Nous avions par­lé de Cizre, devenu un sym­bole, une ville martyre.

Mais Cizre n’a jamais été la seule, parce que l’of­fen­sive du gou­verne­ment Erdo­gan con­cerne tout le Peu­ple kurde, dans toutes les villes où il résiste.

carte-turquie-silvanA Sil­van, com­mune de Diyarbakır, suite à la mort de deux mil­i­taires lors d’une attaque  le jeu­di le 1er octo­bre, le lende­main, en repré­sailles, à par­tir de 6h00 du matin le cou­vre feu a été déclaré.

Plusieurs offen­sives armées ont frap­pé Sil­van  à par­tir de 7h00.

Le jour­nal­iste Ergun Yıl­maz, rap­por­tait le jour même, ven­dre­di 2 octo­bre, que les affron­te­ments con­tin­u­aient dans les quartiers Mesc­it, Tekel ve Kon­ak où des tranchées ont été mis­es en place.

« Deux per­son­nes seraient mortes, mais dans les régions de con­flits les réseaux télé­phoniques sont hors ser­vice. Nous n’arrivons pas à avoir des infor­ma­tions saines, mais il sem­ble que les morts serait des mem­bres du PKK. » C’est la tonal­ité générale des com­mu­niqués des journaux.

Silvan-octobre-2015-bombardements

Le jour­nal­iste con­fir­mait les tirs aux canons ciblant les quartiers, et l’entrée des blind­és dans ces zones. Il pré­ci­sait que les affron­te­ments vécus lors du précé­dent cou­vre feu courant août, n’étaient rien à côté de ce qui se passe aujourd’hui à Sil­van. Avant les opéra­tions étaient effec­tuées avec des armes légères, actuelle­ment l’artillerie lourde est utilisée.

Le Préfet de Sil­van déclarait à son tour sur le BBC turc, que 140 inter­venants spé­ci­aux étaient déployés :

« Les infor­ma­tions de tirs au canon sur les maisons partagés dans les médias soci­aux sont men­songères. Les chars sont util­isés pour détru­ire les bar­ri­cades. Nous pen­sons que 25 maquis­ards sont en ville, il y a aus­si 35–40 mem­bres armés du réseau urbain. Ils font souf­frir les habi­tants et il les rack­et­tent. L’opération con­tin­uera jusqu’à ce que la com­mune soit puri­fiée des élé­ments armés.»

Les délé­ga­tions des par­tis HDP et BDP en chemin vers Sil­van, étaient blo­quées à 10 km de la ville. Nursel Erdoğan, mem­bre de délé­ga­tion pré­ci­sait que toutes les entrées et sor­ties étaient inter­dites par la Préfecture.

« Le Préfet nous a dit qu’il ne nous per­me­t­trait absol­u­ment pas d’accéder en ville. Nous atten­dons. Selon les infor­ma­tions qui nous arrivent, il y a 5 morts et une dizaine de blessés. Le Préfet nous a dit de pass­er le mes­sage « Dites aux habi­tants qu’ils sor­tent et déposent les blessés en dehors des zones d’affrontement, nous irons les chercher. » Mais les équipes spé­ciales sont posi­tion­nées autour, et les gens ne peu­vent pas sor­tir leur blessés par peur des snipers. Selon les infor­ma­tions qui nous arrivent, des tirs au canons sont effec­tués depuis les collines dans le sud de la com­mune, vers trois quartiers. »

Une Agence Ana­toliene con­fir­mait la pour­suite des opéra­tions et déclarait ain­si : 17 ter­ror­istes ont été “dés­ac­tivés”

Dés­ac­tivés ? Lit­térale­ment “mis hors d’é­tat”. Tués ? Blessés ? Arrêtés ?
Ce chara­bia ori­en­té n’est pas nou­veau. En Turquie la télé de son maître dit depuis tou­jours “xx ter­ror­istes ont été pris morts” en effaçant totale­ment le fait que le type a préféré mourir que d’être pris.

Les morts sont tou­jours “ter­ror­istes” ou PKK, ce qui dans l’e­sprit du média est la même chose.


carte-turquie-nusaybinQuand à Nusay­bin, com­mune de Mardin, qui est sous le cou­vre feu depuis le 1er octo­bre à 19h. DHA, rap­por­tait déjà hier, des affron­te­ments, des tirs d’armes lour­des, et une man­i­fes­ta­tion de casseroles au cen­tre de la commune.

Le Préfet de Mardin avait pro­longé le cou­vre feu,  et la Pré­fec­ture déclarait par un com­mu­niqué un sol­dat et un mem­bre de PKK morts, et 4 sol­dats et 1 garde blessés.

Ahmet Sön­mez, un civ­il de 54 ans a été égale­ment tué par balle juste devant sa porte, mais vis­i­ble­ment il ne fait pas par­tie de la liste de pertes de la Préfecture.

Same­di 3 octo­bre, Alper Tol­ga Akkuş, jour­nal­iste de Yeşil Gazete a reçu à 8h du matin, un sms d’une de ses amies mil­i­tante écol­o­giste Nes­ime Atlı, mem­bre du Mezopotamya Ekolo­ji Hareketi (Mou­ve­ment d’écologie de Mésopotamie) qui se trou­vait à Nusaybin.nesime-atli-ecologie

« C’est Nes­ime. Je vous écris du quarti­er Fırat de Nusay­bin. Après ce qu’il s’est passé hier, je sais que nous ne pour­rons pas sor­tir vivants d’ici. S’il vous plait, que quelques uns ne se taisent pas, là dehors ! »

Le jour­nal­iste a ten­té de join­dre Nes­ime sans aucun résultat.

Deux heures et demie plus tard, un autre sms

« Nous restons près d’une famille dans une cave. Hier, des forces spé­ciales ont fait des descentes. Ils entrent de force dans les maisons et ils bat­tent les gens. Ils trans­for­ment leur maisons en QG. Nous ne pou­vons même pas ten­dre notre nez dehors. »ozgur-ciray_09b

Dans l’après-midi autour de 15h30, même les fidèles qui voulaient aller à la mosquée ont pris leur dose de lacry­mos. Une école a été sauvée d’un début d’in­cendie. En fin d’après midi dans le quarti­er Bagok, 19 per­son­nes ont été arrêtées puis libérées dans la soirée…

Un autre civ­il, Özgür Çıray, de 30 ans a été blessé sur son épaule, par balle alors qu’il était sur son bal­con. Les urgences ne pou­vant pas accéder dans le quarti­er le blessé a été trans­porté par les moyens des habi­tants. Nous avons des dif­fi­cultés à savoir ce que ce jeune homme est devenu… Cer­taines sources annon­cent son décès.

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Haci Bir­lik, beau-frère de la députée du HDP Ley­la Bir­lik, a été tué hier par la police turque. Son corps sans vie a été trainé dans la ville avec une corde autour du cou der­rière un blindé de la police pour ter­roris­er le peu­ple kurde.

D’après les témoins ocu­laires, il a d’abord été blessé. Un polici­er a pris une pho­to de lui en écras­ant sa tête avec son pied, puis l’a attaché au blindé.

Un médecin de l’hôpi­tal de Sir­nak où il a été emmené, Menal Geçer, a été mis en garde à vue pour avoir apporté une civière pour le jeune.

kurdistan

Une vidéo, filmée par les mil­i­taires eux mêmes existe. Après avoir été inter­dite, elle cir­cule à nou­veau sur les réseaux soci­aux. Les Kur­des eux mêmes ont décidé de la laiss­er cir­culer, bien que les com­men­taires des mil­i­taires soient par­ti­c­ulière­ment injurieux pour le corps de la vic­time. S’il faut cho­quer pour qu’en­fin la vérité éclate.….

Nous pour­rions con­tin­uer ain­si à traduire de très nom­breux arti­cles, com­mu­niqués, tous “ori­en­tés”, peu fiables ou impos­si­bles à véri­fi­er dans le détail.

Ce qui est une réal­ité, c’est bien l’in­ten­si­fi­ca­tion des assas­si­nats, des répres­sions poli­cières et mil­i­taires, des tirs de snipers, des arresta­tions, des tor­tures et exac­tions. Les pré­textes sont chaque fois les mêmes, une accu­sa­tion d’héberg­er des “ter­ror­istes”, ou une action en repré­sailles d’une attaque. On sait que de toutes les manières, la pop­u­la­tion Kurde sera tou­jours désignée par les forces de répres­sion comme “ter­ror­istes en puis­sance”, pour jus­ti­fi­er leur poli­tique de terreur.

Les témoignages de Cizre mon­trent bien l’en­grenage et la volon­té des pop­u­la­tions de faire face, tout en récla­mant que “tout ça s’ar­rête”. Nous pour­rions align­er des hor­reurs, en brèves suiv­ies par d’autres brèves…

Et si volon­taire­ment dans ce titre, nous employons le terme de “Kur­dis­tan” pour désign­er ces ter­ri­toires où le gou­verne­ment Erdo­gan lâche ses chiens, c’est parce que les pop­u­la­tions qui pour­tant récla­ment recon­nais­sance et assis­tance de la Turquie se sen­tent coupées de tous et don­nent un nom à leur résis­tance qui leur per­met d’ex­is­ter aux yeux du monde.

Mais la ques­tion qui est posée, ce n’est pas comme on a pu le lire ici où là “quand est-ce que cela va s’ar­rêter ?” mais bien plutôt “quand est-ce qu’une sol­i­dar­ité va se lever pour ten­ter d’ar­rêter le bras d’Erdogan ? “.

Car passé l’ef­fet de sidéra­tion, on peut vite mesur­er le fos­sé qui se creuse, en Turquie même, et ici, entre l’escalade, l’ag­gra­va­tion de la guerre, et l’ab­sence réelle de sol­i­dar­ité active, hors de celles et ceux qui dès la pre­mière heure étaient debouts.

En Turquie, c’est la prox­im­ité d’élec­tions (sur­réal­istes dans le con­texte) qui peut expli­quer l’at­ten­tisme, tout comme la dés­in­for­ma­tion et “l’habi­tude” liée aux péri­odes antérieures des offen­sives anti kur­des. C’est aus­si l’isole­ment gran­dis­sant des forces démoc­ra­tiques et la rel­a­tive indif­férence du par­ti social libéral kémal­iste, qui pré­pare ses élec­tions. Le mou­ve­ment de société civile pour “la paix” va s’épuis­er s’il reste seul et isolé.

Mais com­ment expli­quer ici, alors que la sol­i­dar­ité avec la Grèce, les mobil­i­sa­tions européennes autour des réfugiés se sont faites enten­dre mal­gré tout, que sur cette ques­tion, directe­ment liée régionale­ment à ce qui se déroule en Syrie et en Irak, et qui aura à très court terme de très lour­des con­séquences, aucune “grande gueule” ne s’ou­vre, aucun “intel­lectuel” ne se lève, aucun politi­cien ne se déporte de ses petites préoc­cu­pa­tions élec­torales ? Entre les passeurs d’in­for­ma­tion, nom­breux, les mou­ve­ments et asso­ci­a­tions directe­ment con­cernées qui se mobilisent depuis juil­let, et les “élé­ments moteurs habituels” de mobil­i­sa­tion, le lien réel sem­ble inexistant.

Les petites querelles d’in­tel­lectuels, les bis­billes entre têtes de gon­do­le de par­tis, les aligne­ments de let­tres d’al­pha­bet européen, les engueu­lades sou­verain­istes, la poutin­o­ma­nia à pro­pos de la Syrie, la grande trouille de l’in­va­sion par les réfugiés, la pluie et le beau temps, voilà ce qui sem­ble l’essen­tiel des préoc­cu­pa­tions. Et alors que le prin­ci­pal respon­s­able poli­tique ini­ti­a­teur de cette poli­tique raciste de divi­sion et des exac­tions qui s’en suiv­ent vient à Brux­elles et Stras­bourg, on va sans doute pou­voir compter à l’oeil nu les man­i­fes­tants. Aucun politi­card, même de “gauche rad­i­cale”, ne se déplac­era pour recevoir les “activistes kur­des pour la paix” en vis­ite ici. Per­son­ne ne leur con­sacr­era une lettre.

Le texte même, d’un com­mu­niqué ali­bi “unanime” des députés européens que nous repro­dui­sions ici mon­tre à quel point le repli poli­tique est tel qu’il provoque une céc­ité col­lec­tive sur les con­séquences des crimes qui se com­met­tent dans l’Est de la Turquie et ailleurs, et qui peu­vent à court terme, débouch­er sur le ren­force­ment dans la région d’un régime islamo con­ser­va­teur (pour être gen­til) qui hier encore mon­trait sa porosité poli­tique avec Daesh.

Le “sauve qui peut” européen, en proie à ses démons iden­ti­taires, ses rival­ités économiques sur fond de prof­its financiers, ses dérives sécu­ri­taires et ses fron­tières bar­belées, laisse seules face à leur bour­reau des pop­u­la­tions “loin­taines et exotiques”.

Con­damn­er les Kur­des à la dés­espérance, c’est aus­si à moyen terme, con­damn­er la Turquie à l’ob­scu­ran­tisme, et la région à la guerre ouverte ou larvée. Quelle let­tre don­ner à ce plan là ?

Un plan Paix serait attendu.

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…