Après la pub­li­ca­tion d’un arti­cle titré « Voilà les armes dont Erdo­gan nie l’existence » et d’une vidéo d’un camion du MIT (RG) rem­pli d’armes en des­ti­na­tion de Daech vers la Syrie, une plainte avait été déposée con­tre Can Dün­dar, rédac­teur en chef du quo­ti­di­en Cumhuriyet et Erdem Gül, représen­tant d’Ankara du journal.

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Tayyip Erdo­gan avait promis le 31 mai : « Il paiera le prix fort, je ne le lais­serai pas faire. » et avait attaqué les jour­nal­istes en jus­tice. « L’avocat d’Erdogan avait plaidé la prison à per­pé­tu­ité pour Can Dün­dar accusé de : « Déten­tion d’in­for­ma­tions con­cer­nant la sécu­rité de l’Etat. », « Espi­onnage poli­tique et mil­i­taire », « Divul­ga­tion d’in­for­ma­tions con­fi­den­tielles rel­e­vant du secret » ain­si que « faire de la pro­pa­gande pour une organ­i­sa­tion terroriste ».

Ces accu­sa­tions sont para­doxales. Si ces camions rem­plis d’armes étaient un « secret d’Etat », si les jour­nal­istes sont accusés d’espionnage, c’est donc la con­fir­ma­tion con­crète de l’aide d’Erdogan à Daech. C’est donc l’Etat qui devrait être jugé pour « coopéra­tion et aide à une organ­i­sa­tion ter­ror­iste ». Il y a comme une absur­dité, non ?

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Can Dün­dar et Erdem Gül, de Cumhuriyet, après leurs inter­roga­toires au bureau du Pro­cureur qui ont duré 3 heures, ont été trans­férés au Tri­bunal Pénal n°7 d’Istanbul dans l’après-midi du jeu­di 26 novembre.

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Attente du ver­dict, dans les couloirs du tribunal.

De nom­breux sou­tiens sont venus au tri­bunal, et le Pro­cureur a pronon­cé une inter­dic­tion d’accès à l’étage ou les deux jour­nal­istes étaient questionnés.

Une longue attente entre 19h50 et 21h20…

Can Dün­dar et Erdem Gül ont été mis en déten­tion par le tribunal.

Can Dün­dar a trans­mis  la sen­tence au groupe de sou­tien qui n’avait pas pu entr­er dans la salle. Le groupe a scan­dé des slo­gans « La presse libre ne peut pas être muselée ».

Can Dün­dar « Il n’y a pas de rai­son d’être triste. Ce sont, pour nous, des médailles d’honneur. Notre com­bat con­tin­uera der­rière les bar­reaux et dehors. »

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Il a annon­cé le ver­dict sur son twit­ter en un seul mot. (Nous sommes arrêtés)

Les deux jour­nal­istes ont été trans­férés à la prison de Silivri à 22h10.

Le prési­dent du Con­seil de la Presse, Pınar Türenç :
« En réal­ité, ce soir, au Tri­bunal d’Istanbul, ce n’est pas Can Dün­dar et Erdem Gül qui sont incar­cérés, mais la lib­erté d’information et le droit de s’informer du peuple. »

Le bar­reau d’avocats d’Istanbul a déclaré : « En tant que le plus gros bar­reau du monde, nous dis­ons : c’est n’im­porte quoi !»

Can Dün­dar avait reçu le prix de Média 2015 des Repor­teurs Sans Fron­tières, à Stras­bourg le 18 novem­bre dernier. Le jury avait récom­pen­sé le Cun­huriyet qui « paie le prix de son jour­nal­isme indépen­dant et courageux » dans un pays où « une répres­sion tou­jours crois­sante s’abat sur les voix cri­tiques»

Dans 180 pays de la liste de “lib­erté de presse 2015” des Repor­teurs sans Fron­tières, la Turquie tient la 149ème place.

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L’in­té­grale de la défense de Can Dündar

Je ne suis pas le pre­mier qui a écrit sur le sujet des camions du MIT. Comme vous le savez cet inci­dent a fait sur­face à par­tir d’un con­flit entre deux struc­tures [par­al­lèles]. Com­ment est-ce pos­si­ble que les gen­darmes et les agents de ren­seigne­ments d’un pays arrivent au point où ils tour­nent les armes les uns con­tre les autres ? Com­ment est-il pos­si­ble qu’un gen­darme, tire un agent par le bras, l’écrase sous ses pieds et lui prend son arme ? Com­ment est-ce pos­si­ble que le pro­cureur d’un pays entre en con­flit avec son préfet ? Ce sont les résul­tats des struc­tures d’état par­al­lèles entrées en conflit.

Les pro­cureurs ont expliqué com­ment les camions du MIT on été retrou­vés. Des pho­tos ont été pub­liées. Et nous avons obtenu les images des camions arrêtés. Le MIT a déclaré que les armes n’étaient pas trans­férées vers l’extérieur du pays mais entraient le pays. Le Pre­mier Min­istre avait déclaré que les camions trans­portaient des ali­ments et de l’aide human­i­taire. Quand le fait qu’il ne s’agissait pas de l’aide human­i­taire s’est révélé, on [gou­verne­ment] a dit que cela était des­tiné aux turkmènes.

Tuğrul Türkeş, alors prési­dent du groupe d’opposition prin­ci­pal a déclaré « Je jure savoir per­son­nelle­ment que ces camions n’allaient pas aux Turk­mènes. » Cette per­son­ne est actuelle­ment Vice-Pre­mier min­istre, je pense que si nécés­saire on peut lui deman­der son témoignage.

Nous avons obtenu les images.
L’organisation des ren­seigne­ments du pays était en train d’effectuer une opéra­tion qui ne fig­ure pas dans ses oblig­a­tions. C’est à dire, qu’elle com­met­tait un délit. Ceci est un délit aus­si bien dans le Droit Inter­na­tion­al que nation­al. Moi, je ne crois pas que les pro­grès nationaux de mon pays passent par des men­songes. Aucun délit ne peut être étouf­fé avec un cachet « secret » et l’Etat qui ment à son peu­ple ne devient pas un Etat juste.

Le devoir d’un homme d’Etat est peut être de sauver l’Etat du pétrin dans lequel il est tombé, mais je voudrais rap­pel­er qu’un jour­nal­iste n’est pas un fonc­tion­naire d’Etat. Mon devoir est d’in­specter l’Etat au nom du peu­ple, et si l’Etat fait une erreur, le gou­verne­ment s’est mouil­lé à un mau­vais coup, c’est de leur deman­der des comptes au nom du peuple.

C’est un événe­ment qui a un écho inter­na­tion­al. Un trans­fert d’armes. Les hommes d’Etat dis­ent qu’il y avait des médica­ments à l’intérieur. Quand vous cherchez les boites de médica­ments, vous trou­vez des armes. On ne con­nais pas non plus la destination.

Quelqu’un doit deman­der des comptes. Ceci peut venir d’un con­flit dans l’Etat. Ceci peut être un mani­gance inter­na­tionale. l’Etat peut armer les islamistes rad­i­caux et aucun intérêt nation­al ne peut légitimer cela.

En tant que jour­nal­iste, mon devoir est d’informer l’opinion publique. Je pense même qu’en faisant cela, nous avons sauvé l’Etat d’une très grosse erreur.

Nous avons vu aupar­a­vant à Susurluk. L’Etat peut pren­dre des chemins illé­gaux. Il peut utilis­er des coupables. Il peut com­met­tre des crimes. Il peut cacher des fautes impor­tantes dans des dossiers cachetés  « secrets », les trans­former en secret d’Etat pour essay­er de se blanchir. Nous avons été con­tre tout cela et nous avons pub­lié pour aider  l’Etat à répar­er ses erreurs.

Aujourd’hui c’est encore le cas. Mal­heureuse­ment, l’Etat se trou­ve être inter­mé­di­aire d’un com­merce de per­son­nes et d’armes auquel les sociétés inter­na­tionales réagis­sent. Ces infos ont été pub­liées dans toute la presse inter­na­tionale. Je voudrais abor­der égale­ment  la dimen­sion inter­na­tionale de cette his­toire de « secret d’Etat », ou « secret nation­al ». Ma thèse de doc­tor­at était sur ce sujet. J’ai fait des recherch­es sur les exem­ples sem­blables dans le monde.

Les plus con­nus sont le scan­dale du Water­gate et l’I­ran­gate. Aujourd’hui la pub­li­ca­tion des doc­u­ments Wik­ileaks a mis ce sujet dans l’actualité. L’essentiel reste en ceci :

L’Etat a besoin de sécu­rité. En face de cela, il se trou­ve le droit du peu­ple pour s’informer et la lib­erté d’expression des jour­nal­istes. Quand ceux la entrent en con­flit, que se passe-t-il ? 

A la base notre sujet est celui-ci. 

Moi, je pense que la lib­erté d’expression, dans cer­tains sujets passe devant le besoin de sécu­rité de l’Etat. L’Etat n’a en aucun cas, le droit de com­met­tre des crimes. Aucun motif de sécu­rité ne peut être suff­isant pour cacher le crime.

Si nous sommes arrêtés, jugés et con­damnés pour cette infor­ma­tion, ce ne serait pas du fait d’avoir dif­fusé une infor­ma­tion men­songère à l’opinion publique. Ce sera fait, parce que nous avions doc­u­men­té le fait que l’Etat avait men­ti à son peu­ple, et nous con­tin­uerons pen­dant la durée de ce procès à met­tre au vue de tous, ces men­songes, avec toutes les preuves.

Lors du Water­gate, la même chose s’est déroulée. L’Etat a essayé de cacher. Et cela s’est ter­miné par la démis­sion du Prési­dent. L’Irangate a révélé la vente d’armes des Etats Unis à l’Iran. Tous les respon­s­ables ont don­né des comptes devant le tribunal.

Wik­ileaks, a mis à la vue de tous, tous les dél­its des Etats Unis à Irak.

Ici, il n’y a aucun point sur lequel vous pou­vez m’accuser d’espionnage. Je n’ai aucun lien avec aucune organ­i­sa­tion de ren­seigne­ments, y com­pris celle de mon pays. Je n’ai aucun lien avec l’organisation ter­ror­iste de Fetul­lah, dont vous parlez.

Imag­inez un espi­on, il partage l’information qu’il a obtenu, le lende­main avec ses lecteurs. Imag­inez un espi­on, qui se trou­ve en face de vous, après 5 mois et demi de la pub­li­ca­tion de cet arti­cles, après s’être bal­adé cinq mois et demi libre et tran­quille. Moi, je pense que ce que nous avons fait était du bon journalisme.

Si c’était aujourd’hui, je le pub­lierai encore. Heureuse­ment que l’opinion publique a pris con­nais­sance de tout cela. Heureuse­ment que le Prési­dent de la République est arrivé au point de dire « Si c’est des armes, c’est des armes… et alors ? ». En dis­ant cela, il a avoué et détru­it lui même les thès­es selon lesquelles les images seraient truquées et fauss­es. Rien que cela est suff­isant pour faire tomber les accu­sa­tions portés à notre encontre.

Si le Prési­dent de République dit « Si c’est des armes, c’est des armes… et alors ? », moi je dis « C’est une infor­ma­tion, et alors ? »

En plein marathon pour une “coali­tion con­tre Daech” qui s’avère devenir plus un révéla­teur de con­flits d’in­térêts qu’une réelle volon­té de réu­nir les acteurs locaux à même de définir un avenir région­al, ces arresta­tions devraient être un sig­nal d’alarme, au même titre que “l’avion russe abattu”.

Cela met au grand jour la réal­ité des ges­tic­u­la­tions mil­i­taires, alors qu’à côté le busi­ness con­tin­ue, et qu’un “parte­naire” nie l’év­i­dence, même la main prise dans le pot de confitures.

Le sou­tien à ces jour­nal­istes empris­on­nés dépasse le sim­ple sou­tien à la lib­erté d’ex­pres­sion, il est en soi une dénon­ci­a­tion d’une réal-poli­tique inter­na­tionale, empêtrée dans les intérêts par­ti­c­uliers, les impéri­al­ismes agres­sifs et guer­ri­ers, les alliances con­tre nature, entre la Turquie, L’I­ran, Le Golfe et Bachar… Les Peu­ples de la région ont tout à per­dre dans ces com­bines et secrets d’E­tat, comme plus large­ment les pop­u­la­tions arabes ou européennes ont tout à red­outer d’un champ plus libre encore don­né à l’ex­por­ta­tion du ter­ror­isme de Daech qui ne manque pas d’en jouer.

Signez, faites sign­er la péti­tion pour leur libération

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Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.