En Turquie, le muhtar, le pré­posé du vil­lage ou de quarti­er est en terme de démoc­ra­tie actuelle, l’unité la plus directe et la plus proche de la pop­u­la­tion, en rela­tion directe avec les habi­tants. Les muhtars exis­tent et admin­istrent les plus petites divi­sions admin­is­tra­tives du pays, depuis deux cents ans, et en 1944, leur rôle s’est insti­tu­tion­nal­isé, ils sont main­tenant désignés par  élec­tions et non plus  pour leur sagesse ou leur âge comme à l’an­cien temps .

Le muhtar gère l’é­tat civ­il du vil­lage ou le quarti­er. C’est la plus petite divi­sion admin­is­tra­tive en Turquie. Quand vous avec besoin d’un jus­ti­fi­catif de domi­cile, un cer­ti­fi­cat de nais­sance, ou de faire une quel­conque démarche admin­is­tra­tive, vous allez devoir son­ner la porte de votre muhtar.

Nous allons tourn­er les pro­jecteurs de Kedis­tan sur l’un d’eux. Ce n’est pas à notre ini­tia­tive, c’est le petit bon­homme qui s’est mis en avant tout seul comme un grand, et est venu s’asseoir au milieu de l’actualité avec ses ulti­ma­tums pub­liés sur sa page Face­book.

Il s’ag­it de Remzi Kan­daz, muhtar du quarti­er d’Ara­pçeşme à Gebze, com­mune de Kocaeli, et qui prend telle­ment son rôle au sérieux qu’il élar­git son champs d’ac­tion au gar­di­en­nage moral.

Remzi-Kandaz-Muhtar-erdogan

Pho­to de groupe de muhtars dont Remzi Kan­daz qui se fait remar­quer… Main dans la main avec Tayyip…

Sou­venez-vous, peu avant les élec­tions Erdo­gan avait invité les muhtars à son palais “illé­gal”. Les muhtars des qua­tre coins de Turquie, étaient venus par cen­taines, en plusieurs vagues, écouter leur grand leader mon­di­al et surtout bien not­er ses attentes.

En gros Tayyip leur demandait  fidél­ité et surtout ser­vice de “déla­tion”. (Lire Brèves de Turquie n°10). Notons que le mot muhtar pou­vant être traduit lit­térale­ment par : “autonome, indépen­dant”, l’appel du Prési­dent décon­stru­i­sait totale­ment le sens du terme et de ses fonc­tions, en invi­tant ces élus de prox­im­ité à se met­tre à son ser­vice exclusif.

Remzi a du pren­dre les souhaits de Tayyip à coeur. Les con­seils qu’il adresse à sa pop­u­la­tion, via face­book, sont plutôt du ton patri­arche fou­et­tard, qu’administratif…

1– Je ne veux pas voir les filles se balad­er sans leur tuteur dans des parcs après l’appel à la prière du soir.

2– Je ne veux pas voir de cig­a­rette dans la bouche des enfants de moins de 18 ans.

3- Le fait que les jeunes se réu­nis­sent et fassent de la foule de son dérangeante (“foule de son” ? il veut dire du bruit) en util­isant des mots argots non con­ven­ables, est con­sid­éré comme inad­mis­si­ble de ma part.

PS : Sachez que ceux qui ne respecteraient pas ce que je viens de citer, je les bat­trai jusqu’à ce que “l’âne revi­enne de l’eau” (expres­sion pour dire longtemps et fort).

Vous me con­nais­sez. Je sais aus­si bien aimer que bat­tre. Je vous le rappelle…

remzi-kandaz-facebook-ultimatum

Suite à la réac­tion provo­quée sur les réseaux, nous avons appris que Remzi Kan­daz, avait cou­ru sup­primer sa pub­li­ca­tion. Mais un peu tard. Il a ensuite ten­té quelques expli­ca­tions du style « Mais c’était une boutade » et encore voulant être plus péd­a­gogique : « Je voulais juste sen­si­bilis­er les familles à pren­dre des pré­cau­tions, à sur­veiller leurs enfants, pour ne pas regret­ter plus tard. » 

Hüs­niye Karakoyun, jour­nal­iste de l’a­gence BIA, relaie ironique­ment ces mes­sages du sage en toc sur Bianet, et ajoute :

Les mères essayent d’adoucir la fig­ure du père qui tire la tronche et qui ne sait pas aimer, « Il vous aime, mais il ne sait pas le montrer ».

La fig­ure du mari tabasseur est adoucie, par la belle mère, encore une femme, « C’est ton mari, il peut aimer, il peut taper ».

La mère défend un frère qui se mêle à ce que vous portez,  mangez ou buvez, « Les voy­ous, les voleurs, les per­vers se baladent dans les rues, ton frère te pro­tège. Il faut l’écouter. »

Celui qui sait tout, qui pro­tège la femme, c’est tou­jours l’homme.

Le truc bizarre, c’est que, ceux qui nous tuent, brû­lent, bat­tent, traî­nent par terre, en abusent, vio­lent, sont aus­si des hommes.

Nous élevons des hommes qui sont capa­bles aus­si bien de mas­sacr­er, bat­tre, que d’aimer. Nous pou­vons être fières de nous.

Dans toute la panoplie de bat­teurs-aimants il man­quait le muhtar du quarti­er. Nous faisons donc l’inauguration. Chaque chose com­mence par un éclaireur. D’autres suivront.

Alors c’est bien par­ti… Le muhtar devien­dra donc bien­tôt un com­mis­saire du Peu­ple poli­tique et bigot.

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.