La main mise du pouvoir AKP sur les 22 sociétés de “Koza Ipek”, le groupe de presse et de médias appartenant à la “Confrérie Gülen”, est désormais officielle.
Les organisations internationales de défense de la presse et des médias dénoncent cette appropriation sans véritable procédure ni décision judiciaire, donc illégale. Les têtes de gondole européennes et américaines contestent. Les patrons “déchus” du groupe Koza Ipek appellent leurs employés à la désobéissance civile. Et la Turquie se réveille avec des Unes sur fond noir, dénonçant la ‘journée noire pour la Turquie, la démocratie, la liberté”
En effet, comme tout les médias opposants, ceux appartenant au groupe Koza Ipek, ont subi de multiples opérations d’intimidation et de menaces. Jusqu’à ce jour le pouvoir AKP procédait de deux façons. Intimidation ou achat. Les achats étaient effectués avec des montages “financiers” douteux, des sommes importantes amassées dans un pot commun havuz (piscine, pool), avec “la participation” des entreprises alliées au pouvoir. Les médias achetés et transformés en arme de propagande sont appelés en Turquie “médias de havuz”.
Comme vous pouvez constater en survolant les articles de Kedistan sur ce sujet, c’est monnaie courant en Turquie de voir les journalistes et les responsables des médias opposants trainés devant la justice, empêchés de faire leur travail, leur domicile et bureaux perquisitionnés, arrêtés et inquiétés quelque soit leur fonction, chroniqueur, rédacteur en chef, caméraman, correspondant web, jusqu’aux distributeurs… Ils sont alors accusés de “trahison à la patrie”, de “terrorisme”, au mieux d“insulte à Erdoğan”, quand ils ne sont pas physiquement attaqués dans la rue par des supporters acharnés de l’AKP.
Très récemment, sept chaines de télévision appartenant au même groupe étaient tout simplement “éjectées” de la plateforme Türksat, sans préavis et sans décision officielle.
Mais là, un autre pas vient d’être franchi…
En Turquie, l’affectation d’un administrateur judiciaire peut être demandée dans des cas de graves mésententes entre les associés d’une société rendant la gestion de l’entreprise impossible, ou par exemple lorsqu’une entreprise se trouve privée de direction. L’affectation peut être effectuée aussi dans certains cas de figure, avec une décision de justice suite à la demande d’un Procureur. Il faut donc bien, une décision de tribunal.
Dans le cas de Koza Ipek, la mainmise s’est faite seule sur une requête “arbitraire” de procureur, et est qualifiée d’ ”illégale” par les juristes.
Les intimidations et menaces ne donnant pas de résultat, les contrôles fiscaux ne trouvant pas de motifs de pression, voilà, une bonne idée que l’affectation d’un “administrateur” (kayyum) à la tête du groupe, en anéantissant ainsi sa liberté et son autonomie. Le “tuteur de confiance” en question, n’est d’autre que l’ancien directeur de publicité et de finances d’un autre groupe de médias, Sabah-ATV, le principal organe de propagande de l’AKP, faisant bien sûr partie du lot de “médias de havuz”.
C’est en effet un attaque contre “la propriété”, la “liberté d’expression et d’opinion”, “le droit d’information” et une instrumentalisation de la justice.
Il ne faut pas non plus perdre de vue la spécificité d’appartenance de ce groupe…
Fetullah Gülen, ancien imam de l’Etat, leader mystique de la Confrérie, compagnon de route d’Erdoğan, est devenu depuis 2013 son ennemi n°1 . Pourtant l’AKP doit sa venue au pouvoir à l’appui de Fetullah et aux votes de ses ouailles les gülénistes qu’Erdoğan qualifie aujourd’hui d’ ”Etat parallèle”. Les relations s’étant envenimées, et les gülenistes étant bien intégrés dans la Justice, s’en été suivi l’opération “anti corruption” prenant dans le collimateur, Erdoğan, sa famille, ses ministres et des hommes d’affaires proche de l’AKP. La découverte de grosses sommes d’argent, planquées dans les maisons de ces derniers, certaines dans des “boites à chaussures”, la révélation publique des écoutes téléphoniques entre les concernés, ont marqué les esprits en début 2015. Et pas que les esprits… Visiblement Erdoğan à la veille des élections, joignant l’agréable à l’utile, règle ses comptes avec Gülen tout en muselant les médias.
A la veille des élections, dans une période critique, les médias sont donc muselés par tous les moyens. Même si on sait que cette presse là et ces médias là, contribuaient à un autre abrutissement aussi, dans un autre registre, nous savons que le tour d’autres viendra demain.
Et si nous ne pensons pas qu’ils étaient particulièrement attentifs à l’opposition démocratique, nous pensons par contre qu’une telle concentration fait disparaître la quasi totalité des contre pouvoirs. Une élection qui se prépare dans de telles conditions, sur fond de guerre larvée, et de guerre contre les civils dans les villes kurdes de Turquie, est d’emblée entachée par la restriction des moyens d’expression. Tout cela s’ajoute à la triche, à l’intimidation, à l’habituelle corruption.
Ce qui sortira des élections du 1er novembre, faute d’être une image réelle du Pays, en sera d’autant plus important si les lignes de forces de juin se répètent, voire amène une visibilité plus grande de l’opposition démocratique de gauche, dans un tel contexte de concentration des pouvoirs d’informer.
Bientôt chaque présentateur, en rendant l’antenne dira sans doute “à vous le Palais”.
Et si, pour une bonne partie de la jeunesse turque, beaucoup passe par le net, la presse écrite reste très lue et diffusée, tout comme la multiplicité des chaînes TV regardée. Quand aux déferlantes publicitaires, à l’abrutissement consumériste s’ajoutent une pensée unique, voire une désinformation orchestrée par une concentration et un filtrage de l’information, on est pas loin du pouvoir absolu.
Encore un effort, et Erdoğan pourra donner des leçons ici, où pourtant les Bolloré et consort se débrouillent déjà pas mal.
Dernière minute :
La police turque a pris, le contrôle de la régie des télévisions Bugün TV et Kanaltürk à Istanbul ce mercredi 28 octobre, dont le groupe fait l’objet d’une mise sous tutelle à la veille des législatives.
L’intervention s’est faite en direct. Devant les caméras, les forces de l’ordre ont pénétré dans le siège des deux chaînes, propriété du groupe Koza-Ipek – considéré comme proche de Fethullah Gülen, ennemi politique du président Recep Tayyip Erdoğan – en dispersant les salariés qui le protégeaient avec des gaz lacrymogènes et des canons à eau, selon les images retransmises en direct par Bugün TV sur son site internet.
Ajout du 28 octobre :
Les journaux “Millet” et “Bugün”, appartenant au Groupe de média Ipek, ont parus avec leur nouveau visage et nouvelle ligne éditoriale gérée par l’administrateur décrété par la Justice et imposé par la police mercredi. A la “Une”, la pomme du Président et aucun article ne parle de l’opposition. Les partis d’opposition n’existent plus, ni aucune opposition populaire. Tout le monde est derrière le “grand leader mondial”. Allons‑y !