Mon cher passé, je te remercie pour tes leçons. Cher avenir, je suis prête.
Cette phrase était imprimée sur le t‑shirt de Çilem Doğan lors de son arrestation à Adana (Ville du Sud).
Ne supportant plus la violence de son mari, Çilem l’avait tué en légitime défense.
Quand un journaliste lui a tendu le micro avant qu’elle monte dans la voiture des flics, en demandant « Çilem, regrettes-tu ? », elle avait répondu tout simplement « Pourquoi il faut toujours que les femmes meurent ? Les hommes peuvent mourir aussi un peu.. »
Çilem avait subi la violence de son ex mari pendant des années. Il l’avait battue 28 jours après leur mariage, parce qu’elle était malade. Il l’avait battue même dans ses couches, sur son lit à la maternité. Çilem, non sans difficultés, avait réussi à divorcer mais avait cédé sous la pression des deux familles. Elle avait accepté de faire la paix. Hasan avait commencé ensuite à vouloir exploiter sa femme, en la poussant à la prostitution. Sur le refus catégorique de Çilem, il l’avait emmenée dans un forêt et l’avait battue. Il l’avait traînée dans les rues, par les cheveux et frappée. Les demandes d’aides de Çilem auprès de la police n’avaient rien donné.
Le 8 juillet, toujours insistant, le mari a remis ça… Il a commencé à frapper la jeune femme avec une violence inouïe. Hasan d’habitude, se baladait avec son pistolet à la ceinture, et le posait sous son oreiller. Çilem, en essayant de se défendre des coups de Hasan, sur le lit, n’avait qu’à tendre la main et tirer.
« Il ne faut plus que les femmes meurent, les hommes peuvent mourir aussi un peu. »
Ces paroles ont touché beaucoup de femmes. Çilem a reçu beaucoup de lettres dans sa prison. Elle a répondu à ces lettres avec un message :
Chères ami(e)s,
Une femme, si elle le veut, peut donner naissance à elle même. Une femme, si elle le veut, peut rester droit debout, même si elle se trouve toute seule sur la montagne. Elle peut lutter, elle peut recommencer tout de zéro. Ici, quand l’obscurité tombe, je ne me sens pas seule. Vous, des gens bien, heureusement vous existez. Mes amies, ne serait-ce qu’un de vos cils ne tombe par terre. Que votre tête reste haute et fière. Comme une soeur, je sens mes mains dans vos paumes.Canım arkadaşlarım,
Bir kadın isterse kendini doğurabilir. Bir kadın isterse dağ başında bile kalsa dimdik durabilir. Mücadele verebilir, sıfırdan başlayabilir. Burada karanlık çöktüğünde yalnız hissetmiyorum kendimi. Siz iyi insanlar iyi ki varsınız. Kadın arkadaşlarım, hiçbir zaman kirpiğiniz yere düşmesin. Alnınız hep dik; dimdik onurlu kalsın. Bir kardeş olarak ellerimi avucunuzda hissediyorum.
Environ une semaine après, alors que le “crime” de Çilem occupait encore l’actualité, Sare Davutoğlu, la femme du Premier Ministre turc critiquait les féministes parce qu’elles/ils ne prenaient pas la violence dans sa totalité mais parlaient de “violences faites aux femmes”, en précisant qu’elles/ils “exagéraient” et que ce langage féministe irritant les hommes, contribuait à l’augmentation de nombre des femmes tuées par les hommes.
Or les femmes sont massacrées. L’année n’est pas encore terminée, et le compteur des meurtres de femmes montre déjà 203. En 2014 286 avaient été officiellement tuées. En 2013 : 226, en 2012 : 141, 2011 : 125…
C’est vrai, les femmes peuvent, comme voudrait Sare Davutoğlu, tout simplement mourir, sans rien dire, et surtout sans “exagérer”. Ou bien… elles peuvent tuer au lieu de mourir. Dans ce cas, le patriarcat, omniprésent, même dans la justice, les condamnera sans prendre en compte la légitime défense, à la perpète, voire perpète alourdie comme Çilem.
Çilem n’est pas la seule qui a tué pour se défendre. Elles sont peu nombreuses, mais elles existent. Elles demandent de l’aide à la police. Mais c’est en vain qu’elles attendent la protection des policiers qui eux même respirent dans la même ambiance, et pour beaucoup, on peut l’imaginer, violentent eux mêmes leur femme.
Ces femmes qui osent se défendre sont lourdement pénalisées par les mêmes tribunaux qui allègent joyeusement les peines des hommes meurtriers de femmes, parce qu’ils sont venus sur le banc des accusés en costard et bien rasés, ou encore ont parlé poliment… Les mêmes tribunaux sont capables de déclarer des filles mineures “consentantes” pour s’être faite violer par plusieurs adultes…
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Ironie de la vie, l’inscription sur son t‑shirt est entrée dans les slogans féministes en Turquie. Pourtant Çilem raconte qu’après s’être rendue à la police, ses vêtements étaient sales. Elle avait alors demandé à sa mère de lui apporter du rechange avant de passer devant le juge. La maman, ne pouvant pas accéder à la maison sous scellés, est entrée au hasard dans un magasin et acheté le premier vêtement qui est passé sous sa main. Ce n’était donc pas un choix volontaire. D’ailleurs Çilem n’était pas contente que sa maman n’ait pas choisi une chemise toute simple.« Ni ma mère, ni moi ne parlons anglais, dit la jeune femme, je voyais que dans le tribunal, les policiers me regardaient, se parlaient entre eux. J’avais compris qu’il y avait un truc qui ne tournait pas rond ». Une fois dans la prison, Çilem a essayé de déchiffrer la phrase à l’aide de ses amis et d’un dico, mais en vain. Elle a appris le sens de la phrase qu’elle portait sur son coeur, bien après.
Ironie du sort, Çilem, qui n’est ni une meneuse, ni une combattante mais une femme ordinaire, est devenue une des icônes de la lutte contre la violence faite aux femmes.
Ironie de la vie, “Çilem”, le prénom que la jeune femme porte, veut dire en turc “ma souffrance”. Si on croit une seconde au destin, on peut penser que certains avenirs sont tracés dès la naissance.
Au prix de la prison, sa rébellion contre le patriarcat et la violence a retiré de son prénom, le poids de la destinée…
Nous n’avons d’autres mots à souhaiter à Çilem, que courage, patience et bonne chance.