Hier soir, des Islamistes affil­iés à Daesh ont lâche­ment assas­s­iné 129 citoyens français en plein cœur de Paris. Exacte­ment comme en Turquie où, il y a peu, ils ont tué des dizaines de démoc­rates turcs dans les atten­tats de Suruç et d’Ankara. Et M. Erdoğan, prési­dent de la République de Turquie, a adressé ses con­doléances à M. François Hol­lande et au peu­ple français.

Nous nous en seri­ons passés, car ses paroles sont, pour nous, d’un cynisme indé­cent. Et ceci à plusieurs titres…

Pour­rions-nous, un instant, croire à la sincérité de ces paroles, puisque nous con­nais­sons la duplic­ité de M. Erdoğan et de l’État turc dans leurs rela­tions diplo­ma­tiques et, surtout, les activ­ités illé­gales du MIT (Ser­vices des Ren­seigne­ments Généraux turcs), appui com­préhen­sif de Daesh au Moyen Ori­ent. Faut-il rap­pel­er les tonnes de pét­role de con­tre­bande que la Turquie achète aux islamistes, les norias de camions-citernes qui emprun­tent les routes de Turquie, les trans­ferts d’armes à des­ti­na­tion des dji­hadistes, et le fait que, au vu et au su de toutes les autorités poli­tiques, judi­ci­aires et poli­cières, des mil­i­tants de l’Etat islamique se promè­nent libre­ment dans des villes turques comme Adıya­man ou Gaziantep. Inca­pable de renon­cer à son incli­na­tion à la manip­u­la­tion des faits, M. Erdoğan affirme que, je cite, “le ter­ror­isme n’a ni nation­al­ité, ni race, ni patrie”. Il s’agit là d’une mau­vaise foi sans pareille. Les tueurs de Paris ne se récla­ment ni du boud­dhisme, ni d’une autre croy­ance, mais de l’islam poli­tique rad­i­cal et de Daech auto­proclamé. Ils por­tent en eux la haine de l’Autre, peu­vent tuer froide­ment par racisme, comme les sin­istres tueurs nazis des “ein­satz­grup­pen” (Lit­térale­ment “groupes d’intervention”, unités de police poli­tique mil­i­tarisées du III ème Reich) pen­dant la deux­ième Guerre mon­di­ale. Mais depuis l’enlisement de la Turquie dans l’islam poli­tique, et après ses com­pro­mis­sions avec Daesh, M. Erdoğan ne peut pas le recon­naître, ni dénon­cer le dan­ger que cette organ­i­sa­tion ter­ror­iste représente pour le reste du monde. Seul un acte aurait pu nous con­va­in­cre de la sincérité des paroles de M. Erdoğan : l’illumination d’un édi­fice emblé­ma­tique d’Istanbul, un des ponts du Bospho­re ou la Mosquée Bleue, par exem­ple, aux couleurs de la France, comme l’ont fait spon­tané­ment d’autres pays dans leurs cap­i­tales. Mais il n’en fut rien… Nous l’avons espéré, car cela fait du bien par­fois de croire à l’impossible.

Oui, les paroles de M. Erdoğan ne peu­vent être pris­es au sérieux. Alors que des cen­taines de citoyens de Turquie ont été tués par des affidés turcs de Daesh, M. Erdoğan n’a jamais pronon­cé le moin­dre mot en hom­mage aux vic­times, ni pour partager la douleur de leurs proches, ni pour dénon­cer le ter­ror­isme islamiste. Ces con­doléances cir­con­stan­cielles ne sont donc, pour nous, que formelles, diplomatiques.

D’autre part, depuis main­tenant douze jours, des pop­u­la­tions de la région Est de l’Anatolie, sont assiégées par les mer­ce­naires du régime despo­tique que tente d’instaurer M. Erdoğan et l’AKP dont il est issu. Com­ment croire, à moins d’être benêt ou à la sol­de du Sérail, à la sincérité du mes­sage de sym­pa­thie du plus haut représen­tant d’un État qui opprime et ter­rorise ses pro­pres citoyens ?

Nous savons que les assas­sins de Daesh ont voulu tuer des Français hier soir, semer la ter­reur, mais aus­si attein­dre ce qu’ils exècrent le plus : l’ancrage his­torique de la France dans la laïc­ité. Les Islamistes ne peu­vent la sup­port­er, car toutes les affaires humaines doivent, selon leur idéolo­gie, être régies par la reli­gion. D’où leur haine du libre arbi­tre, de la lib­erté de choix de vie et de parole des per­son­nes. D’où leur détes­ta­tion du plaisir, du beau, de l’art, de la lit­téra­ture, du pro­grès, du change­ment, de la lib­erté des femmes… Est-il néces­saire de mon­tr­er, ici, les ressem­blances qu’ont ces haines avec les calamités qui obscur­cis­sent la vie de tous les démoc­rates de Turquie : intel­lectuels, artistes, comé­di­ens, jour­nal­istes empris­on­nés, tués, presse bâil­lon­née, étu­di­ants vio­len­tés, mil­i­tants démoc­rates, syn­di­cal­istes harcelés, femmes battues, vio­lées, assas­s­inées, députés d’origine kurde agressés, villes assiégées et affamées. Et com­ment ne pas être saisi d’horreur par les mes­sages de réjouis­sance que se sont échangé sur les réseaux soci­aux, hier soir, tous Islamistes turcs, après l’annonce sur les médias des atten­tats qui ont meur­tri la France ? Hélas, il en est ain­si. C’est l’ère de la nou­velle Turquie pieuse souhaitée par M. Recep Tayyip Erdoğan… C’est le règne de l’obscurantisme religieux, de l’inculture, de la vul­gar­ité, de la médi­ocrité intel­lectuelle, mais surtout d’un repli sur soi qui sent le moisi…

Ali Terzioğlu

Enseignant, traducteur, notamment de « Service militaire en Turquie et construction de la classe de sexe dominante », « Parce qu’ils sont Arméniens » de Pınar Selek, et d’autres livres respectivement d’Oğuz Atay et d’İnci Aral.
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