Pas mal de monde ven­dre­di soir devant le Reflet Médi­cis pour cette qua­trième soirée du Fes­ti­val de ciné­ma kurde. Est-ce le thème du doc­u­men­taire (la ques­tion kurde par le biais féminin de qua­tre por­traits de célèbres activistes kur­des) ou le fait de pou­voir béné­fici­er de la présence de son réal­isa­teur, Yük­sel Yavuz ?

hevi-film-kurde-afficheJe me retrou­ve dans la salle sans trop savoir à quoi m’at­ten­dre, l’or­eille aux aguets des con­ver­sa­tions qui entremê­lent kurde, français et turc. Le débat qui suiv­ra le film, avec le réal­isa­teur et sa pro­duc­trice, jon­glera d’ailleurs entre turc et français, de façon très flu­ide grâce à la tra­duc­tion effi­cace de la représen­tante du mou­ve­ment des femmes kur­des en France.

Le doc­u­men­taire dresse le por­trait de qua­tre activistes de la cause kurde en Turquie, à tra­vers leurs témoignages et des doc­u­ments d’archives illus­trant leur engage­ment. Eren Keskin, avo­cate, fon­da­trice de la Fon­da­tion pour les droits de l’homme de Turquie, con­damnée à de nom­breuses repris­es par le pou­voir turc à cause de son engage­ment auprès de la cause kurde et des femmes abusées sex­uelle­ment. Gül­tan Kışanak, l’actuelle maire de Diyarbakır, et la Député HDP de la ville de Van, Aysel Tuğluk, traçant elles aus­si leur chemin pour la cause kurde et féminine.

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Eren Keskin, Gül­tan Kışanak, Aysel Tuğluk

Soudain, brusque retour à la réal­ité immé­di­ate. Au pre­mier quart du film, l’alarme incendie met tout le monde dehors. Je me retrou­ve à bat­tre semelle sur le trot­toir en me ques­tion­nant sur la rai­son de l’in­ci­dent. Un coup des ser­vices secrets turcs ? À force d’en­ten­dre des réc­its de mil­i­tants empris­on­nés, vio­len­tés, tor­turés, de vil­lages bom­bardés, d’as­sis­ter à des man­i­fes­ta­tions vio­lem­ment réprimée, je me demande s’ils pour­raient avoir décidé que nous n’en sachions pas plus long… Mais non, ce n’é­tait qu’une fausse alerte.

En redescen­dant finale­ment dans la salle, je décou­vre, ironie amère, que cette coupure fait écho à une autre, plus vio­lente, inter­v­enue durant le tour­nage du film. Yük­sel Yavuz avait en effet prévu de filmer des entre­tiens avec la qua­trième mil­i­tante, Sakîne Can­sız, l’une des fon­da­tri­ces du PKK et fig­ure estimée bien au-delà du par­ti. Mais celle-ci a été assas­s­inée en plein cœur de Paris juste avant leur ren­con­tre. Je com­prends pourquoi il men­tion­nait tout à l’heure son émo­tion de présen­ter pour la pre­mière fois son film dans la cap­i­tale française : c’est bien dans cette ville, devant l’In­sti­tut kurde, qu’ont été mas­sacrées Sakîne Can­sız, Fidan Doğan et Ley­la Söleymez la nuit du 9 jan­vi­er 2013.

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Ley­la Söyle­mez, Sakine Can­sız, Fidan Doğan

À cette heure, nous apprend la représen­tante des femmes kur­des en France, l’en­quête de la police française est close, mais le procès n’a pas encore eu lieu. Le prin­ci­pal sus­pect aurait pu avoir été en con­tact avec les ser­vices secrets turcs, qui pour­raient donc être con­sid­érés com­man­di­taires de l’as­sas­si­nat. La juge en charge de l’af­faire sem­ble dis­posée à jeter la pleine lumière sur cette affaire, bien qu’il s’agisse d’une gageure en France dès que l’on touche à un crime politique…

For­cé de s’in­clin­er devant des cir­con­stances incon­trôlables, le doc­u­men­taire prend alors une autre tour­nure. Il suit les tra­jets des cer­cueils des trois mil­i­tantes en Europe puis jusqu’à Diyarbakır, témoin immé­di­at des douleurs et de la colère. Et il s’es­saye à évo­quer en creux, grâce à des témoignages de proches, quelques images d’archives datant de 1997 et des vues de mag­nifiques paysages du Kur­dis­tan, la fig­ure de Sakîne. Ses années de guéril­las, sa résis­tance à la tor­ture durant ses années de pris­ons à Diyarbakir, son amour pour les monts de Kandil enneigés, l’ex­em­ple qu’elle a été pour beau­coup. Le film garde la mar­que de sa parole absente, du vide lais­sé der­rière elle par cette femme que Yük­sel Avuz aurait voulu pou­voir mon­tr­er dans tout l’hu­man­isme dont elle fai­sait preuve.

Qua­tre por­traits de femmes, donc, qui lais­sent der­rière eux la nette impres­sion que l’e­spoir du titre est à chercher du côté de ce genre-là. Entre elles, des deng­bêj chantent des mélodies qui ne sont volon­taire­ment pas traduites, afin de sus­citer la curiosité, avoue le réal­isa­teur. Et il ajoute, un peu mali­cieux, qu’il s’agis­sait de rétablir la par­ité, puisque les chanteurs sont des hommes : le film laisse les femmes s’ex­primer, et quand les hommes chantent, on ne les com­prend pas…

yiksel-yavuz-1Yük­sel Yavuz est né en Turquie, à Dep, en 1964. Il vit en Alle­magne depuis 1980, et fait des films depuis 1994. Il en a réal­isé six à ce jour : trois fic­tions et trois doc­u­men­taires. Les trois fic­tions abor­dent la ques­tion de la migra­tion kurde en Europe, et les trois doc­u­men­taires se penchent sur la ques­tion de l’i­den­tité kurde et le prob­lème kurde dans son ensem­ble. L’un de ses films, A Lit­tle bit of free­dom, a été présen­té au fes­ti­val de Cannes en 2003. C’é­tait la pre­mière pro­jec­tion de son film “Hêvî” en France. La pro­duc­trice a souligné qu’elle n’avait jusqu’à présent pas réus­si à le dif­fuser sur les écrans français. Elle aurait bien voulu qu’il sorte pour la journée inter­na­tionale des femmes, le 8 mars…

Une inter­view de Yük­sel Yavuz (en anglais) accordée en 2007 à Kur­dishcin­e­ma, à l’oc­ca­sion de la sor­tie de Close Up Kurdistan.

.Pisî­ka Sor pour Kedistan

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