Au Kur­dis­tan turc, tout le monde par­le de paix, tout le monde demande la paix. Et c’est la mort qui chaque jour répond à l’ap­pel. Voici un reportage incon­tourn­able pour qui veut comprendre.

Ce reportage, réal­isé le 11 décem­bre à Amed (Diyarbakır), pub­lié ces jours ci sur le blog Ne var ne yok, apporte un éclairage sur la guerre “civile” qui se pro­file chaque jour davan­tage au Kurdistan.

La date de ce reportage importe peu. Un mois plus tard, la sit­u­a­tion a encore empiré, et ce que décrit ce “témoin poli­tique kurde” est la réal­ité quo­ti­di­enne. Il donne aus­si un éclairage sur les inten­tions du gou­verne­ment Erdo­gan, et sa stratégie militaire.

Ce sont aus­si des répons­es pré­cis­es et détail­lées sur l’au­todéfense, ain­si que sur les jeunes qui la pratiquent.

Il est pour­tant facile de com­pren­dre, à la lec­ture de ce reportage, que les “chances pour la paix” se sont encore amenuisées depuis, et qu’elles dis­paraîtront totale­ment si les Kur­des de Turquie sont aban­don­nés en “face à face” à l’international.


Guerre et paix :
entretien avec un camarade de Diyarbakır

Les choses ont beau­coup changé depuis quelques mois. Tout le monde au Kur­dis­tan réclame la paix à corps et à cris. Mais la guerre s’intensifie partout : en Syrie et en Irak, elle con­tin­ue de s’étendre, et en Turquie, l’État a recom­mencé sa sale guerre au Kur­dis­tan. Depuis deux semaines, il assiège Sur, le quarti­er his­torique de Diyarbakır… Com­ment imag­ines-tu la suite des choses ? Que va-t-il se passer ?

Pour par­ler de ce qu’il se passe actuelle­ment au Kur­dis­tan, et des change­ments à l’œuvre ces derniers mois, il est impératif de pren­dre en compte les mou­ve­ments soci­aux et poli­tiques en Turquie, en Syrie et en Irak, et de mesur­er l’impact des puis­sances inter­na­tionales sur ces réal­ités, parce que la guerre en Syrie et en Irak, et plus spé­ci­fique­ment au Roja­va, a des réper­cus­sions et des effets sur la sit­u­a­tion au Kur­dis­tan turc.

Avant les élec­tions du 7 juin 2015, il y avait un accord de paix entre l’État turc et le PKK. Cet accord a été rompu lors d’une réu­nion des MGK (Mil­li Güven­lik Kon­seyi, le Con­seil de sécu­rité) en octo­bre 2014 : l’État turc prend alors la déci­sion de repar­tir en guerre. Sauf qu’il n’a pas encore de rai­son val­able à met­tre en avant. Pour jus­ti­fi­er son choix et faire mon­ter la ten­sion, plusieurs attaques meur­trières ont donc été per­pétrées par l’État con­tre le mou­ve­ment kurde pen­dant la cam­pagne des élec­tions lég­isla­tives, mais les mil­i­tants « pro-kur­des » n’ont pas répon­du à la provocation.

Et le mas­sacre de Suruç peu de temps après le scrutin du 7 juin révèle mal­heureuse­ment la sig­ni­fi­ca­tion de la grande vic­toire du HDP avec ses 80 députés élus. 33 jeunes qui devaient amen­er des jou­ets pour Kobanê y ont en effet trou­vé la mort le 21 juil­let. Le mou­ve­ment kurde est resté ensuite suff­isam­ment fort pour con­tin­uer à réclamer la paix. Mais après ce qui s’est passé à Cey­lan­pı­nar, avec la mort de 2 policiers [tués en réponse au mas­sacre], l’État turc a enfin trou­vé le pré­texte qu’il attendait : le 24 juil­let, il décide d’attaquer le PKK à plusieurs endroits et envoie 60 avions bom­barder les posi­tions de la guéril­la dans les montagnes.

Mais la vraie ques­tion, en fait, n’est pas là. Pour le Roja­va, l’idée était de ral­li­er le can­ton de Kobanê à celui de Cizre : Tall Abyad, la ville fron­tière côté « syrien » a été reprise à Daech, et les deux can­tons ont pu ain­si être reliés. Cela coupait le pas­sage que l’État turc et l’État islamique emprun­taient pour pass­er d’un côté à l’autre. Les élites turques et le haut com­man­de­ment mil­i­taire ont rapi­de­ment pris la déci­sion con­jointe de déclar­er la guerre aux kur­des, pour éviter l’ouverture de ce fameux cor­ri­dor kurde, de Mossoul et Kirkuk jusqu’à la mer méditer­ranée. Pour les autorités turques, cela représen­tait un vrai cauchemar. Voilà la vraie rai­son de la guerre déclarée aux kurdes.

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La sec­onde rai­son, c’est que depuis le 4 avril, la liai­son est rompue avec le leader Abdul­lah Öcalan [en prison, isolé sur une île depuis 1999]. Il subit une répres­sion très dure, dans l’isolement le plus com­plet. Com­ment pour­rait-on faire la paix avec une force qui détient un de nos sym­bol­es entre ses mains ? Ce n’est pas pos­si­ble, en fait. Avec ce mou­ve­ment, les kur­des, les jeunes kur­des, dans cer­tains quartiers ou cer­taines villes, ont déclaré l’autonomie. Du coup, l’État a envoyé ses forces spé­ciales à ces endroits-là : tanks, roquettes, armes lour­des. Ils occu­pent car­ré­ment des quartiers entiers, où vivent évidem­ment des civils. Les jeunes s’opposent à cette intru­sion des forces armées dans leurs quartiers, ce à quoi l’État répond par de nom­breuses vio­lences, gardes-à-vue, assas­si­nats, vio­ls… Les jeunes dis­ent qu’ils n’en peu­vent plus, et éten­dent l’autonomie à d’autres endroits. Et quand on par­le de l’autonomie, on dit qu’elle a « neuf pieds » : l’économique, le social, le cul­turel, la san­té, l’écologie, les femmes, etc… Dans ces « neufs pieds », il y a aus­si l’autodéfense.

L’autodéfense a pris une place de pre­mier plan car l’État attaque avec des armes lour­des. Si l’État n’attaquait pas, s’il fai­sait un pas en arrière, le peu­ple s’organiserait autrement. Bien évidem­ment ce qui se passe ici est en lien direct avec ce qui se passe en Syrie et en Irak. Les améri­cains, qui ont des bases aéri­ennes en Turquie, ont autorisé l’État turc à atta­quer les posi­tions du PKK. L’ordre don­né était que l’attaque pou­vait se faire sur le PKK mais pas sur les YPG/YPJ. « Parce que nous, les améri­cains, nous tra­vail­lons avec les YPG/YPJ ». C’est la poli­tique du bâton et de la carotte. Dans le même temps où ils essayent d’affaiblir le PKK à l’est, ils ont besoin des YPG au Roja­va, donc ils main­ti­en­nent de bonnes rela­tions avec ces derniers. En réal­ité, les YPG ont besoin de l’Union Européenne, et l’Union Européenne a besoin des YPG car les YPG n’ont pas d’armée de l’air, et les autres n’ont pas de forces sur terre. Ils sont donc oblig­és de collaborer.

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Mais ce qu’on a pu voir ces derniers mois, c’est que l’État turc attaque sauvage­ment des villes, des quartiers, des régions kur­des où des civils sont présents, et face à ça, l’Occident reste silen­cieux. Et sachez-le bien : l’État turc mène ces attaques con­tre les kur­des, dans leurs pro­pres quartiers, dans leurs villes, avec une men­tal­ité sem­blable à celle de Daech. Seul le nom dif­fère. Les façons de faire sont iden­tiques. La semaine dernière, j’étais à Urfa dans un com­mis­sari­at. Une jeune femme avait été vio­lée. Les flics lui ont dit « nous sommes des mem­bres de Daech ». Une let­tre de cette femme, qu’elle a envoyée pen­dant son incar­céra­tion, racon­te ce qu’elle a vécu. La men­tal­ité de l’État turc et celle de Daech sont les mêmes. Je voudrais rajouter que le peu­ple kurde n’a cessé de réclamer la paix depuis 1993. Le PKK a demandé à huit repris­es l’accord de paix, et l’a fait de dif­férentes façons, par des man­i­fes­ta­tions, des propo­si­tions de dis­cus­sions, etc. Et ce sont ces deux dernières années, au moment pré­cisé­ment où le PKK cesse de pren­dre les armes, que l’État turc a déclaré la guerre au peu­ple kurde à cause de la con­jonc­ture actuelle.

Ces jeunes qui défend­ent les quartiers, les villes, les vil­lages, ont été con­traints de le faire. Ce ne sont pas des ter­ror­istes. Per­son­ne ne voudrait vivre nez à nez avec la mort, n’est-ce pas ? C’est sim­ple, les jeunes refusent l’entrée des forces armées dans leurs quartiers. Ils veu­lent l’arrêt des assas­si­nats, des gardes à vue, des tor­tures dans les com­mis­sari­ats, des enfer­me­ments dans les pris­ons. Mais l’État reste sourd à ces deman­des, voire fait tout pour con­tin­uer à appli­quer ces mesures. Pour toutes ces raisons, à Cizre, à Gev­er, à Nusay­bin, à Derik, à Sur, à Sil­van, à Var­to, la con­fronta­tion continue.

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Du coup on a l’impression que c’est la guerre sans que ce soit vrai­ment la guerre, ce sont des guer­res très local­isées sur une durée définie. Nous nous deman­dons si les gens sont prêts à la guerre. Nous avons vu par exem­ple qu’il y a eu une semaine de fes­ti­val suite à l’assassinat de Tahir Elçi, l’avocat de Diyabakır. Sur l’affiche, il est écrit « Quoi qu’il arrive, on veut la paix ». Est-ce que ce sont les mêmes per­son­nes qui défend­ent la paix et dans le même temps s’organisent pour la guerre. En d’autres ter­mes, si la guerre se met en route, est-ce que tout le monde suivra ?

Depuis 40 ans, ou plus pré­cisé­ment depuis les années 1990, ce peu­ple a vécu sous l’oppression de l’État. Ils ont payé beau­coup de leur « peau ». Rien que durant la décen­nie 1990, plus de 4 000 vil­lages ont été incendiés. Trois mil­lions de per­son­nes ont dû émi­gr­er vers les métrop­o­les. La guerre, elle nous a brûlés de près. Moi, par exem­ple, je n’ai pas pu vivre ma jeunesse. En rai­son des con­di­tions de guerre au quo­ti­di­en, on ne pou­vait sor­tir que le jour, c’était ennuyeux. Je par­le des années 1990. Le peu­ple kurde a vrai­ment soif de paix. Même là où la sit­u­a­tion est la plus dure, là où la répres­sion est la plus féroce, les kur­des vont quand même con­tin­uer à scan­der des slo­gans de paix. La valeur de la paix, seuls les vrais com­bat­tants en con­nais­sent le sens. Depuis 30 ans, les kur­des se bat­tent sans relâche mais suite aux évo­lu­tions de la sit­u­a­tion, les kur­des sont de nou­veau con­fron­tés à devoir faire des choix. Il y a la réal­ité de Daech, et de ses liens avec l’État turc, il n’y a pas de doute là-dessus. Pour se défendre, la Turquie a dû trou­ver une stratégie capa­ble d’arrêter l’avancée des kurdes.

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On a com­pris aus­si qu’on ne pou­vait pas s’en sor­tir avec les méth­odes de guéril­la à l’ancienne, comme l’on fait les Hizbul­lah [au Liban]. La stratégie a été de pren­dre des lieux, des ter­rains, de s’entraîner sur ces espaces, en mobil­isant les uns et les autres. Et ces organ­i­sa­tions con­tin­ueront d’évoluer. Il est vrai que la pop­u­la­tion a vécu un choc, car ils avaient à l’esprit l’exemple de Kobanê : en l’espace de quinze jours, plusieurs cen­taines de vil­lages, dont la ville prin­ci­pale, ont été vidés de leur pop­u­la­tion. 400 000 per­son­nes ont dû par­tir. La ville a été entière­ment détru­ite. Beau­coup de jeunes ont per­du la vie en défen­dant le lieu. Plus de jeunes encore ont été blessés. Le peu­ple kurde a apporté un grand sou­tien, c’est cer­tain, mais ça se pas­sait loin de chez eux. Lorsque cette guerre est entrée dans leur quarti­er, là oui, ils ont pris peur. Mais on sait aus­si qu’un grand nom­bre de per­son­nes restera et sou­tien­dra la force d’autodéfense qui est avec eux. Si les YDG‑H con­tin­u­ent de défendre tous ces quartiers, le peu­ple con­tin­uera lui aus­si de soutenir ces jeunes. Comme à Cizre, Yük­seko­va, Derik, pour ne citer qu’elles… Là où les habi­tants appor­tent leur sou­tien, l’État ne parvient pas vrai­ment à attaquer.

Sur, par exem­ple, est un lieu où il y a des com­merçants, et du coup le quarti­er est assiégé par les forces de l’ordre. L’État veut manœu­vr­er là-bas, c’est ce qui explique qu’il y ait davan­tage de con­flits. Les lieux non délais­sés par les civils sont les lieux où l’État n’arrive pas à avancer. Je pense que ces résis­tances vont se répan­dre dans toute la zone kurde et que le peu­ple va man­i­fester son soutien.

Si nous posons cette ques­tion, c’est qu’on sait bien que c’est un choix de faire la guerre, c’est dif­fi­cile et com­pliqué de choisir entre con­stru­ire paci­fique­ment son autonomie et se défendre face à la vio­lence de l’État et de Daech. Idéale­ment, on préfér­erait tous le pre­mier choix.

C’est en effet ce qu’il faudrait. Dans la péri­ode de con­struc­tion de ce mou­ve­ment d’autonomie et d’autogestion, on aurait dû pou­voir entamer ces travaux sans avoir à faire inter­venir les armes. On aurait pu s’organiser de manière pas­sive dans nos quartiers, dans nos vil­lages, dans nos villes. C’est un manque du par­ti poli­tique légal kurde, le HDP. Si on avait su bouger avec la foule des habi­tants, l’État n’aurait pas pu entr­er dans les quartiers. Comme il a con­tin­ué à opprimer et réprimer les habi­tants, les jeunes ont été oblig­és de s’armer. En réal­ité ça com­mencé il y a un an à Cizre où 8 jeunes ont été abat­tus par des mil­i­taires. Des bar­ri­cades ont été creusées. Mais avec l’arrivée du par­ti légal kurde, la stratégie des bar­ri­cades a été mise en attente. A Sil­van, par exem­ple, quand les pre­mières bar­ri­cades ont été mon­tées au mois d’août, l’État a fait marche arrière en dis­ant : « On ne vous fera aucun mal. On ne procédera à aucune garde à vue, on n’emprisonnera per­son­ne. Enlevez seule­ment ces bar­ri­cades. » Mais une fois que les jeunes ont retiré les bar­ri­cades, et qu’eux-mêmes se sont retirés de la zone de con­flit, les forces de l’ordre ont attaqué les quartiers comme des bar­bares. Ils ont brûlé les maisons, les com­merces. Ceux qu’ils ont attrapé ont été bat­tus, tor­turés, enfer­més. Là encore les jeunes ont dû repren­dre les armes.

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Vous savez qui sont ces jeunes aujourd’hui? Ce sont les jeunes qui ont per­du un par­ent ou un mem­bre de leur famille : abat­tu, tor­turé, mis en prison ou porté dis­paru par l’État. Leurs vil­lages, leurs maisons ont été incendiés. Ils ont été for­cés de migr­er vers les villes. Cette généra­tion de jeunes est le résul­tat des années charnières 1990. Ils ont gran­di avec ces his­toires. Et la vengeance ani­me leurs pensées.

Mais il y a un vrai para­doxe à Sur, comme vous avez pu en juger par vous-mêmes, une vraie guerre y est per­pétrée par l’État, alors que quand vous regardez vers l’ouest de la ville, une vie de luxe con­tin­ue tran­quille­ment son train-train. Une espèce de schiz­o­phrénie pour le peu­ple. Pourquoi cela? Pourquoi d’un côté nos jeunes per­dent la vie et de l’autre les gens con­tin­u­ent à men­er la leur tran­quille­ment, dans les bars, à sirot­er du thé ou du café.

Les gens payent fort leur com­bat, en com­prenant la valeur des jeunes qu’ils per­dent. Les gens atten­dent que la guerre arrive chez eux. En Syrie c’est pas ce qu’il s’est passé ? Ça a com­mencé d’un coup à Homs, et aujourd’hui c’est toute la Syrie qui brûle. En Irak aus­si, ça a com­mencé à Fal­lu­ja, et c’est l’Irak entier qui brûle aujourd’hui. Au Yemen pareil, ça a com­mencé à Aden, et le pays brûle aus­si. Idem en Libye. On ne peut pas savoir si au Kur­dis­tan ça sera pareil ou pas. Mais quoi qu’il arrive, ces jeunes, on ne peut pas les laiss­er tout seuls. Pas pour la guerre mais pour la paix.

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Est-ce que c’est une nou­velle stratégie, assiéger un quarti­er ou une petite ville, la couper du monde, lui faire la guerre, en faisant en sorte que le reste des habi­tants ne se sen­tent pas con­cernés par ces attaques très ciblées ?

Ça n’aurait pas dû se pass­er comme ça. Comme on l’a dit tout à l’heure, pen­dant cette péri­ode de con­struc­tion, l’autodéfense est le dernier « pied » de l’autonomie. L’autodéfense est quelque chose qui est mis en place pour des attaques qui pour­raient sur­venir en interne et non en externe. L’autonomie et l’autodéfense se font sans arme. Sauf si une attaque est per­pétrée de l’extérieur avec des armes, là oui, tu dois toi aus­si sor­tir les armes. L’autodéfense est quelque chose qui naît naturelle­ment en toute per­son­ne qui se rebelle con­tre n’importe quelle forme de pouvoir.

Et ça bien-sûr, l’État s’en rend compte et attaque son peu­ple avec vio­lence. Il veut lui faire peur. Il veut cass­er la volon­té pro­pre de cha­cun. Il veut vider les villes et les vil­lages, cass­er cette lutte, et paci­fi­er le peu­ple. Et il veut que le peu­ple se rende à lui. Il y a un tas de raisons à cela. L’État veut détru­ire le Kur­dis­tan, et la lutte de son peu­ple. Il est fou de rage que face à lui les gens aient dev­iné son inten­tion, et ses futures attaques possibles.

Et savez-vous aus­si pourquoi nous étions infor­més que l’État s’était pré­paré à nous atta­quer durant ces deux dernières années de paix ? Ils avaient pré­paré des véhicules blind­és qu’on n’avait jamais vus jusque-là. Au moins 5 mod­èles dif­férents. Ce sont des véhicules avec un sys­tème infor­ma­tique inté­gré. Les armes se trou­vent au-dessus des blind­és, les forces armées sont comme sur leur joy­stick, comme devant leur playsta­tion : ils font et con­trô­lent la guerre. Mais ce ne sont que des pré­parat­ifs, en réal­ité. On a aus­si l’impression que les forces spé­ciales qui nous com­bat­tent étaient aupar­a­vant en Syrie. Ils n’agissent pas comme les anci­ennes forces armées. Ils ont un entraîne­ment tech­nique et une bonne for­ma­tion mil­i­taire. On s’est ren­du compte que ces deux années de paix ont per­mis à la Turquie de pré­par­er un plan d’attaque pour que le peu­ple kurde se rende. Mais les jeunes sont entrés en résis­tance con­tre cette attaque.

Regardez juste si on imag­i­nait qu’à Paris, Mar­seille, Toulouse, Bor­deaux, peu importe, des gens masqués fra­cassent les portes de chez vous pen­dant que vous dormez, en hurlant, en vous insul­tant et en violant votre intim­ité. En un instant les voilà dans votre cham­bre, qu’est-ce que vous auriez ressen­ti à ce moment-là ? Nos jeunes en ce moment se bat­tent pré­cisé­ment con­tre tout ça.

Je vais par­ler de moi. Ma mère me dis­ait quand j’étais petit : « Atten­tion, si tu ne vas pas te couch­er, les mil­i­taires turcs vont venir te chercher ». C’était notre loup à nous, elle nous fai­sait peur comme ça. Est-ce que vous arrivez à com­pren­dre ce que ça sig­ni­fie ? Un matin, les mil­i­taires vien­nent dans votre vil­lage, ils rassem­blent les hommes sur la place, les insul­tent, les hum­i­lient, les frap­pent, les tor­turent… Toutes ces sales choses qu’on peut s’imaginer, ils les font. Et ensuite, ils ren­trent dans vos maisons et font ce qu’ils veu­lent. Auprès des femmes et des enfants. Et si c’était vous, qu’est-ce que vous auriez fait ? His­torique­ment, ceux avec qui la France a eu le plus de con­flits, c’est avec les Anglais. Imag­inez si l’État anglais vous avait fait ça, qu’est-ce que les français auraient pen­sé ? Ou si c’était le con­traire, qu’est-ce que les Anglais auraient pen­sé de l’État français ? Les kur­des résis­tent sim­ple­ment face à cela.

Chaque instant de la vie est devenu un moment de tor­ture pour nous. J’ai 38 ans aujourd’hui, et je ne me sens en sécu­rité que là où les forces armées ne sont pas présentes.

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