Toutes les péri­odes his­toriques qu’on qual­i­fie à postéri­ori de “crise” sans que ce terme n’ex­plique réelle­ment les proces­sus de décom­po­si­tion et de recom­po­si­tions économiques, sociales, finan­cières, poli­tiques et idéologiques, ont porté des “intel­lectuels”, purs pro­duits de ces épo­ques. Des idéo­logues qu’à la hâte on qual­i­fiera d’ac­teurs des crises, alors qu’il ne se sont que les por­teurs de ce que celles ci génèrent comme expli­ca­tions et jus­ti­fi­ca­tions d’elles mêmes au moment où elles pro­duisent des effets destructeurs.

Un Zem­mour ici, pour pren­dre un des plus car­i­cat­u­raux, ne fait que con­cen­tr­er l’an­goisse iden­ti­taire d’une société “nationale” face aux “valeurs fan­tas­mées qui foutent le camp” et aux con­séquences “migra­toires” engen­drées de fait  par la mon­di­al­i­sa­tion cap­i­tal­iste et la péri­ode néo colo­nial­iste qui s’est transformée.

Plein de gros mots pour une réal­ité vécue : les impéri­al­ismes économiques et poli­tiques ont évolués, sont même en con­cur­rence hors des cadres éta­tiques et régionaux, et gèrent leurs “crises” au grand jour, avec la guerre en arrière fond. Et de ce fait, fleu­rit une abon­dante “lit­téra­ture” idéologique.

Tout cela se théorise, s’é­go­tise, et du sim­ple “spé­cial­iste” de chaîne d’in­fos en con­tinu qui a sor­ti son “300 pages” à l’in­tel­lectuel de pro­fes­sion du sérail, ça fait causer aussi.

Un exem­ple turc tout récent, juste pour l’exemple.

Il s’appelle Celal Şengör. Il est pro­fesseur de géolo­gie. Il a 60 ans. Il fait la pro­mo­tion de son dernier livre « Pourquoi New­ton n’était pas turc » et il en prend plein sur la tête sur les réseaux et dans les médias. 

Il y a de quoi !
Et nous allons en rajouter encore une couche, face à cette car­i­ca­ture élitiste.

Ce mon­sieur qui se qual­i­fie d’éli­tiste don­nait récem­ment un inter­view à Radikal et se plaig­nait du « cré­tin­isme » du peu­ple turc, qui pour lui, devrait être « dirigé par une oli­garchie ». Pour lui, le peu­ple turc est immergé dans l’ignorance car il n’y a pas d’aristocratie en Turquie.

« La sit­u­a­tion ter­ri­ble dans laque­lle la nation turque se trou­ve n’a qu’une seule cause c’est l’ignorance. Il n’y a pas d’autre rai­son. Nous sommes inca­pables de nous diriger parce que nous sommes des igno­rants. Nous ne pou­vons pas met­tre un sys­tème de san­té potable, parce que nous sommes igno­rants. Nous pen­sons que nous pou­vons vivre en dupant l’un et l’autre, parce que nous sommes igno­rants. Nous ne pou­vons pas voir vers où cela nous emmène. »

Celal, théorise l’impossibilité de se débar­rass­er de l’ignorance par la démoc­ra­tie. « Parce que le peu­ple aime élire des igno­rants comme lui. Parce qu’il com­prend seul son lan­gage. Par con­séquent il y a aus­si une haine. Mon­sieur Tayyip attise beau­coup cela. Les turcs blancs, les turcs noirs ; il s’identifie aux noirs de l’Amérique. »

Le pro­fesseur affirme qu’il ne se fâche pas con­tre Erdo­gan. A ses yeux, toute la respon­s­abil­ité repose sur le peu­ple qui vote pour lui. 

Géo­logue, il par­le aus­si des risques de trem­ble­ments de terre impor­tants qu’Istanbul, se trou­vant sur une faille, court, et inter­prète l’indifférence des stan­bouliotes face à ce risque : « Les habi­tants d’Istanbul n’ont pas peur ! Parce qu’ils sont des idiots. Ils ne le savent pas. Ils sont inca­pables de penser au lendemain. »

Celal, par­le de cer­tains de ses con­frères tel que İlb­er Ortaylı, Murat Bar­dakçı, qu’il con­sid­ère comme son “égal”. Mais pour lui, beau­coup d’autres “per­son­nal­ités” intel­lectuels ou non, ne devraient pas vot­er pour les élec­tions. Même le fait d’être un écrivain de renom­mée mon­di­ale, peut ne pas être assez pour “compter” aux yeux du Pro­fesseur “Suff­isant” : “J’ai essayé de lire Orhan Pamuk et Yaşar Kemal, je me suis ennuyé.”

Il dit être un admi­ra­teur de l’armée turque, souligne claire­ment, qu’il approu­ve totale­ment toutes les déci­sions pris­es par Kenan Evren, le décideur du coup d’Etat du 1980. Dans ses louanges à Evren et au coup d’Etat, il ne passe pas sans par­ler de Deniz Gezmiş, révo­lu­tion­naire exé­cuté en 1972 « J’ai été témoin du fait qu’on con­sid­érait un voy­ou comme Deniz Gezmiş comme un héros ! »

A pro­pos des tor­tures lors du coup d’Etat, notam­ment pour les gens ayant été for­cés à avaler leurs pro­pres excré­ments, cette car­i­ca­ture de pro­fesseur « homme d’élite qui ne s’est pas mélangé au peu­ple depuis 35 ans, et qui n’a jamais acheté du pain de sa vie » comme il dit de lui même, souligne que l’être humain n’est pas dif­férent des primates. 

Il explique qu’il avait vu, dans le Zoo de San Diego, des gorilles s’of­frir entre eux leurs excré­ments en guise de cadeau. « Ce sont des pri­mates comme nous. Faire manger ses excré­ments à quelqu’un ne peut pas être con­sid­éré comme une tor­ture. Ça peut se manger sans problème ». 

Nous l’invitons d’ailleurs chaleureuse­ment à le faire…
En ce qui nous con­cerne, nous ne sommes pas ama­teurs de la sienne.

Voilà donc un pur pro­duit qui en pointil­lé théorise la néces­sité de “pou­voirs forts et éclairés”, capa­bles à la fois de faire manger leurs merdes aux Peu­ples et de com­pren­dre que l’ igno­rance légitimis­erait les actions d’une élite qui ne saurait s’embarrasser d’une démoc­ra­tie de “pri­mates”.

Le seul reproche qu’il ferait alors à Erdo­gan, serait sans doute de céder lui même à la bigoterie.

Le pire des risques, face à ces idéolo­gies éli­tistes pseu­do cri­tiques, c’est qu’elles rejoignent un nihilisme com­plo­tiste déjà présent par ailleurs, qui tente d’ex­pli­quer l’his­toire par l’in­fan­til­isme et la bêtise des Peu­ples, et leur manip­u­la­tion plané­taire, là où il faudrait par­ler “d’al­ié­na­tion”, tou­jours dépass­able lorsque la prise de con­science d’in­térêts com­muns pousse col­lec­tive­ment à s’en débarrasser.

Gezi en fut un exemple.

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