C’est quand même n’im­porte quoi de tuer les gens réu­nis pour la PAIX !

Les télés passent et repassent la vidéo de l’ex­plo­sion. Ils dan­saient le “halay”. Les mômes dan­saient quoi… Et puis boum der­rière, tout le monde se dis­perse dans la panique. L’horreur.

Aller man­i­fester pour la PAIX avec des ban­deroles sur lesquelles le mot clé, le mot mag­ique, la solu­tion de tous les maux, est écrit avec des grandes let­tres. Et après, trou­ver autour d’eux des corps déchi­quetés cou­verts de ces ban­deroles, le mot PAIX tâché de leur pro­pre sang.

La paix, tout de suite, main­tenant !” (AP Pho­to : Burhan Ozbilici)

Les infos annon­cent tou­jours les chiffres offi­ciels “86 morts et 186 blessés” mais l’U­nion des Médecins turc a annon­cé en fin d’après midi : 97 morts et près de 400 blessés. Cet atten­tat est donc déclaré comme le plus meur­tri­er en Turquie.

Depuis des semaines je rado­tais, je posais des ques­tions et j’en­nuyais tout le monde autour de moi. En voy­ant les vic­times de cette sale guerre qui tue des civils, des enfants, sol­dats ou non, je dis­ais “Et si par exem­ple tous les sol­dats appelés refu­saient d’obéir aux ordres, si les jeunes refu­saient d’aller au ser­vice mil­i­taire, mais partout partout, tous en même temps”, je dis­ais, “Et si nous, nous descen­dions dans la rue, partout partout, tous en même temps, femmes, enfants, vieux, jeunes, même les hand­i­capés et tout… Là, la police ne peut pas se per­me­t­tre d’en­voy­er les gaz, utilis­er leurs canons à eau, et balles en caoutchouc, non ?”. Je dis­ais “Et si tout ce peu­ple coulaient comme une vague vers le Palais de Tayyip, pour lui faire com­pren­dre qu’il n’est pas le prési­dent de tout le monde, comme il prou­ve à chaque mot qu’il prononce, et que nous pou­vons nous débrouiller mieux tous seuls ?” On m’a dit gen­ti­ment que j’é­tais une vieille dame anarchiste.

Mes paroles fai­saient sourire douloureuse­ment mes proches. Ils m’ont expliqué que tout le monde n’avait pas la même vision ni le même souhait de paix, et que le chaos dans lequel le pays est poussé ser­vait bien à cer­tains. Ils m’ont dit que je par­lais de “soulève­ment pop­u­laire”, et que j’avais rai­son de vouloir descen­dre dans la rue, mais que je rêvais com­plète­ment sur la répres­sion d’E­tat. Les jeunes qui utilisent Inter­net m’ont mon­tré deux pho­tos, ça m’a suf­fit pour com­pren­dre que la vio­lence de l’E­tat ne s’ar­rê­tait ni devant les vieux, ni les handicapés.

Une femme pour­suiv­ie par un canon à eau à Suruç et un homme sur un fau­teuil roulant aspergé par la police lors des man­i­fes­ta­tions de Gezi, dont la vidéo est vis­i­ble 

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Mais tant pis… Je n’ar­rive pas à laiss­er tomber cette idée… Elle ne sort pas de ma tête.

Je me demande où étaient passées pen­dant l’ex­plo­sion à Ankara, les “forces de sécu­rité” qui ne se privent pas de réprimer le peu­ple. C’est leur boulot d’ou­vrir les yeux et de sécuris­er les vies dans une man­i­fes­ta­tion, non ? Non. J’ai l’im­pres­sion qu’on par­le d’une espèce de pas­soire qui a des trous réglables selon ce qui les arrange.

L’autre, le petit, le minus­cule Pre­mier Min­istre, a présen­té ses con­doléances et déclaré trois jours de deuil. Il a demandé à s’en­tretenir sur l’at­ten­tat avec Bahçeli [leader du MHP, ultra­na­tion­al­iste] et Kılıç­daroğlu [CHP, démoc­rate, kémal­iste]. Bahçeli a dit non, Kılıç­daroğlu oui. Il n’a pas demandé à ren­con­tr­er Demir­taş, “parce qu’il ne peut pas s’en­tretenir avec une per­son­ne qui accuse l’E­tat.”. Demir­taş avait dit “Cette attaque ne visait pas l’in­tégrité de notre Etat et notre nation, mais il est fait par l’E­tat con­tre le peu­ple”. Je com­prends que cette vérite ne lui plaise pas trop.

Le petit Pre­mier Min­istre a aus­si annon­cé : “Les 2 bombes humaines de l’at­ten­tat sont attrapées”. Ce qui fait mar­rer les jour­nal­istes qui se deman­dent com­ment on peut “attrap­er” une per­son­ne morte explosée, mise en pièces. Enfin, rien d’é­ton­nant, à force de dire depuis des années “des ter­ror­istes ont été attrapés morts” on ne réfléchis plus, on débite tout avec les mêmes défor­ma­tions de langage.

Je les vois les gross­es têtes de l’AKP, défil­er sur ma télé. Je cherche en vain un signe sur leur vis­age, un signe qui peut me dire qu’ils sont touchés, un peu… Je ne sais pas moi, un cligne­ment d’oeil, une ride sur le front, un regard, une expres­sion de tristesse, même fur­tifs. Rien.

Mon coeur saigne pour les enfants tués. Ma rage s’a­grandit. Seule la vague de protes­ta­tions qui s’é­ten­dent sur tout le pays et ailleurs me console.

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Mamie Eyan
Chroniqueuse
Ten­dress­es, coups de gueule et révolte ! Bil­lets d’humeur…