Nous avions suggéré dans l’article de l’agenda “Festival du Cinéma Kurde de Paris”, de nous envoyer vos appréciations sur les films que vous avez encore la chance de voir jusqu’au 27 octobre…
Nous publierons les contributions de.Pisîka Sor…
Merci beaucoup.
Le Festival de Cinéma Kurde de Paris tient sa quatrième édition (après cinq ans d’absence) au Reflet Médicis entre le 21 et le 27 octobre. La programmation permet de découvrir une pluralité de films, longs et courts-métrages mélangés, dans le but avoué de proposer un vaste aperçu du cinéma kurde, entre Iran, Irak, Turquie, Syrie et diaspora.
Mercredi soir, l’ambiance est chaleureuse dans le hall du cinéma, en contraste avec la pluie qui tombe au-dehors. La séance débute par Baghad Messi, un court-métrage de 2013 écrit et réalisé par Sahim Omar Kalifa, réalisateur kurde d’Irak installé en Belgique. Le sujet n’est pas des plus joyeux. Le long-métrage My Sweet Pepperland qui lui succède, du réalisateur déjà consacré Hiner Saleem, se veut résolument plus léger.
Baghad Messi est incisif et âpre. Dans un village isolé au milieu du désert, Hamoudi, 10 ans, ne vit que pour la victoire de son équipe fétiche, le FC Barcelone. Mais la télévision tombe en panne, et pour la réparer afin de pouvoir assister à la finale de la ligue des champions, il n’y a pas d’autre choix que de se rendre à Baghad. La violence est latente dans les plans qui montrent le jeune garçon unijambiste relégué à être un (mauvais) gardien de foot, alors que les coupes rutilantes au chevet de son lit suggèrent un passé où il excellait à courir derrière le ballon. La violence explose dans les rues de Baghad, entre murs écroulés, poussière et sang.
Troisième des quatre courts-métrages de Sahim Omar Kalifa, Baghad Messi a été présenté dans de nombreux festivals, raflant avec raison une cinquantaine de prix. À suivre…
Toujours l’Irak pour My Sweet Pepper Land, à la frontière avec la Turquie et l’Iran cette fois, et dans des montagnes brumeuses plutôt que dans un aride désert. La violence est également présente, et dès le premier plan : le film s’ouvre sur la première pendaison officielle du tout nouveau Kurdistan d’Irak. Mais l’insistance du condamné à ne pas mourir fait vite tourner la scène au grotesque. On rit (jaune) en regardant la pendaison se conclure presque incidemment en arrière-plan. Baran, le héros (Korkmaz Arslan), ne supporte pas cette barbarie et demande une mutation à la hauteur de ses années de guérilla pour la cause du Kurdistan. Et il se retrouve là où vont tous les idéalistes d’un nouveau pays qui ne veulent pas se laisser corrompre : en marge. Le décor est campé : une petite communauté villageoise recluse dans les montagnes, coupée du monde par les bombardements de l’aviation turque, sous la coupe d’une loi non écrite soi-disant traditionnelle incarnée par Aziz Aga.
Le film dose humour et références au western américain sur la trame d’une classique histoire d’amour. Tout y est, depuis le shérif à cheval et chapeau faisant respecter la loi à tout pris (Baran) jusqu’au grand méchant opportuniste et sa bande de vilains (Aziz Aga), en passant par la belle institutrice (Golend, interprétée Golshifteh Farahani) et le photographe du village (joué par Hiner Saleem lui-même). À l’instar des gentils au cœur d’or, Baran sait parfois s’affranchir des règles lorsqu’il s’agit de servir la bonne cause, en l’occurrence pour aider un groupe de femmes kurdes rebelles échappant dans les montagnes au poids d’une tradition machiste et d’un climat turc kurdophobe.
Le film profite d’un bon casting, avec la très belle Golshifteh Farahani écartelée entre son attachement pour sa famille et son désir d’échapper à une tradition étouffante. Korkmaz Arslan, qui n’avait jusqu’alors tourné que dans quelques films allemands, donne à son personnage tout le mutisme qu’il convient. La bande-son mêle musique traditionnelle et standards du rock. L’image soignée montre la beauté des paysages montagneux sous (presque) tous les aspects climatiques.
Le film dose ce qu’il faut d’exotisme pour séduire le grand public, en invitant à quelques réflexions sur la tension entre tradition et modernité, individu et groupe, rôle de l’homme et de la femme, qui ont tout pour atteindre l’universel. Hiner Saleem ne souligne-t-il pas lui-même une certaine dissolution culturelle en mettant entre les mains de Golend un hang, c’est-à-dire un instrument sans passé inventé en Suisse en 2000 ? Qu’importe, le film a tout pour plaire.
.Pisîka Sor pour Kedistan