Pen­dant que la moitié de Turquie cherche à se con­sol­er en buvant un coup, faute de trin­quer pour fêter le départ de Tayyip voilà donc, qu’on nous annonce une nou­velle interdiction.

Les com­merces n’auront plus le droit de met­tre des bois­sons alcoolisées dans des paniers gar­nis prêts à offrir qu’ils proposent.

latif-demirci-panier-cadeau-sans-alcool

Dessin : Latif Demir­ci
“Panier gar­ni halal”
Le con­tenu : Pâtes, dattes, miel, ayran (bois­son tra­di­tion­nel à base de yaourt), eau de Zamzam (source sacrée à la Mecque)

La déci­sion a été pub­liée dans le jour­nal offi­ciel le 5 novem­bre. C’est parti.

Comme si on ne pou­vait pas ajouter une bouteille ultérieurement…

Bref, ça suit son chemin. Il y a déjà 7, 8 ans, les « biracı » restau­rants où on mange des moules frites en sirotant des bières com­mençaient à servir les bières sur leur ter­rass­es,  dans des ver­res à Coca en plas­tique rouge semi opaques, pour que les pas­sants ne puis­sent pas savoir d’un coup d’oeil de quoi s’abreuvaient les clients…

La loi sur l’alcool

En 2014 « Alkol Yasası » La loi sur les alcools était rapi­de­ment votée et con­fir­mée. Cette loi légiférait sur les horaires de vente, l’emplacement des étab­lisse­ment par rap­port aux écoles et mosquées, la pub­lic­ité, l’âge autorisée (18 ans), la con­som­ma­tion en plein air…. 

Mais aus­si bien les jour­nal­istes que les conci­toyens, con­stataient très rapi­de­ment que cette loi n’était pas respec­tée.  La plu­part de bureaux Tekel (vente d’alcool et de tabac) con­tin­u­aient les ventes, mal­gré les amendes risquées. Les respon­s­ables avouaient « qu’ils ne pou­vaient pas se per­me­t­tre de refuser les ventes, sinon ce seraient les trafi­quants qui leur piqueraient leurs clients » et soulig­naient que « les trafi­quants ne payent pas les tax­es, donc que si la clien­tèle change d’habitudes, l’Etat serait égale­ment perdant »

Quant à « l’interdiction de con­som­mer de l’alcool en plein air », elle était sujette à inter­pré­ta­tion ». Les pique-niques, les mariages vil­la­geois, les ter­rass­es de café sont devenus rapi­de­ment des cibles des Pré­fec­tures les plus conservatrices.

Le par­ti CHP avait util­isé un droit de refus pour cette loi en novem­bre 2014. Et la demande avait été rejetée. 

Modèle Erdogan

erdogan-trinque-avec-obama-alcoolFinale­ment sur ce sujet, le régime AKP a suivi l’Europe comme exem­ple. Mais les moti­va­tions, sont-elles les mêmes ?  « L’alcool est haram (inter­dit par la reli­gion) » ou « boire c’est immoral » ne ressem­blent pas vrai­ment à une « pro­tec­tion de la san­té » dans l’échelle de valeurs d’ Erdo­gan . On a comme des petits doutes… Surtout quand ont voit des faits divers sur des inter­dic­tions pré­fec­torales arbi­traires tra­vers­er régulière­ment l’ac­tu­al­ité. Les dirigeants AKP pour lesquels toutes celles et ceux qui ne pensent pas comme eux sont des ter­ror­istes ne man­quent pas de par­ler de l’al­cool aus­si. Vous avez dev­iné, “tout ceux qui con­som­ment l’al­cool sont des alcooliques, sauf s’ils votent pour AKP”. (Dix­it Tayyip en per­son­ne, vidéo en turc)

Dans une société divisée…

Ces pro­pos sont enten­dus et l’al­cool prend sa place dans les sujets qui divisent la société turque de plus en plus. Par exem­ple dans la soirée du 4 novem­bre à Istan­bul, dans le quarti­er de Bey­oğlu, les clients attablés sur les ter­rass­es des restau­rants et cafés près de la Tour de Gala­ta ont été attaqués par un groupe d’une cinquan­taine de per­son­nes. Selon les témoins, les fana­tiques de l’AKP, dans l’ivresse des résul­tats élec­toraux du 1er novem­bre, et se sen­tant sans doute légitimes pour “faire la loi”, étaient venus munis de bâtons, et de feux d’artifice. Le groupe avait fait irrup­tion sur la place en cri­ant « Allahu Akbar » et avait essayé de provo­quer les clients, en les trai­tant de « bâtards de Gezi » de  « çapul­cu » (van­dale en français, qual­i­fi­catif trou­vé par l’AKP pour les résis­tants, lors des man­i­fes­ta­tions du parc Gezi en juin 2013). Le groupe avait men­acé les clients : « Ici c’est la Turquie, vous ne pou­vez plus con­som­mer de l’alcool, cassez-vous d’ici.». Quelques uns qui avaient voulu tenir tête avaient été molestés.

La vidéo d’Aynur Sınırtaş publiée sur son twitter a été reprise par tous les médias, nous vous donnons le lien vers l’original mais par soucis d’affichage, nous la publions dans un autre format)

[vsw id=“u1-A5o8ldSc” source=“youtube” width=“640” height=“344” autoplay=“no”]

Ce n’est pas la pre­mière fois que cela arrive. On devrait s’at­ten­dre à d’autres inci­dents de ce type, si on écoute le polici­er qui menaçait un jour­nal­iste, pas plus tard qu’hi­er : “En Turquie, rien n’est plus comme avant. On va vous l’ap­pren­dre !”.

Jurisprudence

Tout n’est pas pour­tant en noir. De temps en temps, on aperçoit une éclair­cie… En début Octo­bre, le Con­seil d’Etat pre­nait une ultime déci­sion, sur le procès ouvert par un citoyen à l’encontre de la Pré­fec­ture d’Afyonkarahisar, qui avait mis une inter­dic­tion sur la vente et la con­som­ma­tion d’alcool en plein air. Le tri­bunal avait don­né rai­son au citoyen pour lequel cette inter­dic­tion était arbi­traire et lib­er­ti­cide, et la Pré­fec­ture était allée en cas­sa­tion. Ce dernier ver­dict fait jurispru­dence et empêchera les Pré­fec­tures de pren­dre des mesures à leur guise et selon leurs ten­dances conservatrices…

Le traffic “d’alcool frelaté”

Une com­merce d’alcool clan­des­tin fait des rav­ages depuis un moment en Turquie. En début de ce mois de novem­bre sin­istre, rien qu’à Istan­bul, en une semaine, 24 per­son­nes y ont per­du la vie, et plusieurs ont été hos­pi­tal­isées dans un état grave.

Les médias turques titrent : “per­son­nes arrêtées lors de la « cat­a­stro­phe de l’alcool “. 21 per­son­nes ont en effet été arrêtées et mis­es en garde à vue, dont 14 ont écopé de peines de prison.

Par ailleurs, à Çor­lu, com­mune de Tekir­dağ, la ville recon­nue comme pro­duc­trice des meilleurs Raki, la police a saisi plus d’une tonne de bois­sons alcoolisées clan­des­tines. Les fûts, 200 bouteilles pleines et un alam­bic étaient cachés dans le sous sol d’un immeu­ble. L’homme arrêté sur place et mis en garde à vue, a déclaré que le stock n’était pas des­tiné à la vente mais à leur pro­pre consommation. 

Annon­cé comme ça, ça fait sourire, mais si les inter­dic­tions s’élargissent et s’institutionnalisent, le com­merce  illé­gal de l’alcool risque de ressusciter.

Remar­quez, on est par­fois pas loin d’Al Capone…

Şere­finize !

Naz Oke on EmailNaz Oke on FacebookNaz Oke on Youtube
Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.