Cette tra­duc­tion est issue des pub­li­ca­tions du jour­nal Cumhuriyet. Cette presse, qui fait l’ob­jet de men­aces et de cen­sure, parce qu’elle met sou­vent le doigt où ça fait mal, a vu son directeur récom­pen­sé la semaine dernière par “Jour­nal­istes sans fron­tières”, à la fois en sou­tien con­tre les agres­sions et men­aces dont il fut vic­time, et leur acharne­ment à met­tre en lumière la poli­tique trou­ble du gou­verne­ment AKP avec Daech à ses fron­tières. Et ce n’est pour­tant qu’un organe de presse dit “pro­gres­siste”.

C’est ce jour­nal qui pub­lia les preuves de trafics frontal­iers de camions entre la Turquie et Daech, entre autres.

Une fois de plus, c’est avec ce “témoignage”, un pavé lancé dans les fenêtres du Palais.

Rap­pelons que les atten­tats de Suruç, Diyarbakır, Ankara, qui sont attribués à Daech par le gou­verne­ment AKP dont les enquêtes com­por­tent de gros points d’in­ter­ro­ga­tions, n’ont jamais pour­tant fait l’ob­jet de “reven­di­ca­tions”. Et c’est, aux dires de la diplo­matie française, le “meilleur allié antiter­ror­iste” dans la région.

Même si ce genre de “témoignage” est à pren­dre avec pru­dence, émanant d’un “pro­fil” par­ti­c­uli­er, il recoupe cepen­dant des réal­ités qui ques­tion­nent sur le soit dis­ant “ren­seigne­ment” français, entre autres, et le tapis rouge tou­jours déroulé à la Turquie, au lende­main des mas­sacres de Paris.

İlh­an Tanır, jour­nal­iste avait ren­con­tré Said en Syrie, il y a 4 ans. Cet homme ren­con­tré à par­tir de  “solides recom­man­da­tions”, lui a servi de « fixeur », de guide et d’in­ter­mé­di­aire pour ses reportages en Syrie.

İlh­an Tanır présente Said comme un homme d’une soix­an­taine d’an­nées : « Un syrien qui a vécu de longues années dans des pays occi­den­taux. Il s’é­tait exilé à 20 ans, en 1970, n’avait pas trou­vé ce qu’il cher­chait dans les études, et avait “tra­vail­lé” pen­dant trois ans dans un autre pays européen comme légion­naire. Ensuite, il avait démé­nagé dans un troisième pays et fait du com­merce. Said, était revenu en 2011 à Antakya, en Turquie, il avait fondé une unité armée lors de la trans­for­ma­tion de la rébel­lion en com­bat armé à Al Bab, et son unité avait déclaré son attache­ment à l’Armée Libre syrienne. »

Le jour­nal­iste souligne que quand il l’avait ren­con­tré, il ne fai­sait pas le ramadan et qu’il avait de sérieux soucis avec sa foi religieuse : « A l’époque de notre ren­con­tre, il cher­chait à la fois de l’aide logis­tique et finan­cière pour son unité, et ser­vait d’intermédiaire pour les jour­nal­istes qui voulaient accéder en Syrie. Il m’avait fait entr­er en Syrie avec une jour­nal­iste améri­caine qui m’accompagnait, et nous avait accueil­li dans une mai­son d’hôte, con­ven­able­ment et en sécu­rité. Deux ans plus tard j’ai appris qu’il avait rejoint  Daech. »

daech-les-jeunesSaid, con­va­in­cu par les dirigeants était devenu le chef des ren­seigne­ments de Daech à Al Bab. Il a “tra­vail­lé” en 2014 et 2015, pen­dant 11 mois, dans cette branche très puis­sante de Daech dit-il, İlhan Tanır : « Said, comme il l’exprime, avait accep­té la propo­si­tion de Daech, à cause des soucis financiers et parce qu’il n’arrivait pas à trou­ver un groupe syrien plus influ­ant. Mais pour entamer ce tra­vail pour lequel il avait été con­va­in­cu, il a fal­lu qu’il prenne des “cours de Charia” pen­dant deux semaines. Ensuite, 8 mois plus tard, il a décidé de quit­ter l’organisation, pour mésen­tente avec les dirigeants. La mise en place de son plan de fuite  a pris des mois. Finale­ment, le mois dernier (octo­bre 2015) ils pu s’enfuir et fonder de nou­veau sa pro­pre unité. Cette unité com­bat plutôt les forces d’As­sad, mais se bat aus­si de temps en temps con­tre  Daech. Said affirme que pour cette unité, il cherche à nou­veau des fonds, et a eu pour cela des entre­tiens avec la Turquie, ain­si que plus d’un pays occi­den­tal. Said, coopère étroite­ment avec les pays occi­den­taux, et donne de l’aide logis­tique pour faciliter la fuite des sol­dats et dirigeants qui plan­i­fient de quit­ter Daech. »

A pro­pos du ser­vice de ren­seigne­ments de Daech, avec 11 mois d’expérience, Said affirme « La branche la plus forte de Daech est son ser­vice de ren­seigne­ments. Dans les régions, c’est eux qui ont le vrai pou­voir et le con­trôle. Ils sont intouch­ables, comme  por­tant une armure invis­i­ble. Les mil­i­taires et la police des villes leur obéis­sent. Ils savent tout ce qui se passe dans la ville, ils sont les yeux, les oreilles de Daech, par con­séquent leur acteur le plus fort. Ils n’ont pas seule­ment des unités qui tra­vail­lent sur la sécu­rité et les ren­seigne­ments, mais égale­ment des unités qui suiv­ent de près la com­mu­ni­ca­tion. Il investis­sent pour les ren­seigne­ments tech­niques. Même nous, nous con­sid­éri­ons tou­jours que nos ordi­na­teurs et télé­phones, nos com­mu­ni­ca­tions étaient sur­veil­lées, donc nous agis­sions en connaissance.”

Quand la cir­cu­la­tion des com­bat­tants étrangers est abor­dée : « L’Etat turc n’empêchait pas le pas­sage des com­bat­tants qui venaient de l’extérieur, par­ti­c­ulière­ment d’Europe. Que pour­rait atten­dre de plus Daech de la Turquie ? » exprime-t-il.

Said répond à la ques­tion « Pourquoi alors la Turquie voudrait bien s’entendre avec Daech ? » : « Parce qu’ils savent l’importance de Daech con­tre les Kur­des. Autrement dit, la Turquie n’a pas d’autres atouts à utilis­er con­tre les Kur­des syriens ». Le jour­nal­iste souligne que Said a une forte aver­sion envers les kur­des et qu’il dit « Les Kur­des ne pensent qu’à l’autonomie. »

İlh­an Tanır a ren­con­tré Said une nou­velle fois en octobre.

carte-turquie-gaziantep« J’ai revu Said, peu avant les élec­tions, à Gaziantep. Sur mon insis­tance, depuis des mois, lors de  dis­cus­sions via Inter­net,  il avait accep­té de don­ner son témoignage en tant que mem­bre de Daech. Nous nous sommes don­nés ren­dez-vous dans un hôtel près du Marché d’Antep. Il a tenu à ce que je dépose mon appareil pho­to et mon sac à dos à la récep­tion de l’hôtel. Nous nous sommes bal­adés pen­dant une demie heure, dans le marché et dans les rues, en par­lant de la pluie et du beau temps. Quand nous avons été sûrs de ne pas être suiv­is, nous nous sommes posés dans un café. »

Le jour­nal­iste souligne qu’il a retrou­vé un Said très dif­férent de la précé­dente ren­con­tre ; inqui­et, éteint, las, ayant pris presque 15 ans d’un coup. Lors de leur dis­cus­sion qui a duré 3 heures, il racon­te, en fumant cig­a­rette sur cigarette :

« Il a pré­ten­du que dans les régions con­trôlées par Daech, le groupe le plus impor­tant est con­sti­tué de Turcs,  suiv­is par les français. Il a dit que plus de 600 com­bat­tants français sont posi­tion­nées au Nord d’Alep, sur des points proches  l’un de l’autre et a pré­cisé que la majorité sont “d’origine d’Afrique du Nord”. »

Selon Said, le nom­bre des com­bat­tants étrangers qui ont rejoint Daech avant et après Kobanê, frôlait les milles. Il affirme qu’il n’y a aucune dif­fi­culté pour un com­bat­tant étranger pour venir jusqu’en Turquie, et ensuite accéder dans les régions con­trôlées par Daech :  Ils se sen­tent totale­ment libres, jusqu’à pren­dre l’avion d’Istanbul à Hatay ou à Gaziantep, vêtus de treil­lis de cam­ou­flage. Cela se fait devant les yeux des respon­s­ables turcs, depuis des années et qu’il est impos­si­ble que les ren­seigne­ments turcs ne sachent pas pourquoi ces jeunes d’une ving­taine d’années, en treil­lis, vont à la fron­tière syrienne.”

carte-turquie-kilisPen­dant longtemps la Turquie appli­quait, avec leur terme, « les portes ouverts pour Daech ». Mais ce n’est plus tout à fait comme avant. De plus les Kur­des ont pris Tel Abyad. Ils ne peu­vent plus utilis­er que le coté Kilis. Aus­si bien Al Nos­ra que Daech con­tin­u­ent toute­fois à faire trans­fér­er des com­bat­tants vers la Syrie, via Kilis. Il y a deux mosquées à Kilis (il ne veut pas don­ner les noms), l’une est util­isée pour ceux qui vont rejoin­dre Al Qai­da, l’autre pour Daech. Les représen­tants des deux organ­i­sa­tions se retrou­vent dans ces mosquées respectivement.”

Said exprime claire­ment qu’ils n’ont eu aucun prob­lème avec les ren­seigne­ments turcs lors de la guerre de Kobanê et il racon­te une anec­dote : « Nous accueil­lions les com­bat­tants qui pas­saient vers Kobanê, et par­fois cer­tains reve­naient pour blessures ou autre raisons. Une de ces per­son­nes, m’a mon­tré sur son télé­phone, des pho­tos pris­es pen­dant le siège de Kobanê. Les com­bat­tants mangeaient des ham­burg­ers de chez McDon­ald. Nous avons rigolé aux éclats ensem­ble, parce qu’il voy­ait lui aus­si l’absurdité de cet instan­ta­né. Quand je lui ai demandé d’où ils avaient trou­vé les ham­burg­ers McDon­ald, il m’a répon­du en riant « C’est les ren­seigne­ments turcs ». En fait, c’était même inutile de le deman­der. Il n’y a pas de McDon­ald à Kobanê, ni ailleurs en Syrie. Je peux dire que les ren­seigne­ments turcs ont fourni, pen­dant longtemps, toute sorte d’aide logistique ».

Said dit que les lead­ers des groupes de Daech se com­por­taient comme s’ils avaient un allié au Nord : « Plusieurs dirigeants ou com­bat­tants de Daech s’éloignaient par moment pour pren­dre des vacances dans dif­férentes villes turques, majori­taire­ment à Ankara et à Istan­bul. Il n’y avait rien qui empêchait ces voy­ages. En 11 mois de ser­vice je n’ai vu aucune ani­mosité des mem­bres de Daech envers la Turquie. J’ai vécu à Raqqa, à Alep, et la qua­si total­ité des vivres venaient de Turquie.”

Des mil­liers de mem­bres de Daech on été soignés gra­tu­ite­ment en Turquie pen­dant plusieurs années et régulière­ment. Ceci est une aide pré­cieuse. Pen­dant que les ambu­lances trans­portaient les blessées vers la Turquie, les barbes des blessés étaient rasées sur la route, afin d’éviter que le per­son­nel médi­cal des hôpi­taux ne com­prenne qu’il s’agissait des com­bat­tants de Daech.”

otages-moussoul-liberesSaid donne sa ver­sion des faits sur l’affaire des otages des diplo­mates et ressor­tis­sants turcs, par  Daech lors de la prise de Mossoul : « Des douzaines de mil­i­tants de Daech pris en otage par dif­férents groupes de l’armée libre syri­enne dans la Syrie du Nord, avaient été trans­férés en une seule journée vers la Turquie. Ils ont été traités avec soin, on leur a remon­té le moral en leur dis­ant qu’ils seraient libérés. Ces mil­i­tants ont été échangés plus tard, dans le cadre des négo­ci­a­tions pour la libéra­tion du per­son­nel con­sulaire turc et leur famille. » [sep­tem­bre 2014]

Il par­le égale­ment, d’une unité spé­ciale qu’il nomme « khat­i­bah », qui ne serait com­posée que de Turcs, au nom­bre de 100, 110 com­bat­tants. Il affirme que la qua­si total­ité des viendrait d’Ankara, mais ne répond pas la ques­tion de savoir s’ils vien­nent plus pré­cisé­ment de Hacıbayram, com­mune d’Ankara. Il explique que le vil­lage Abla, se trou­vant à 9 km d’Al Bab, était recon­nu comme « vil­lage turc » car il était repe­u­plé par des com­bat­tants turcs. Cette unité qui a par­ticipé à la guerre de Kobanê a vécu une lourde défaite, seul  deux ou trois com­bat­tants ont survécu. Le vil­lage turc est devenu une île déserte depuis. Depuis, les lead­ers de Daech, refusent les deman­des de con­struc­tion d’ unités ethniques.”

Le jour­nal­iste demande à Said, si les bombes humaines sont for­mées dans ses pro­pres unités. « Un jour, nous étions en entraine­ment mil­i­taire avec les sol­dats. Nous étions en réu­nion. Un dirigeant de Daech qui venait d’ailleurs et que je ne con­nais­sais pas, m’a dit qu’il voulait pos­er une ques­tion à la classe. Il a alors expliqué qu’ils avaient besoin de bombes humaines et demandé s’il y avait des volon­taires. Une per­son­ne a levé la main. Il l’ont emmenée. » Said pré­cise, que les volon­taires sont enfer­més dans des maisons ou des par­ties réservées des camps, avec des enseignants rad­i­caux, pour les tenir sous influ­ence par la pro­pa­gande, pour qu’ils ne changent pas d’avis jusqu’à l’opération suicide.

[Avant les derniers para­graphes, rap­pelons que ces entre­tiens datent d’oc­to­bre 2015 donc sont antérieurs aux atten­tats de Paris.]

A pro­pos des com­bat­tants venant d’étranger, Said explique que leur nom­bre a sen­si­ble­ment bais­sé en 2015 et  depuis qu’il a quit­té  Daech il entend dire que le flux serait encore plus faible. Il pense que suite à la pres­sion inter­na­tionale, la Turquie aurait ren­for­cé les con­trôles frontal­iers. Cepen­dant, selon Said, le ren­force­ment de la sécu­rité aux fron­tières, a provo­qué un change­ment de tac­tique chez  Daech : « Pré­parez et plan­i­fiez les attaques, là où vous êtes, le dji­had est le même dji­had ». Said exprime que les com­bat­tants étrangers qu’on voit brûler leur passe­ports dans des vidéos de pro­pa­gande, n’est que spectacle.

Said pré­cise que 2 com­bat­tants français et 2 anglais qu’il con­nait per­son­nelle­ment, ont quit­té les ter­res de Daech et sont ren­trés dans leur pays. Il souligne qu’il a envoyé des mes­sages aux autorités français­es par l’intermédiaire d’un diplo­mate afin de les en aver­tir, mais que per­son­ne n’a pris con­tact avec lui.

İlh­an Tanır, a donc repris con­tact, de nou­veau avec Said, après les atten­tats : « l’objectif de Daech était de toutes façons ce genre d’attaques. Sans aucun doute, il devien­dra plus attrac­t­if et crédi­ble pour des européens qui voudraient devenir des combattants »


Sources : les deux articles d’İlhan Tanır publiés sur le quotidien Cumhuriyet :
IŞİD eğitti Paris’e gönderdi et Kilis’teki iki cami Kaide ve IŞİD için

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