La belle coalition internationale contre Daech vient aujourd’hui de subir un tir après sommation de la part d’un membre de l’Otan.
Erdogan a autorisé ses forces militaires à abattre un avion russe.
Il a raté de peu son opposant Demirtaş, leader de l’opposition démocratique, il y a quelques jours, fallait bien qu’il se rattrape.
Ce n’est pas faute d’avoir prévenu, disent les « autorités turques ».
Tout le monde vous dira qu’Erdogan est assez mécontent depuis quelques mois des « cibles » choisies par Poutine en Syrie qui se trouvent être la mouvance très composite, réunissant de bric et de broc des combattants anti Bachar plutôt Sunnites, religieux, anti kurdes et parfois transfuges de l’armée libre avec armes et bagages. Ces chouchous d’Erdogan jouent la carte de la division de l’opposition syrienne, en même temps qu’ils restent alliés de la Turquie et utiles pour ses intérêts en Syrie. Il y a dans leurs rangs des “djihadistes” que Bachar avait lui même relâché contre son opposition il y a quelques années, pour simplifier les choses.
La Russie joue sa carte militaire et géostratégique, elle aussi, dans l’immédiat passant par Bachar. Mais elle a désormais également un contentieux avec Daech, suite à l’attentat en Egypte.
Ce rappel, pour simplement montrer que la coalition contre Daech est en réalité un prisme d’intérêts très divergents entre puissances internationales, régionales et/ou locales.
Pour continuer à enfoncer des portes ouvertes, comme l’est la frontière turque, rappelons quelques faits antérieurs.
En dehors d’avertissements multiples formulés par différentes autorités turques, y compris Erdogan en personne, adressés à la Russie (investisseur intérieur pourtant important) sur la « violation de l’espace aérien », le même Erdogan avait menacé contre les livraisons d’armes aux YPG, interdit l’offensive qui aurait permis de définitivement couper la frontière entre Daech et la Turquie.
Les forces turques ont également bombardé des positions de combattants anti Daech, Kurdes en l’occurrence, à plusieurs reprises depuis plusieurs mois.
Toutes ces informations sont présentes dans toutes les chaînes d’infos du monde, s’étalent dans la presse mondiale, et ne semblent en aucune façon ébranler le jeu d’alliances. Rien en tous cas n’a semblé perturber les choses au G20 d’Antalya, même si le « projet de zone tampon » d’Erdogan reste en suspens.
Le président Hollande, déjà qualifié de « négociateur »pour une coalition, est lui aussi empêtré dans ce jeu d’alliances à géométrie variable.
Les Etats Unis font « déjà beaucoup » et vont « renforcer la coopération logistique ». L’Europe a accepté de lever l’hypothèque sur la dette des 3% temporairement et se réfugie derrière l’Otan de fait, tout en tentant de profiter de l’aubaine pour renforcer ses barrières anti migrants.
Quelle va être demain l’humeur d’un Poutine, au lendemain d’un tir au but, sur l’un de ses avions, pour recevoir un ami d’Erdogan, venu discuter d’une possible inflexion politique vis à vie du régime syrien ?
Si tout cela peut sembler d’une extrême complexité, il n’en est rien en réalité, si l’on prend soin d’écarter le rideau de fumée de « l’état de guerre ». Et si bien sûr on accepte de regarder en face le fonctionnement du capitalisme mondialisé et les guerres qu’il occasionne.
Défenseurs du système et bénéficiaires contents de l’être s’abstenir, forcément.
La réalité, même les journaleux de Bfn télé la décrivent pourtant curieusement avec des mots simples.
C’est celle du paysage d’après Bush, assumé par personne, des vols de vautours pour se partager les restes de la dépouille, de la part des puissances impérialistes et « régionales », fort embarrassées pour contenir ce qu’elles ont toutes contribué à faire naître, le cancer Daech.
Eux parlent d’intérêts de puissances, d’opposition de blocs, d’incohérences de la coalition, de financements contradictoires, comme s’il s’agissait d’un jeu de Monopoly, sans un instant désigner le système mondial qui fixe les règles du jeu.
Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que cette « guerre » par procuration, ne fait même pas l’inventaire complet de tous les contentieux historiques passés, et que durant cet inventaire, « la vente continue ».
Prise entre le business, les appétits géopolitiques des uns et des autres, les contentieux, la coalition anti Daech a peu de chances de sortir autrement que comme un jeu d’alliances entre effets d’aubaine et opportunismes. Elle se fera bien sûr contre les combattants Kurdes et l’opposition démocratique syrienne. Ne parlons même pas de ce qui n’existe plus en Irak, ni de l’opposition iranienne.
Finalement, tout le monde rejette le constat “vos guerres, nos morts”, mais en fait reprennent tous les arguments qui y aboutissent, un à un. Mais pour renforcer l’idée de la guerre.
La plaisanterie sur les “valeurs” restant à usage interne.
Le tir d’Erdogan, qui se réinvite ainsi dans le tour de négociations, et soulage indirectement Daech, met en lumière l’extrême dangerosité des jeux d’alliances mondiales actuels, via l’Otan.
Une fois de plus, l’attitude guerrière de l’un ou l’autre peut avoir des conséquences incalculables demain.
Et pour celles et ceux qui n’ont pas voulu comprendre l’importance de la Turquie dans le déroulé des choses depuis des années, il est temps peut être de sortir le parachute.
Mais dormez tranquilles, paraît que c’est pour notre « sécurité ».