Nous avions parlé de Cizre, devenu un symbole, une ville martyre.
Mais Cizre n’a jamais été la seule, parce que l’offensive du gouvernement Erdogan concerne tout le Peuple kurde, dans toutes les villes où il résiste.
A Silvan, commune de Diyarbakır, suite à la mort de deux militaires lors d’une attaque le jeudi le 1er octobre, le lendemain, en représailles, à partir de 6h00 du matin le couvre feu a été déclaré.
Plusieurs offensives armées ont frappé Silvan à partir de 7h00.
Le journaliste Ergun Yılmaz, rapportait le jour même, vendredi 2 octobre, que les affrontements continuaient dans les quartiers Mescit, Tekel ve Konak où des tranchées ont été mises en place.
« Deux personnes seraient mortes, mais dans les régions de conflits les réseaux téléphoniques sont hors service. Nous n’arrivons pas à avoir des informations saines, mais il semble que les morts serait des membres du PKK. » C’est la tonalité générale des communiqués des journaux.
Le journaliste confirmait les tirs aux canons ciblant les quartiers, et l’entrée des blindés dans ces zones. Il précisait que les affrontements vécus lors du précédent couvre feu courant août, n’étaient rien à côté de ce qui se passe aujourd’hui à Silvan. Avant les opérations étaient effectuées avec des armes légères, actuellement l’artillerie lourde est utilisée.
Le Préfet de Silvan déclarait à son tour sur le BBC turc, que 140 intervenants spéciaux étaient déployés :
« Les informations de tirs au canon sur les maisons partagés dans les médias sociaux sont mensongères. Les chars sont utilisés pour détruire les barricades. Nous pensons que 25 maquisards sont en ville, il y a aussi 35–40 membres armés du réseau urbain. Ils font souffrir les habitants et il les rackettent. L’opération continuera jusqu’à ce que la commune soit purifiée des éléments armés.»
Les délégations des partis HDP et BDP en chemin vers Silvan, étaient bloquées à 10 km de la ville. Nursel Erdoğan, membre de délégation précisait que toutes les entrées et sorties étaient interdites par la Préfecture.
« Le Préfet nous a dit qu’il ne nous permettrait absolument pas d’accéder en ville. Nous attendons. Selon les informations qui nous arrivent, il y a 5 morts et une dizaine de blessés. Le Préfet nous a dit de passer le message « Dites aux habitants qu’ils sortent et déposent les blessés en dehors des zones d’affrontement, nous irons les chercher. » Mais les équipes spéciales sont positionnées autour, et les gens ne peuvent pas sortir leur blessés par peur des snipers. Selon les informations qui nous arrivent, des tirs au canons sont effectués depuis les collines dans le sud de la commune, vers trois quartiers. »
Une Agence Anatoliene confirmait la poursuite des opérations et déclarait ainsi : 17 terroristes ont été “désactivés”
Désactivés ? Littéralement “mis hors d’état”. Tués ? Blessés ? Arrêtés ?
Ce charabia orienté n’est pas nouveau. En Turquie la télé de son maître dit depuis toujours “xx terroristes ont été pris morts” en effaçant totalement le fait que le type a préféré mourir que d’être pris.
Les morts sont toujours “terroristes” ou PKK, ce qui dans l’esprit du média est la même chose.
Quand à Nusaybin, commune de Mardin, qui est sous le couvre feu depuis le 1er octobre à 19h. DHA, rapportait déjà hier, des affrontements, des tirs d’armes lourdes, et une manifestation de casseroles au centre de la commune.
Le Préfet de Mardin avait prolongé le couvre feu, et la Préfecture déclarait par un communiqué un soldat et un membre de PKK morts, et 4 soldats et 1 garde blessés.
Ahmet Sönmez, un civil de 54 ans a été également tué par balle juste devant sa porte, mais visiblement il ne fait pas partie de la liste de pertes de la Préfecture.
Samedi 3 octobre, Alper Tolga Akkuş, journaliste de Yeşil Gazete a reçu à 8h du matin, un sms d’une de ses amies militante écologiste Nesime Atlı, membre du Mezopotamya Ekoloji Hareketi (Mouvement d’écologie de Mésopotamie) qui se trouvait à Nusaybin.
« C’est Nesime. Je vous écris du quartier Fırat de Nusaybin. Après ce qu’il s’est passé hier, je sais que nous ne pourrons pas sortir vivants d’ici. S’il vous plait, que quelques uns ne se taisent pas, là dehors ! »
Le journaliste a tenté de joindre Nesime sans aucun résultat.
Deux heures et demie plus tard, un autre sms
« Nous restons près d’une famille dans une cave. Hier, des forces spéciales ont fait des descentes. Ils entrent de force dans les maisons et ils battent les gens. Ils transforment leur maisons en QG. Nous ne pouvons même pas tendre notre nez dehors. »
Dans l’après-midi autour de 15h30, même les fidèles qui voulaient aller à la mosquée ont pris leur dose de lacrymos. Une école a été sauvée d’un début d’incendie. En fin d’après midi dans le quartier Bagok, 19 personnes ont été arrêtées puis libérées dans la soirée…
Un autre civil, Özgür Çıray, de 30 ans a été blessé sur son épaule, par balle alors qu’il était sur son balcon. Les urgences ne pouvant pas accéder dans le quartier le blessé a été transporté par les moyens des habitants. Nous avons des difficultés à savoir ce que ce jeune homme est devenu… Certaines sources annoncent son décès.
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Haci Birlik, beau-frère de la députée du HDP Leyla Birlik, a été tué hier par la police turque. Son corps sans vie a été trainé dans la ville avec une corde autour du cou derrière un blindé de la police pour terroriser le peuple kurde.
D’après les témoins oculaires, il a d’abord été blessé. Un policier a pris une photo de lui en écrasant sa tête avec son pied, puis l’a attaché au blindé.
Un médecin de l’hôpital de Sirnak où il a été emmené, Menal Geçer, a été mis en garde à vue pour avoir apporté une civière pour le jeune.
Une vidéo, filmée par les militaires eux mêmes existe. Après avoir été interdite, elle circule à nouveau sur les réseaux sociaux. Les Kurdes eux mêmes ont décidé de la laisser circuler, bien que les commentaires des militaires soient particulièrement injurieux pour le corps de la victime. S’il faut choquer pour qu’enfin la vérité éclate.….
Nous pourrions continuer ainsi à traduire de très nombreux articles, communiqués, tous “orientés”, peu fiables ou impossibles à vérifier dans le détail.
Ce qui est une réalité, c’est bien l’intensification des assassinats, des répressions policières et militaires, des tirs de snipers, des arrestations, des tortures et exactions. Les prétextes sont chaque fois les mêmes, une accusation d’héberger des “terroristes”, ou une action en représailles d’une attaque. On sait que de toutes les manières, la population Kurde sera toujours désignée par les forces de répression comme “terroristes en puissance”, pour justifier leur politique de terreur.
Les témoignages de Cizre montrent bien l’engrenage et la volonté des populations de faire face, tout en réclamant que “tout ça s’arrête”. Nous pourrions aligner des horreurs, en brèves suivies par d’autres brèves…
Et si volontairement dans ce titre, nous employons le terme de “Kurdistan” pour désigner ces territoires où le gouvernement Erdogan lâche ses chiens, c’est parce que les populations qui pourtant réclament reconnaissance et assistance de la Turquie se sentent coupées de tous et donnent un nom à leur résistance qui leur permet d’exister aux yeux du monde.
Mais la question qui est posée, ce n’est pas comme on a pu le lire ici où là “quand est-ce que cela va s’arrêter ?” mais bien plutôt “quand est-ce qu’une solidarité va se lever pour tenter d’arrêter le bras d’Erdogan ? “.
Car passé l’effet de sidération, on peut vite mesurer le fossé qui se creuse, en Turquie même, et ici, entre l’escalade, l’aggravation de la guerre, et l’absence réelle de solidarité active, hors de celles et ceux qui dès la première heure étaient debouts.
En Turquie, c’est la proximité d’élections (surréalistes dans le contexte) qui peut expliquer l’attentisme, tout comme la désinformation et “l’habitude” liée aux périodes antérieures des offensives anti kurdes. C’est aussi l’isolement grandissant des forces démocratiques et la relative indifférence du parti social libéral kémaliste, qui prépare ses élections. Le mouvement de société civile pour “la paix” va s’épuiser s’il reste seul et isolé.
Mais comment expliquer ici, alors que la solidarité avec la Grèce, les mobilisations européennes autour des réfugiés se sont faites entendre malgré tout, que sur cette question, directement liée régionalement à ce qui se déroule en Syrie et en Irak, et qui aura à très court terme de très lourdes conséquences, aucune “grande gueule” ne s’ouvre, aucun “intellectuel” ne se lève, aucun politicien ne se déporte de ses petites préoccupations électorales ? Entre les passeurs d’information, nombreux, les mouvements et associations directement concernées qui se mobilisent depuis juillet, et les “éléments moteurs habituels” de mobilisation, le lien réel semble inexistant.
Les petites querelles d’intellectuels, les bisbilles entre têtes de gondole de partis, les alignements de lettres d’alphabet européen, les engueulades souverainistes, la poutinomania à propos de la Syrie, la grande trouille de l’invasion par les réfugiés, la pluie et le beau temps, voilà ce qui semble l’essentiel des préoccupations. Et alors que le principal responsable politique initiateur de cette politique raciste de division et des exactions qui s’en suivent vient à Bruxelles et Strasbourg, on va sans doute pouvoir compter à l’oeil nu les manifestants. Aucun politicard, même de “gauche radicale”, ne se déplacera pour recevoir les “activistes kurdes pour la paix” en visite ici. Personne ne leur consacrera une lettre.
Le texte même, d’un communiqué alibi “unanime” des députés européens que nous reproduisions ici montre à quel point le repli politique est tel qu’il provoque une cécité collective sur les conséquences des crimes qui se commettent dans l’Est de la Turquie et ailleurs, et qui peuvent à court terme, déboucher sur le renforcement dans la région d’un régime islamo conservateur (pour être gentil) qui hier encore montrait sa porosité politique avec Daesh.
Le “sauve qui peut” européen, en proie à ses démons identitaires, ses rivalités économiques sur fond de profits financiers, ses dérives sécuritaires et ses frontières barbelées, laisse seules face à leur bourreau des populations “lointaines et exotiques”.
Condamner les Kurdes à la désespérance, c’est aussi à moyen terme, condamner la Turquie à l’obscurantisme, et la région à la guerre ouverte ou larvée. Quelle lettre donner à ce plan là ?
Un plan Paix serait attendu.