Moi, je voudrais aller dans le par­adis. Là-bas, il y a des oiseaux, des papil­lons, et les fleurs de toutes les couleurs sen­tent bon. Je voudrais manger là-bas, des pommes, des oranges, des bananes, des kiwis, toutes sortes de fruits. Je voudrais avoir un vélo. Je voudrais lire de beaux contes…..

Et ne je veux plus faire le méti­er de cireur de chaus­sures, plus du tout. Je veux m’asseoir et me repos­er. Là-bas, je veux m’allonger et dormir bien, je veux lire des livres. Si je finis mon école, je veux être médecin. Je veux “ren­dre” les malades guéris.

Dehors, il neige, j’ai froid.

A.G.
9 ans, élève de 3ème (équiv­a­lent CE2)
Cireur de chaussures.

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Cette let­tre fait le tour des réseaux soci­aux. Le petit qui l’a écrite n’est qu’un seul par­mi des mil­liers de cireurs de chaus­sures, des enfants de Turquie.

Ramazan Beğen en est un autre. Il vit à Mardin, il a 7 ans et pen­dant que ses copains sont sur la route de l’école, il est déjà à la recherche de clients. Ramazan explique « J’ai 4 frères et soeurs, mon père ramasse la fer­raille et moi, je cire des chaus­sures. Je ne vais pas à l’école. Je cire env­i­ron 15 chaus­sures par jour et chaque fois je gagne 1 livre turque (0,30 €). Je par­ticipe au bud­get de ma famille. » (ILKHA)

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Nous n’ou­blions pas les paroles de Mehmet Müezzi­noğlu en novem­bre 2013, alors qu’il était Min­istre de San­té du gou­verne­ment AKP en répon­dant à un enfant de 10 ans qui essayait de cir­er ses chaus­sures. Mon­sieur le min­istre, en voy­ant que le gamin por­tait ses “out­ils pro­fes­sion­nels” dans un sac en plas­tique, lui filait vite fait un bil­let de 10 livres turques (3€) en l“encourageant” : « Tu n’as pas de cof­fre toi ? Va t’en acheter un. »

Les enfants de moins 10 ans n’ont pas le droit de tra­vailler en Turquie et ceux qui les exploitent sont con­damnables par la Loi. Mal­gré cela de nom­breux enfants tra­vail­lent, comme Ramazan, sou­vent par néces­sité, afin de con­tribuer au bud­get famil­iale. Quelle que soit la réal­ité du pays, il est bien sur incon­cev­able d’entendre ce genre de paroles dans la bouche d’un Ministre.

Ces pro­pos ont été forte­ment con­testés à l’époque, par les organ­i­sa­tions de société civile de pro­tec­tion de l’en­fant et très mal reçus pour le ton méprisant, con­sid­érant le citoyen lamb­da comme mendiant.

Dans ces dernières années, les enfants réfugiés syriens ont élar­gi les rangs des enfants qui tra­vail­lent, notam­ment dans l’en­tre­tien des chaus­sures et pas que…

Les cireurs de chaus­sures ne sont qu’une par­tie des enfants qui tra­vail­lent dans les rues. Vendeurs de sim­it (pâtis­serie tra­di­tion­nelle aux sésames), celles et ceux qui font les poubelles à la recherche de métaux, papi­er, car­tons, les laveurs de pare-brise, les vendeuses et vendeurs de divers objets, comme mou­choirs, cartes postales, tick­ets de bus, crayons, bouteilles d’eau etc…

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L’enfant et la rue

Il y a une dif­férence entre l’enfant “dans la rue” et l’enfant de la rue”. Con­traire­ment aux “enfants de la rue” qui vivent 24h dehors, ceux qui sont dans la rue, sou­vent enfants de familles nom­breuses et pau­vres, majori­taire­ment d’o­rig­ine rurale, gar­dent leur envi­ron­nement famil­ial. Ils essayent de gag­n­er de l’argent pour aider à leur famille, en tra­vail­lant pen­dant les jours de con­gés et vacances, et après l’école, s’ils sont scolarisés.

Quant aux “enfants de la rue”, ils sont seuls, dans la rup­ture famil­iale ou en cours. Leur nom­bre avait com­mencé à croître à par­tir des années 90. C’est alors qu’on a com­mencé à voir, surtout dans des grandes villes, des enfants dormir dans des entrées d’immeuble, vol­er dans les com­merces etc. Ces enfants sont sans pro­tec­tion, subis­sent des agres­sions, des pas­sants ou des enfants plus âgés par­fois organ­isés en gangs. Quand ce n’est pas les drogues et pro­duits tox­iques qui détru­isent leur san­té, elle se dégrade sous l’effet du froid, de la fatigue, des mau­vais­es con­di­tions d’hygiène, et des gaz d’échappements. Dans les dernières dizaines d’an­nées des organ­i­sa­tions de société civile ont tra­vail­lé pour les aider sans per­dre de vue les chal­lenges de dés­in­tox­i­ca­tion et socialisation.

Les chiffres parlent

En 2012 l’U­nicef annonçait 35 milles enfants de 7 à 15 ans vivant dans les rues d’Ankara et d’Istanbul.

La même année SHEÇK (Insti­tut de ser­vices sociales et pro­tec­tion de l’enfant) déclarait selon les chiffres offi­ciels 42 milles enfants vivant dans la rue, et selon les esti­ma­tions, ils seraient près de 200 milles. Un délin­quant sur 5 serait un enfant. 

L’institut pré­ci­sait qu’il était dif­fi­cile de savoir pré­cisé­ment le nom­bre d’enfants dans les rues, cela étant en rap­port avec le débor­de­ment de la vie des bidonvilles vers la rue, et tirait la son­nette d’alarme sur le nom­bre d’en­fant risquant de gliss­er à la rue : par exem­ple à Istan­bul, 625 milles enfants couraient ce risque en 2012. 

Tou­jours dans la même année, dans le groupe de 0–6 ans, près de 300 enfants se trou­vaient en prison avec leur mère et 2.300 enfants dont l’âge est majori­taire­ment entre 14 et 18 étaient incarcérés. 

4,9 mil­lions d’enfants de moins de 15 ans vivaient en dessous de la lim­ite nationale de pauvreté. 

39 sur mille des bébés nés mour­raient dans la pre­mière année de leur vie. 

17% des enfants ne pou­vaient pas accéder à l’eau potable. 

En 2012 les enfants qui tra­vail­laient dans la rue avaient entre 7 et 11 ans et les 95% étaient des garçons. 

Vous avez prob­a­ble­ment déjà lu plusieurs arti­cles sur les prêch­es insis­tantes du Prési­dent de République Tayyip Erdo­gan  “pour  faire min­i­mum trois enfants “. Ce n’est pas une nou­veauté. Quant à Fat­ma Şahin, elle déclare  début 2013, alors qu’elle est Min­istre de la famille et des poli­tiques sociales, que le nom­bre d’enfants vivant à la rue qui était de 775 en 2007, est descen­du en 2012 (atten­tion ta ta ta ) à 24 ! Fat­ma détaille pré­cieuse­ment : 15 enfants seraient dans les rues d’Istanbul, 5 à Ankara et Izmir et Sam­sun n’au­raient donc cha­cun seule­ment 2 enfants. Des mas­cottes sans doute… Nous sommes per­suadés que Fat­ma a essayé de les compter elle même. Le Min­istère man­querait-il de moyens ?

Dans la même déc­la­ra­tion, Madame la Min­istre de l’époque, annonce que le nom­bre d’enfants tra­vail­lant dans les rues était en 2007 très pré­cisé­ment de 6 milles 784, et qu’en 2012, ils seraient biens moins nom­breux : 5 milles 851.

Que les mau­vais­es langues ne dis­ent pas qu’on invente des chiffres pour le fun. Jamais de la vie le petit Kedis­tan ne se moquerait des Min­istères des grands comme du palais. Ces chiffres “min­istériels” ont été pub­liés par tous les médias turcs.

 

Derniers constats

Voilà un résumé des sta­tis­tiques les plus récentes (2014) qui sor­tent des don­nées de TUIK (Insti­tut des sta­tis­tiques offi­ciel turc), du Min­istère d’Intérieur, Min­istère de la famille et les poli­tiques sociales, des recherch­es des bar­reaux, des répons­es aux ques­tions posées à l’Assemblée Nationale, des recherch­es des organ­i­sa­tions de société civile, et des uni­ver­si­taires, ain­si que des arti­cles parus dans les médias.

En un an 15 enfants ont été tués lors des vio­lences famil­iales. 20 enfants se sont sui­cidés. 59 enfants ouvri­ers sont morts dans un acci­dent du travail.

3000 enfants vivent dans la rue, 500 milles enfants y tra­vail­lent et 10 milles enfants sont exploités comme mendiants.

Le nom­bre d’enfant pau­vres dépasse les 4,5 mil­lions. Le nom­bre d’enfants ouvri­ers au tra­vail sont plus d’un mil­lion. 45% de ces derniers tra­vail­lent dans le secteur agri­cole. La moitié des enfants ouvri­ers ne peu­vent pas con­tin­uer leur scolarité.

2.550 enfants font usage des drogues.100 milles enfants de 0 à 18 ans sont accros aux drogues.

Le nom­bre d’enfants détenus et con­damnés est de 3000. Dans les 3 dernières années 250 milles enfants ont glis­sé vers la délinquance.

4,5 mil­lions enfant ne peu­vent pas aller à l’école. Dans le décompte d’un année, le nom­bre d’enfant jamais inscrits à l’école est de 75 milles.

Dans les trois dernières années :

Le nom­bre de marié(e)-enfant a dépassé les 130 milles

27 milles enfants ont été portés dis­parus en région urbaine et rurale.

500 milles enfants ont été enreg­istrés lors de démarch­es judiciaires

70 milles enfant ont subi des vio­ls et vio­lences. On con­state une aug­men­ta­tion de 400% dans ces cas. 

Le nom­bre de dossiers judi­ci­aires pour les dél­its com­mis sur un enfant, abus,  attaques et agres­sions sex­uelles  ont égale­ment aug­men­té. Con­tre 7.500 cas enreg­istrés en 2008 et 13.812 en 2009, le chiffre grimpe en 2011 jusqu’à 18.334.

Le nom­bre d’enfants exploités comme « esclave sex­uel » a atteint les 50 milles égale­ment en trois ans.


Finis­sons avec un jolie his­toire, une belle image d’espoir.

Abdul­lah Tur­can, cireur de chaus­sure à Bafra (Sam­sun) expli­quait en jan­vi­er 2015, que par manque de moyens il n’avait pas pu aller à l’école, mais qu’il s’était décidé à appren­dre à lire main­tenant. Abdal­lah a 23 ans. Il n’est jamais trop tard.

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Pho­to à la Une : Les cireurs de Tekir­dağ se réga­lent, car les mem­bres de l’AKP par­tic­i­pant à un Con­grès avec le Pre­mier Min­istre Ahmet Davu­toğlu, leur ont don­né leur ration de déje­uner… Jan­vi­er 2015.

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.