Licen­ciements et démis­sions mas­sifs dans les médias sai­sis par la jus­tice turque.

La mise au pas des médias liés à la con­frérie de Fethul­lah Gülen, le prédi­ca­teur devenu l’ennemi numéro un du prési­dent Recep Tayyip Erdoğan, se pour­suit avec des licen­ciements mas­sifs au sein du groupe Koza Ipek, récem­ment placé sous admin­is­tra­tion judi­ci­aire par la jus­tice turque.

Le nom­bre de jour­nal­istes et autre employés remer­ciés par la nou­velle direc­tion dépas­sait mer­cre­di les 60 au sein de la branche médias du groupe, selon les salariés.

« Nous avions réper­torié 58 per­son­nes, mais depuis les licen­ciements ont con­tin­ué. Aujourd’hui, nous en sommes à plus de 60 cama­rades licen­ciés », a déclaré Tarık Toros, le directeur de la pub­li­ca­tion de la chaîne Bugün TV, lui-même nou­velle­ment limogé, à l’agence indépen­dante d’information BIA.

La purge devrait se pour­suiv­re dans les prochains jours et pour­rait con­cern­er une cen­taine de per­son­nes, a estimé M. Toros, qui n’avait guère de doutes sur le sort réservé à l’entreprise : « On va assis­ter à une liq­ui­da­tion mas­sive, ils vont vider la compagnie. »

Aux licen­ciements s’ajoutent les départs volon­taires de nom­breux jour­nal­istes, peu désireux de tra­vailler sous la férule d’administrateurs judi­ci­aires dévoués au gou­verne­ment. « J’ai démis­sion­né à cause de l’incertitude qui va peser sur tous les employés –ils (la nou­velle direc­tion) peu­vent vous jeter dehors à n’importe quel moment », a indiqué l’un d’eux, Çınar Kiper, du quo­ti­di­en Bugün, inter­rogé mer­cre­di par Kedis­tan. « De toute façon, il y a beau­coup de ten­sions au bureau, ça n’aurait été une sit­u­a­tion con­fort­able pour personne. »

Le groupe Koza Ipek com­prend 22 com­pag­nies, dont deux jour­naux (Bugün et Mil­let), deux chaînes de télévi­sion (Kanaltürk et Bugün TV), une radio et trois sites inter­net. Le 26 octo­bre, le 5e tri­bunal d’instance d’Ankara a ordon­né le place­ment du groupe sous admin­is­tra­tion judi­ci­aire à la demande du min­istère pub­lic, au motif d’éviter une destruc­tion des preuves par la direc­tion sor­tante dans le cadre d’une enquête sur le finance­ment de l’organisation de Fethul­lah Gülen.

millet-bugun-les-unes-du-28-octobre-2015-2La presse d’opposition n’a pas man­qué de con­stater que les « admin­is­tra­teurs » ont, dans une large majorité, été recrutés dans les cer­cles proches du pou­voir. L’un d’eux, Ümit Önal, est ain­si l’ancien directeur de pub­lic­ité d’un autre groupe de médias, Sabah-ATV, fer de lance de la presse progouvernementale.

La police turque a pris le con­trôle de la régie des télévi­sions Bugün TV et Kanaltürk à Istan­bul le 28 octo­bre, à trois jours des élec­tions lég­isla­tives. L’intervention s’est faite en direct. Devant les caméras, les forces de l’ordre ont pénétré dans le siège des deux chaînes en dis­per­sant les salariés qui le pro­tégeaient avec des gaz lacry­mogènes et des canons à eau, selon les images retrans­mis­es en direct par Bugün TV sur son site internet.

Les jour­naux Mil­let et Bugün, ont paru le même jour avec leur nou­veau vis­age et nou­velle ligne édi­to­ri­ale : sans aucun arti­cle con­sacré à l’opposition et avec la pho­to du prési­dent en « Une ».

Fethul­lah Gülen, ancien imam, leader mys­tique de la « Com­mu­nauté », est devenu depuis 2013 l’ennemi numéro un d’Erdoğan. Pour­tant l’AKP de Recep Tayyip doit sa venue au pou­voir à l’appui de Fethul­lah et aux votes de ses ouailles, les « gülénistes », qu’Erdoğan qual­i­fie aujourd’hui d’« Etat par­al­lèle ». Surtout, les fidèles de Gülen, bien implan­tés dans l’administration judi­ci­aire et la police, ont joué un rôle clé dans les grands procès pour ten­ta­tive de coup d’Etat qui ont per­mis à par­tir de 2007 à l’AKP de met­tre au pas l’armée et l’opposition laïque-kémal­iste. Les rela­tions s’étant enven­imées, les juges et pro­cureurs gülenistes se sont retournés con­tre leur ancien allié, lançant en décem­bre 2013 une vaste opéra­tion « anti­cor­rup­tion » avec dans le col­li­ma­teur, Erdoğan, sa famille, ses min­istres et des hommes d’affaires proche de l’AKP. La décou­verte de gross­es sommes d’argent, plan­quées dans les maisons de ces derniers, cer­taines dans des « boites à chaus­sures », la révéla­tion publique des écoutes télé­phoniques entre les con­cernés, ont mar­qué les esprits. Le pou­voir AKP a depuis mul­ti­plié les purges dans les admin­is­tra­tions et les attaques con­tre la presse pro-Gülen.

Nico­las Cheviron

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