l’affaire, ont essayé d’attaquer ma per­son­ne. Or, ce que je dis est très sim­ple. L’Allemagne était dirigée par le sys­tème par­lemen­taire. Mais mal­gré cela, un dic­ta­teur comme Hitler est venu à la tête du pays. Moi, j’ai par­lé d’un sytème prési­den­tiel à la turque, ou à la Turquie, ils ont com­mencé à atta­quer. Nous pro­posons le sys­tème qui était aus­si la propo­si­tion de nom­breux poli­tiques, d’Özal*, paix à son âme jusqu’à Türkeş**, paix à son âme. 

* Turgut Özal, droite libérale. ANAP, parti de la Mère Patrie. PM et PR en 1989/1993.
** Alparslan Türkeş, ultranationaliste. MHP (Parti d’action nationaliste), Ex PM 1975/1980

Les héri­tiers de Türkeş sont aujourd’hui con­tre cela. [change­ment de sys­tème]. Il est une réal­ité, c’est que la Turquie a besoin de pren­dre rapi­de­ment les déci­sions et de les exé­cuter. Je suis con­va­in­cu que le sys­tème prési­den­tiel doit être conçu afin de répon­dre à ce besoin. Ceux qui dis­ent « Le Prési­dent de République ne doit pas se mêler de ceci de cela » savent tous, que c’est le sys­tème actuel qui provoque cela. Je ne suis pas un Prési­dent de République “descen­du du ciel dans un panier*”. Tout ce que j’ai fait est con­forme à la Con­sti­tu­tion et aux lois.

* Expression turque qui décrit une personne parfaite, ou respectable, ou encore privilégiée qui est apparue subitement, éventuellement par la main de Dieu]. Tout ce que j’ai fait est conforme à la Constitution et aux lois.

Con­forme à la con­sti­tu­tion”.… décidé­ment !

Un petit rap­pel tout d’abord, le Prési­dent de la République en Turquie n’est pas, de par la con­sti­tu­tion réel chef de l’exé­cu­tif. Il le devient par la force des choses lorsqu’un gou­verne­ment et un par­ti, comme l’AKP, s’empare des rênes et que le chef de ce par­ti est le Prési­dent, qui a été lui même pre­mier min­istre aupar­a­vant… et qu’il s’en­toure d’un pre­mier min­istre à sa botte, et d’une clique qu’il fait vivre. Lorsque ce même chef de par­ti et prési­dent gou­verne en s’ap­puyant sur des “corps inter­mé­di­aires”, par dessus le Par­lement, qu’ils fait fonc­tion­ner en assem­blées régulières où il dicte ses lois à venir, là, on approche d’un pou­voir pop­uliste qu’on a con­nu à d’autres péri­odes dans l’his­toire. Lorsque ces mêmes corps inter­mé­di­aires sont de pseu­dos représen­tants pop­u­laires, à la fois big­ots et com­mis­saires poli­tiques défenseurs de la morale, on pense aus­si à d’autres dis­cours anciens enflam­més devant “le peu­ple et les fidèles du parti”.

On com­prend que les kémal­istes ne veuil­lent pas rap­pel­er non plus que le grand KemalAtatürk fut ten­té par cette approche, dans l’his­toire de la République Turque (“les Paysans sont le vrai pou­voir de la Turquie avec le par­ti unique” dis­ait-il dans la péri­ode pop­uliste). Mais on sait au moins qu’ils con­nais­sent le dan­ger, tout comme les ultra nation­al­istes que Erdo­gan veut pour­tant ras­sur­er et dont il se sert des mil­i­tants comme nervis.

On sait que les par­tis d’op­po­si­tion “de gauche”, “pro-Kur­des” et bien au delà, tout comme des groupe­ments de société civile, ont une autre vision du futur et par­lent de nou­velle con­sti­tu­tion recon­nais­sant les droits des minorités et l’au­tonomie dans la République. Ils ont été évincé des débats pré­para­toires, et Erdo­gan s’ap­prête à faire “inculper” leurs dirigeants, comme il l’énonce ici.

Ce qui peut sor­tir d’une telle démarche de réforme con­sti­tu­tion­nelle dans ces con­di­tions, ne peut être qu’une supercherie “offi­cielle”, tan­dis que peu à peu s’an­cre un type de pou­voir dont les modes de fonc­tion­nement n’au­raient guère à envi­er aux années 30 en Ital­ie, ali­bi religieux en prime, “moder­nité libérale” en sus.

On a déjà les Cham­ber­lains en Europe, reste à laiss­er éclore les oeufs du reste. Et pas de Chap­lin à l’hori­zon pour que le film se ter­mine bien.

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