La justice turque a prononcé jeudi soir l’acquittement pour tous les accusés du « procès de Cizre », huit militaires et suppléants de l’armée poursuivis pour les exécutions extrajudiciaires de 21 détenus dans la ville de Cizre (Sud-Est) au plus fort de la guerre contre les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), entre 1993 et 1995.
Le verdict controversé met un terme à un procès de six ans perçu à son ouverture, en 2009, comme une volonté du pouvoir AKP de faire la lumière sur une des périodes les plus sombres de l’histoire turque.
La deuxième chambre d’assises d’Eskişehir –le procès a été transféré dans cette ville de l’ouest du pays pour éviter d’éventuelles tentatives de vengeance de la population de Cizre à l’encontre des accusés- a suivi les réquisitions du parquet, qui réclamait l’acquittement au motif d’une « absence de preuves indiscutables, crédibles et qui emportent la conviction », a rapporté la chaîne d’information IMC-TV.
L’ex-colonel de gendarmerie Cemal Temizöz, l’ancien chef des gardiens de village (supplétifs kurdes recrutés par l’armée turque pour lutter contre le PKK) Kamil Atağ ‑devenu maire de Cizre- et deux de ses hommes, ainsi qu’un gendarme et trois « repentis » du PKK encouraient la prison à vie pour « constitution d’une organisation à but criminel, appartenance à cette organisation, incitation au meurtre et meurtre ».
Temizöz, alors commandant de la garnison de gendarmerie de Cizre, près de la frontière irakienne, et son groupe étaient accusés d’avoir fait disparaître au moins 21 personnes placées en garde à vue entre les années 1993 et 1995. La plus jeune était âgée de 12 ans, selon l’acte d’accusation.
Lors de l’audience jeudi, les familles de victimes ont imploré la cour de condamner les accusés. « Je vous en supplie, ne les acquittez pas. Même si (mon mari) avait commis une faute, c’est en prison qu’il aurait dû aller, pas sous la terre », a lancé l’épouse d’Ömer Candoruk, citée par l’agence d’information BIA. « Puisque je ne peux plus voir mon enfant, qu’eux aussi aillent en prison et ne puissent plus voir les leurs », s’est exclamée la mère de Yahya Akman.
Le colonel Temizöz a pour sa part pris à partie les organisations de défense des droits de l’Homme, qu’il a accusé de manipuler l’opinion publique au profit des rebelles kurdes.
Les poursuites contre les huit accusés ont été engagées en 2009 à la suite d’une dénonciation par un ancien gardien de village et de l’exhumation des ossements de plusieurs victimes. Le procès, entamé dans un contexte de remise au pas de l’armée par le gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP), était alors perçu comme une étape importante dans la mise au jour des crimes commis par les forces de sécurité –en particulier par le JITEM, les services secrets de la gendarmerie- au cours des années 1990 dans leur lutte contre le PKK.
Selon la Fondation turque des droits de l’Homme (TIHV), le nombre de victimes d’exécutions extra-judiciaires dans le Sud-Est, alors placé sous état d’urgence, a atteint 31 en 1991, 362 en 1992, 467 en 1993, 423 en 1994 et 166 en 1995.
L’acquittement qui vient clore ce procès intervient quant à lui en pleine recrudescence des violences entre les forces de sécurité et le PKK, après l’arrêt en juillet de négociations de paix et un revirement du gouvernement vers une rhétorique de plus en plus nationaliste.
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